Interview : Oren Peli (Paranormal Activity)
Le 04/12/2009 à 14:25Par Elodie Leroy
Succès surprise ayant engrangé plus de 100 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis, Paranormal Activity fait pourtant partie de ces films à petit budget réalisés avec les moyens du bord. Le cinéaste Oren Peli, jusqu'alors inconnu au bataillon, a tourné en équipe réduite dans sa propre maison et avec une seule caméra, pour mettre en forme cette sombre histoire de couple sans histoire hanté par une présence invisible.
Nous avons rencontré Oren Peli, l'instigateur du cauchemar lui-même, l'homme qui a eu la chance de voir son projet tomber entre les mains de la Dreamworks, et notamment d'un certain Steven Spielberg, avant d'atterrir à la Paramount. Le cinéaste nous dévoile les secrets de Paranormal Activity et revient sans aucun tabou sur le long processus qu'a été la postproduction du film, avec notamment le travail réalisé à partir des projections tests.
Vous avez réalisé votre film avec un budget minuscule mais il a fait son effet au box-office. Que ressentez-vous vis-à-vis de ce succès ?
Tout le monde est très enthousiaste. Personne ne pensait que le film remporterait un tel succès. Nous sommes donc à la fois surpris et émus. Nous sommes aussi très contents et reconnaissants envers les fans pour leur soutien.
Comment s'est passé le long chemin menant vers la distribution du film en salles ?
En fait, au début tout s'est bien passé, notamment lorsque Dreamworks s'est impliqué afin de le faire sortir en salles. Ensuite, nous avons rencontré quelques problèmes issus de la rupture entre Dreamworks et Paramount. Ils ont traversé une période de divorce et pendant ce temps-là, rien ne se produisait. Le film a finalement atterri entre les mains de Paramount et il a fallu un moment avant que le processus ne reprenne son cours. Une fois que la Paramount s'est impliquée, tout s'est passé très vite. Mais il y a eu une période au cours de laquelle tout était en suspens.
Comment aviez-vous réussi à avoir Dreamworks sur le projet ?
Quand j'ai signé avec mon agence CAA, ils m'ont mis en contact avec deux producteurs : Steven Schneider et Jason Blum. Ils avaient des relations avec tout un tas de gens et ils ont montré le film à une jeune executive de Dreamworks, Ashley Brucks. Elle a adoré et elle l'a montré à son tour à son patron, Adam Goodman, qui était alors président de Dreamworks et qui est à présent président de Paramount. Il a cru en mon film, suffisamment en tout cas pour le pousser vers l'avant, d'abord chez Dreamworks et ensuite à la Paramount.
Paranormal Activity repose sur une menace invisible. Etait-il difficile d'imposer cela sachant que la plupart des productions d'horreur actuelles comptent sur leurs effets spéciaux et sur l'aspect spectaculaire ?
Depuis le début, je voulais que le film soit fait de cette manière. Je ne voulais pas qu'il repose sur des effets spéciaux digitaux et qu'il montre un monstre ou un démon. Pour moi, la chose la plus effrayante au monde est celle qui est invisible, que vous ne voyez pas, parce qu'elle peut se trouver juste à côté de vous sans que vous le sachiez. Pour moi, cette idée est terrifiante, surtout lorsque vous pensez à ce qui peut se produire la nuit, dans votre propre chambre, pendant que vous dormez et que vous ne savez pas que c'est là. Que vous ne voyiez rien n'a aucune importance puisque vous dormez. D'autre part, je pense que l'imagination des gens est toujours plus puissante que ce que vous pouvez leur montrer.
Le plan nocturne sur la chambre apparaît de manière récurrente, avec le lit à droite et la porte menant vers le couloir à gauche. Comment avez-vous travaillé ce plan ?
Avant de tourner, j'ai passé beaucoup de temps à trouver le bon angle et la bonne lumière pour le plan nocturne. Pour tout le reste du film, les mouvements de caméra étaient très spontanés de la part des cadreurs ou des acteurs. Je ne leur ai quasiment jamais dicté comment tenir la caméra. Parfois nous discutions certains points mais dans l'ensemble tout était très spontané. En revanche, pour ce qui est de ce plan nocturne sur la chambre, j'y ai consacré beaucoup d'efforts afin que tout soit au point, que la composition et la lumière soient parfaites. Un tiers du film allait être vu sous cet angle donc il fallait faire les choses bien, que ce plan ait un sens à chaque nuit qui passe.
Avez-vous imaginé que certaines personnes pourraient trouver cela répétitif ?
Cela fait pleinement partie de la narration. En fait, je pense que les gens apprécient justement que le film soit rythmé par ce plan, par cette alternance entre le jour et la nuit. A chaque nuit, vous savez que quelque chose d'effrayant va se produire, tandis que pendant la journée, vous vous sentez un peu soulagés. Sachant que jusqu'à la fin, pendant les scènes de jour, vous avez le temps d'appréhender ce qui va se produire pendant la nuit suivante. Il y a donc constamment une angoisse, d'autant que des choses finissent par se produire là aussi donc à partir d'un certain moment, vous ne vous sentez même plus en sécurité pendant la journée. Personnellement j'aime bien ce genre de cycle du jour et de la nuit qui se perpétue.
Etait-il difficile pour les acteurs de trouver cette spontanéité qui caractérise leur jeu ?
En fait, les acteurs étaient tellement bons qu'ils m'ont rendu la vie très facile. C'est l'une des raisons pour lesquelles le tournage s'est aussi bien passé. Ils avaient un tel talent que j'avais juste à leur dire ce qu'il allait falloir faire. Je n'avais même pas besoin de leur donner de répliques ou de dialogues exacts, ils faisaient tout par eux-mêmes. Ils ont fait un travail si excellent que le film s'est envolé.
Sur le plan de la peur, quelle est votre analyse personnelle de l'énorme succès du film ?
Beaucoup de gens sont venus me dire que c'était le film le plus effrayant qu'ils aient vu depuis longtemps ou même qu'ils aient jamais vu. Le résultat était qu'à la fin de la journée, au lieu d'avoir juste été choqués par des effets de maquillages ou ce genre de choses, ils tremblaient au point d'avoir du mal à trouver le sommeil. Selon moi, les gens apprécient d'avoir été vraiment atteints par le film.
Avez-vous eu des retours négatifs ?
Pas vraiment et je suis très reconnaissant que la plupart des gens aient aimé le film. Mais si vous, ou quelqu'un d'autre, n'avez pas aimé, n'hésitez pas à me le dire. Je ne pourrais pas dire quelles sont les reproches de ceux qui n'ont pas aimé. Je pense tout simplement qu'ils n'ont pas trouvé de connexion avec le film. Ou peut-être que ce sont des spectateurs habitués aux films à gros budgets. Ils s'attendaient donc à des images digitales avec du sang et du gore, ce qu'ils n'ont pas trouvé, d'où leur déception.
Vous-même, êtes-vous tenté de faire un film avec des effets gore ?
Je ne crois pas. Ce n'est pas vraiment mon style. Le seul moyen pour moi serait d'en faire une comédie ou une parodie. Mais je ne suis pas vraiment intéressé par ce genre de films.
Entre le premier montage du film et maintenant, le film a-t-il connu beaucoup de changements ?
Oui, il a constamment eu des changements. Le montage était un peu comme un processus sans fin pour moi. Je n'arrêtais pas de changer le film, de chambouler des éléments et à chaque fois, nous organisions une projection test. Là, je voyais comment le public réagissait et je m'efforçais d'améliorer le film en modifiant le timing ou le rythme. C'était un processus continu du début à la fin.
Ces changements ont-ils entraîné chez vous des frustrations ?
Que ce soit chez Dreamworks ou chez Paramount, tout le monde a fait preuve d'un grand esprit de collaboration. Parfois ils avaient des idées avec lesquelles je n'étais pas d'accord, mais ils étaient toujours très coopératifs et écoutaient volontiers les miennes. Il arrivait aussi que je croie qu'une idée ne marcherait pas mais qu'il s'avère finalement qu'elle fonctionnait très bien. Je devais donc admettre qu'ils avaient eu raison. Dans les cas contraire où c'était moi qui avais raison, ils n'avaient pas d'ego et n'hésitaient pas à revenir à la version précédente.
Est-ce qu'il est vrai qu'il existe une fin alternative ?
La fin originale, que j'ai tournée au début, est différente de celle que vous voyez à présent. En effet, après quelques projections tests, nous avons eu des retours de spectateurs disant qu'ils avaient aimé le film mais que la fin n'était pas terrible. Elle n'était pas aussi effrayante que ce qui se produisait la nuit précédente, ce qui était un problème. A l'arrivée de Dreamworks sur le projet, Steven Spielberg a vu le film et a proposé une autre fin. Nous l'avons tournée, nous avons organisé une nouvelle projection test et constaté que cette nouvelle fin fonctionnait beaucoup mieux. Le public a même dit que c'était l'une de ses parties préférées du film. Nous l'avons donc conservée.
Et vous, qu'en pensez-vous vraiment ? Aimez-vous toujours votre fin d'origine ?
J'aime toujours ma fin mais j'aime aussi la nouvelle. Vous savez, il suffit de voir les réactions du public et des fans. Voir comment ils réagissent à cette nouvelle fin est très amusant et gratifiant parce qu'ils crient, bondissent de leur siège et s'amusent beaucoup.
Quel est votre film d'horreur favori ?
Celui qui m'a le plus effrayé quand j'étais petit est L'Exorciste. Bien sûr, il est difficile de dire que c'est mon préféré étant donné que je l'avais détesté à l'époque tellement il m'avait terrorisé. Il y a aussi Le Bébé de Rosemary et plus récemment Les Autres, Le Sixième Sens et bien sûr Le Projet Blair Witch. L'autre bon exemple que je citerais est Duel de Steven Spielberg, qu'il a fait à ses débuts. Ce n'est pas vraiment un film d'horreur mais plutôt un thriller. Cela dit, vous pourrez faire beaucoup de rapprochements avec mon film puisque vous ne voyez jamais vraiment le conducteur du camion, vous ne comprenez pas quelles sont ses motivations. Il apparaît un peu comme un démon parce que vous ne savez pas ce qu'il veut, si ce n'est qu'il n'abandonnera pas tant qu'il n'aura pas réussi à vous faire du mal. J'aime ce genre de films uniques en leur genre, pendant lesquels vous vous demandez ce qui se passe.
Propos recueillis par Elodie Leroy