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Quartier Lointain : Interview de Sam Garbarski

Le 26/11/2010 à 19:16
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Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

Adaptation du célèbre manga de Jiro Taniguchi, Quartier Lointain projette un homme cinquantenaire dans son passé pour revivre une journée de ses 14 ans avec sa conscience d'adulte. Réalisateur du film à qui l'on devait déjà Irina Palm, Sam Garbarsky nous a accordé un peu de temps pour nous parler du film, avec un enthousiasme sincère. Le cinéaste revient sur la genèse du film, sa rencontre avec Jiro Taniguchi, son travail avec les comédiens du film et la musique du groupe Air.

 

Filmsactu.com : Pouvez-vous nous parler de votre découverte du manga de Jiro Taniguchi ?

Sam Garbarski : C'est Philippe Blasband, un ami qui est aussi co-scénariste sur le film, qui est venu me voir un jour. Il m'a dit : "J'ai un cadeau pour toi, je suis sûr que tu voudras en faire un film". C'est peut-être la raison pour laquelle je l'ai lu autrement que je l'aurais lu si je l'avais découvert dans d'autres circonstances. Quoiqu'il en soit, quand j'ai refermé le manga, j'étais transporté. C'était une histoire fabuleuse et je devais en faire un film.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

L'écriture du manga a quelque chose de très cinématographique chez Taniguchi.

Elle est terriblement cinématographique. En même temps, c'est un vrai piège parce que la lecture d'un manga ne ressemble pas du tout à celle d'un film. Il aurait été formidable de pouvoir cadrer en hauteur pour filmer la montagne, mais c'est impossible à faire dans un film. Il y a aussi la question du rythme. Quand on lit un manga, on choisit soi-même le temps que l'on veut passer sur une case, alors que le rythme est imposé au cinéma. Il fallait aussi se défaire du charme du manga, qui est énorme sur le plan du fond comme de la forme. D'ailleurs, à travers la forme, c'est le fond qui a percé et c'est pourquoi le manga est aussi joliment épuré. Je l'ai tellement aimé que m'en défaire était un travail très fastidieux. D'autant qu'il fallait ensuite retrouver ce qui nous avait tant plu dans l'original. Nous étions trois pour écrire et nous n'étions pas de trop.

 

Qu'est-ce qui vous a personnellement touché dans cette histoire ?

D'abord, je crois que l'histoire est universelle. C'est ça qui est beau. Qui n'aurait pas envie de revenir à la période de ses 14 ans, de poser des questions à son papa, de dire à sa maman qu'elle est belle ou inversement à son papa qu'il est beau, d'approcher cette fille ou ce garçon qu'on n'avait pas osé regarder. Ce sont des voyages imaginaires que tout le monde fait. Ce qui est joli, c'est que Jiro est un mangaka, donc baigné dans une culture à l'opposé de la notre, et qu'il nous raconte une histoire qui aurait pu se dérouler n'importe où. C'est aussi une histoire très pure, ce qui s'exprime magnifiquement dans ses dessins, avec cette épure du trait.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

Transposer l'histoire en France ne vous a donc pas posé de difficulté ?

Etrangement, il ne s'agissait pas là du vrai problème. D'ailleurs, quand Jiro est arrivé en France pour nous rendre visite sur le tournage à Nantua, il a ouvert grand ses yeux en voyant le décor, les comédiens. Et il avait les mêmes yeux que Hiroshi, le personnage du manga. Il s'est retrouvé dans ce village. Si vous regardez sa page Facebook, vous retrouverez au jour le jour ses commentaires qui traduisent beaucoup mieux ce qu'il a ressenti que tout ce que je pourrais vous dire. Il a dit de si jolies choses que je suis gêné de les répéter.

 

Avez-vous apporté des éléments personnels de votre histoire dans le film ?

Je vais citer un auteur que j'admire. Amos Oz a dit : un bon lecteur ne cherche pas des traces biographiques de l'auteur mais ses propres traces dans l'histoire. Pour ma part, je crois être un bon spectateur parce que je me retrouve très facilement dans les histoires des autres, qui sont à mes yeux plus intéressantes que la mienne. Et pendant la lecture du manga, cette histoire est devenue un peu la mienne. Evidemment, j'ai ajouté plein de petites madeleines de Proust, comme la montre de mon père, sa voiture ou ses polos. Il y a tout un tas de détails que j'ai intégrés. Mais l'histoire, bien sûr, n'est pas la mienne. Ce n'est d'ailleurs pas non plus celle de Taniguchi. Ni son père ni le mien ne sont jamais partis. Mais les éléments biographiques peuvent être aussi les angoisses ou les peurs que l'on a eues quand on avait 14 ans. Nos pères auraient pu partir. Nous avons pu ressentir cela pendant notre adolescence parce qu'il y avait des moments difficiles dans la famille. On a connu ce genre de peurs et par la suite, on les extériorise dans un film ou dans un manga.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

L'adolescence est une période charnière de la vie. Qu'est-ce qui vous semblait passionnant dans le fait de situer cette histoire pendant cette période ?

Déjà, c'était dans l'histoire d'origine. D'autre part, je pense que si le départ du père se produit pendant l'adolescence, c'est particulièrement terrible. Si cela arrive quand on est enfant ou au contraire plus âgé, ce n'est jamais facile, mais on le gère autrement. A l'adolescence, quand on est pressé de devenir adulte mais qu'on ne l'est pas encore, c'est sans doute le moment le plus dur pour l'accepter. On croit que l'on comprend alors qu'en fait, on ne comprend rien. Et après, il faut grandir, il faut vivre avec ça. D'ailleurs, il y a beaucoup de voyages à faire avec l'histoire. On peut aussi la voir comme le cheminement intérieur d'un artiste qui s'apprête à quitter sa famille et qui se rend compte que c'est une erreur.  Au lieu de s'allonger sur un divan chez un psy, il est en train de commettre un acte artistique et d'écrire l'histoire que l'on voit dans le film.

 

On ressent très fort le regard de Thomas sur son père. Jonathan Zaccaï joue très bien le père parce que l'on sent qu'il se passe beaucoup de choses dans sa tête mais qu'il ne les extériorise pas. Comment avez-vous travaillé cet aspect avec lui ?

C'était un très beau voyage pour nous deux. Jonathan est un ami de longue date, il a déjà joué dans mon premier film, Le Tango de Rashevski. Au départ, il ne voulait pas faire ce rôle. Il trouvait cela inconcevable et pensait qu'il ne serait pas crédible dans le rôle d'un personnage qui quitte sa famille comme ça, brusquement. Il craignait de ne pas y arriver parce qu'il fallait tout garder en lui, sans exprimer ce que ressentait cet homme qui se rend compte qu'il n'a jamais choisi sa vie. C'est vraiment un rôle de composition pour lui, ne serait-ce que pour l'émotion retenue que j'avais tant aimé dans le manga. Or Jonathan est quelqu'un de très exubérant, d'extraverti, et là il devait tout retenir. C'était un beau travail et il a très bien réussi à le faire.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

Le départ du père pose aussi la question de l'écart entre ce que l'on avait rêvé d'être et ce que l'on est. Avons-nous fait les bons choix? Sommes-nous devenus la personne que nous voulions être?

Oui. Il y a des moments dans la vie, et pas seulement à quarante ou cinquante ans, où l'on se pose ces questions. J'ai fait une tournée dans les lycées après avoir gagné le Prix des Lycéens en Belgique avec Irina Palm. Je n'ai rencontré que des ados entre 14 et 18 ans et ils m'ont demandé quel serait mon prochain film. J'ai parlé de Quartier Lointain et j'ai été étonné de voir à quel point les jeunes s'identifiaient à cet homme de cinquante ans. Ils avaient tous déjà vécu des moments qu'ils fantasmaient de revivre, parce qu'ils les avaient ratés ou qu'ils voulaient faire les choses autrement. C'est finalement très humain. Mais le bon côté de l'histoire, c'est que si cela nous arrivait, je ne suis pas sûr que nous changerions quoique ce soit. Si l'on change quelque chose d'essentiel, ne va-t-on pas effacer d'autres choses ? Par exemple, si vous avez des enfants, est-ce que vous les auriez toujours en changeant le passé ?

 

Un peu comme dans L'Effet Papillon !

Tout à fait. Jaco van Dormael a aussi traité ce sujet dans Mr Nobody. Il y a des moments, dans la vie, où l'on opère des choix instinctivement. Il est merveilleux de pouvoir faire de manière imaginaire ce voyage et de se rendre compte que les choses se passent finalement comme elles devaient se passer. C'est rassurant et c'est bon pour le présent.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

Comment avez-vous travaillé avec Léo Legrand, qui joue Thomas adolescent ?

Il est archi talentueux. Il n'avait que 13 ans au moment du tournage et c'est déjà un vrai comédien. Nous avons beaucoup répété et nous avons eu la chance que Pascal (Greggory, qui incarne Thomas adulte, ndlr) soit libre pendant les répétitions. De cette façon, Léo a vu un adulte jouer son rôle. En plus, son père est comédien amateur, donc il a été très soutenu.

 

Quelle compréhension avait-il de l'histoire ?

C'est très surprenant. Il y a beaucoup de genres de comédiens, mais à mes yeux, deux catégories se distinguent. Il y a ceux qui entrent vraiment dans un rôle, à qui il faut détailler ce qu'il y a derrière l'histoire, au point qu'ils peuvent se perdre dans le rôle et mettre des mois à en sortir. Mais lui, il ne veut pas trop d'histoires derrière l'histoire. Il peut fabriquer tout ce que vous voulez, même l'émotion, c'est ça qui est incroyable. Il y a des acteurs qui ont cette capacité. Robert Mitchum l'avait. C'était quelqu'un qui allait sur un tournage comme il irait au bureau ou à l'usine. Avec Léo, je me suis parfois fatigué à lui expliquer le fond de l'histoire et il n'en avait pas besoin. Il me demandait ce que je voulais et il le fabriquait. Il ira très loin pour cette raison.

 

Comment avez-vous travaillé le style visuel du film pour imprimer ce mélange de réel et d'onirisme ?

Je me suis juste laissé emporter par ce que j'ai tant aimé dans le manga. J'ai essayé de retrouver cette épure qui émane du fond de l'histoire dans les décors que j'ai choisis. Nous avons aussi essayé de retrouver le rythme. Au Japon, on parle de ma. Ce sont ces moments où rien ne se passe, où tout est suspendu, comme dans les films d'Ozu. Ces passages paraissent lents pour ceux qui ne rentrent pas dedans, mais pour les autres, ce sont des moments très forts, parfois plus que les dialogues ou les gestes explicatifs. J'espère avoir un peu retrouvé de cette âme qu'il y a dans le manga.

 

Interview : Sam Garbarski (Quartier Lointain)

 

Plus généralement, est-ce que le cinéma japonais vous inspire ?

Bien sûr. Mais j'aime tous les cinémas. Comme dans la littérature ou la peinture, on peut aimer des opposés. Il est vrai que le cinéma japonais à un côté esthétique que j'aime beaucoup. Mais j'aime autant Fellini, Chaplin ou Scorsese. Dans le cas de ce film, c'est ce manga précisément qui m'a charmé et m'a donné envie de faire ce voyage.

 

Avez-vous eu l'occasion de parler cinéma avec Jiro Taniguchi ?

Bien sûr ! Nous venons de passer une semaine ensemble en voyage de presse, et nous avons beaucoup bavardé. C'est un fou d'Ozu, mais par ailleurs, il a lui aussi des goûts très hétéroclites. Il vit un peu reclus dans son village, mais il s'intéresse à tout.

 

Comment avez-vous convaincu Air de composer la bande originale ?

C'est grâce à ma productrice. Mais ce qui est formidable, c'est qu'ils avaient adoré mon film précédent, Irina Palm, et qu'ils étaient fans depuis longtemps de Taniguchi. Donc ils étaient très vite partants. Je vais d'ailleurs vous raconter une anecdote. Il y a quelques jours, nous avons mangé à Paris avec Jiro Taniguchi, le producteur et le distributeur. Il m'a demandé pourquoi j'avais choisi Air pour la musique. Je lui ai dit que je croyais bien qu'en lisant le manga, je l'avais dans mon lecteur, ou du moins j'avais leur musique dans la tête, qu'elle faisait partie de la lecture. Il m'a dit : "Ce n'est pas possible ! J'ai dessiné le manga en écoutant Air !". Il a tous les albums d'Air. C'est une jolie histoire. Je crois qu'il s'est passé quelque chose.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy








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