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Nouvelle Donne : Interview du réalisateur et du scénariste

Le 13/06/2008 à 07:32
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Nouvelle Donne : Interview du réalisateur et du scénariste

Avec Nouvelle Donne, le cinéaste Joachim Trier signe un premier long métrage plein de sensibilité et d'énergie qui dresse le portrait d'une jeunesse bouillonnante, confrontée à ses rêves et à ses angoisses. Porté par une ambiance musicale punk rock, le film joue tour à tour la carte du drame et de la légèreté, évoluant au gré des états d'âme de ses personnages complexes et attachants. Ce petit phénomène venu de Norvège a déjà fait le tour du monde et arrive cette semaine dans les salles obscures françaises.

Nous avons eu la chance de rencontrer le réalisateur Joachim Trier et son scénariste Eskil Vogt, de passage à Paris à l'occasion de la sortie du film. La complicité était visible entre ces deux collaborateurs de longue date qui se sont volontiers prêté au jeu de répondre à nos questions.

 

Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?

Joachim Trier : Nous sommes de vieux amis. Il y a des années, nous travaillions tous les deux sur un show télévisé en Norvège. C'était un très mauvais jeu télévisé et nous étions assistants caméra. Comme la hiérarchie était très marquée dans ce milieu et que nous étions tous les deux assistants, nous avons été un jour amenés à déjeuner ensemble. Au bout de cinq minutes, nous étions déjà en train de parler de Godard. Nous avons réalisé que nous avions beaucoup de centres d'intérêt communs. Par la suite, lorsque j'ai réalisé mon premier court métrage, Eskil m'a aidé à écrire le scénario et c'est comme cela que tout a commencé. Nous sommes donc d'abord devenus amis vers l'âge de 19-20 ans, et ensuite nous avons travaillé ensemble à environ 20-21 ans. Par la suite, je suis parti faire mes études à la National Film School en Angleterre et Eskil est entré à la Fémis ici à Paris, mais nous avons continué à travailler ensemble sur des courts métrages. Entre temps, Eskil a lui aussi commencé à réaliser ses propres films, sur lesquels je ne travaille pas. Mais je suis bien content de l'avoir pour m'aider à écrire mes scénarios. Je suis gagnant ! (rires)


Nouvelle Donne : Interview du réalisateur et du scénariste

 

D'où vient l'histoire de Nouvelle Donne ?

Eskil Vogt : Elle date de la période où Joachim vivait à Londres et moi à Paris. A l'époque, nous travaillions sur un projet en langue anglaise, quand nous avons commencé à rassembler plein d'idées sur tout à fait autre chose. Le projet devait se dérouler à Oslo, parler de personnes que nous connaissions, d'histoires et de lieux dont nous avions entendu parler. Les personnages devaient être norvégiens. Ils devaient vivre dans telle rue, parler de telle manière. Soudain, nous avons ressenti le besoin de revenir en Norvège et de faire un film se déroulant dans cet environnement que nous connaissions par cœur.

Joachim Trier : Au départ, nous n'avions pas l'intention de faire un film avec des personnages aussi proches de nous. Comme le dit Eskil, Nouvelle Donne parle de personnes que nous connaissons et au début, nous avions un peu honte de faire un film à ce sujet. Mais au bout d'un moment, nous avons réalisé que c'était au contraire ce qu'il y avait de plus courageux de notre part. C'était un vrai défi.

 

Le film traite de sujets dramatiques mais débute sur une tonalité comique, notamment à travers une séquence très cartoon. Pourquoi cette entrée en matière ?

Joachim Trier : Ce que nous voulions faire, c'était combiner ces émotions extrêmes. C'était le plus grand challenge : raconter une histoire triste qui montrerait le caractère inexplicable de la folie, qui parlerait d'une amitié remise en question, et associer à tout cela un côté humoristique. Parce que la vie, c'est exactement cela, un mélange des deux. D'autre part, nous avons eu envie de jouer sur la forme. Les personnages ont un peu plus de vingt ans et à cet âge-là, on est un peu schizophrène sur le plan émotionnel (rires). Evidemment, en ce qui concerne Philip, c'est un état médical. Mais de manière plus générale, à cet âge-là, on saute rapidement d'une émotion extrême à l'autre.

Eskil Vogt : D'un côté, ces garçons sont très adultes, ils aiment parler de choses sérieuses. De l'autre, ils sont totalement immatures et ne savent rien des femmes. Nous voulions que la forme du film reflète cette dualité, à la fois le sérieux et la légèreté de ces jeunes.


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Les dialogues paraissent très authentiques. Avez-vous laissé aux acteurs une part d'improvisation ?

Joachim Trier : Oui et non. Tous les dialogues étaient écrits et il n'y avait pas vraiment d'improvisation sur le tournage. Cela dit, après avoir écrit une première mouture du scénario, nous avons organisé des répétitions avec les acteurs une fois le casting déterminé. J'ai filmé la plupart de ces répétitions et j'ai donné la vidéo à Eskil. Certaines choses très intéressantes s'étaient produites. Au moment de retravailler les personnages, nous avons corrigé certains dialogues et certaines parties du scénario en fonction de cela. C'était un processus d'aller et retour.

Eskil Vogt : Nous voulions que les dialogues sonnent vrai, que les spectateurs croient à ce qui était dit. Nous voulions insuffler une touche de réalisme, de façon à pouvoir se permettre de mettre en œuvre tout un tas d'idées par ailleurs, comme ces jeux sur la forme. Si tous les dialogues avaient été abstraits, personne n'aurait pu se sentir proche des personnages. Il était très important qu'ils apparaissent comme de vraies personnes.


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Comment avez-vous choisi les acteurs ?

Joachim Trier : Il y avait deux choses qui nous inquiétaient avec la Norvège. La première constituait d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'étais parti travailler en Angleterre des années auparavant. En fait, je ne voulais pas travailler avec des acteurs norvégiens parce que je trouvais qu'il y avait quelque chose de trop théâtral dans leur jeu. Pas forcément dans tous les films mais dans la plupart d'entre eux. Nous voulions donc tout d'abord questionner l'idée que seuls les acteurs de théâtre peuvent jouer dans les films norvégiens. L'autre souci était l'absence d'acteurs dans cette tranche d'âge. Nos personnages étaient trop jeunes. Nous avons donc organisé un gigantesque casting et auditionné des milliers de jeunes. Il est arrivé que nous choisissions par hasard un acteur très expérimenté, mais nous avons aussi choisi un vendeur de magasin de disques, comme cet acteur qui joue Geir [NDLR : Pål Stokka]. Tous ces backgrounds différents forment un ensemble intéressant.

Eskil Vogt : Il fallait absolument qu'une fois ces acteurs mis côte à côte, on puisse croire qu'ils étaient vraiment amis. Nous avons d'abord sélectionné deux paires : Kari et Philip, qui devaient être crédibles en tant que couple, puis Philip et Erik, qui devaient avoir une bonne alchimie et donner l'impression d'être chacun le meilleur ami l'un de l'autre. Ensuite, il fallait recruter le reste du gang. Il fallait là encore qu'ils soient immédiatement crédibles ensemble, parce qu'ils n'avaient pas beaucoup de temps à l'écran. Non seulement ça a fonctionné, mais les acteurs sont devenus amis dans la vie.

Joachim Trier : Ils sont d'ailleurs tous à Paris en ce moment même, tous les cinq !


 

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La musique joue un rôle très important dans le film. Comment avez-vous choisi les morceaux ?

Joachim Trier : Il y a en quelque sorte trois types de musique dans le film. Le premier, c'est la bande originale en elle-même, qui a été composée par Ola Fløttum du groupe The White Birch. En fait, nous écoutions sa musique tout en écrivant le scénario et nous avons eu la chance de l'avoir pour la bande originale. Ensuite, il y a les morceaux de Kommune, le groupe punk créé pour le film. Nous avons écrit les paroles et un membre du groupe Turbonegro a composé les chansons. Ensuite, il y a tous les titres originaux, comme ceux de Joy Division, The Jam, New Order, Le Tigre. Selon nous, il était impossible de faire un film authentique sur des personnes de cet âge sans inclure de telles références. Souvent, quand vous faites un film sur des jeunes, on vous donne un CD avec une série de titres de nouveaux groupes qui arrivent l'année prochaine. Il n'y a aucune authenticité là-dedans. Nous avons préféré utiliser des classiques parce que beaucoup de jeunes écoutent de la musique plus ancienne, des titres d'époques différentes. De plus, cela nous permettait de nous immerger à nouveau dans la période post-punk.

Eskil Vogt : Pour certaines scènes, nous avions déjà fait un choix de chanson dès l'écriture du scénario, comme c'était le cas avec le titre de Joy Division. C'est pourquoi, nous avons commencé très tôt à collecter les droits. Pour certains titres, nous avons réussi à les obtenir. Pour d'autres, nous avons dû trouver autre chose.


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Vous semblez accorder une réelle importance à l'esthétique. Est-il naturel pour vous, en tant que réalisateur, de vous exprimer à travers la dimension visuelle ?

Joachim Trier : Absolument. En fait, mon idéal est de parvenir à faire quelque chose de visuellement émotionnel. Je ne pense pas que le cinéma ne véhicule des émotions qu'à travers les personnages. C'est très important, bien sûr, mais il n'y a pas de choix à faire entre les deux. On entend souvent des gens dire « ce réalisateur-ci ne fait que du cinéma visuel, tandis que celui-là ne fait que des films à scénario ». Je déteste entendre ça. Un film doit réunir les deux, c'est mon idéal. Des réalisateurs tels que Kubrick ou Tarkovsky sont mes héros. Leur mise en scène est très émotionnelle, ce qui n'empêche pas tout le reste d'exister. Qu'il s'agisse de l'image, du son, tous ces aspects sont importants et forment un tout. Pour ma part, je travaille en étroite collaboration avec mon chef opérateur, Jakob Ihre. Il avait déjà travaillé sur mes courts et nous sommes très proches. Nous formons une sorte de bande, entre Eskil, le chef opérateur, le monteur et moi-même ... nous sommes tous très amis et nous partageons la même sensibilité esthétique.


Nouvelle Donne : Interview du réalisateur et du scénariste

 

Comment les jeunes ont-ils réagi au film en Norvège ?

Eskil Vogt : Il y a eu une projection test et quand elle a été planifiée, quelqu'un m'a dit qu'il y aurait des adolescents dans la salle. J'étais très réticent parce que je pensais qu'ils étaient trop jeunes, qu'ils n'allaient rien comprendre. Et finalement, ils ont adoré ! (rires) Nous avons vraiment été surpris de voir que même des jeunes de cet âge pouvaient s'identifier aux personnages.

Joachim Trier : Le plus important, c'est que le film a traversé les frontières. Il est sorti dans trente pays, y compris aux Etats-Unis le week-end dernier. Beaucoup de jeunes sont allés le voir à travers le monde, et nous en sommes vraiment très heureux. Nous voulions absolument faire un film qui ne soit pas condescendant envers les jeunes. Dans beaucoup de films sur les personnes de cet âge, l'enjeu se résume à « le garçon va-t-il décrocher la fille ? ». Nous avions envie de montrer que les jeunes de la vingtaine peuvent avoir des problèmes complexes et nous avons aussi fait le film pour eux. Nouvelle Donne étant norvégien, il est facile de l'estampiller "film d'art et d'essai". Or nous avons cherché à faire un film à la fois exigeant artistiquement et accessible aux jeunes. Dans beaucoup de pays, ils ont aimé et nous espérons que la même chose se produira en France.

Eskil Vogt : Nous avons tenté d'insuffler au film cette énergie qui caractérise la jeunesse.

Joachim Trier : C'est le genre de film que nous avions envie de voir quand nous avions le même âge. Nous étions cinéphiles, nous regardions les films de Godard. Mais nous avions aussi beaucoup d'amis avec d'autres centres d'intérêt et qui avaient un peu peur de ces vieux films d'auteur. Nous avons tenté de combiner ce milieu d'où nous venions avec quelque chose de plus expérimental.

 

Toute cette culture des jeunes se mêle à des références très intellectuelles dans le film.

Joachim Trier : J'espère que ces références parlent à ceux qui les comprennent, mais qu'elles ne constituent pas une barrière pour ceux qui ne les connaissent pas. Admettons que je regarde un film de boxe et qu'ils se mettent à parler de techniques de boxe. Même si je n'y connais rien, à partir du moment où l'histoire m'intéresse, cela ne m'empêchera pas d'apprécier le film.

Eskil Vogt : En même temps, toutes ces références aux techniques de boxe et au matériel sont nécessaires pour que l'environnement soit réaliste et que les personnages soient crédibles, parce que c'est de cette manière que s'expriment le genre de personnes concernées. C'est la même logique ici, avec ces étudiants. Les codes doivent être respectés.


Nouvelle Donne : Interview du réalisateur et du scénariste

 

(A Eskil Vogt) Vos études en France ont-elles influencé votre vision du cinéma ?

Eskil Vogt : Nous sommes tous les deux de grands fans de cinéma français, mais aussi de littérature française. C'est d'ailleurs au départ pour cette raison que je suis venu étudier en France. Par la suite, bien sûr, j'ai réalisé que les films que j'aimais n'étaient pas forcément représentatifs de ce que les Français allaient voir. Mais je pense que la France a toujours été un pays où des choses intéressantes se produisaient. Et même s'il n'y a parfois que peu de bons films chaque année, c'est quasiment le seul pays où il y en a continuellement.

 

Quels cinéastes français appréciez-vous particulièrement ?

Joachim Trier : Nous sommes de grands fans d'Arnaud Desplechin. Je n'ai toujours pas vu son dernier film et je suis impatient. C'est un réalisateur très intéressant, de même que Philippe Grandrieux. J'aime aussi beaucoup les films de Claire Denis. Beau Travail a eu un énorme impact sur moi, ainsi que sur mon chef opérateur.

 

Votre prochain projet ?

Joachim Trier : Nous sommes en train de l'écrire !

Eskil Vogt : Nous avons besoin de temps parce que ce sera quelque chose de complètement différent et d'assez compliqué. Mais nous sommes déjà arrivés à mi-parcours.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy








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