Still Walking : Interview de Hirokazu Kore-Eda
Le 22/04/2009 à 08:08Par Elodie Leroy
Filmsactu : Les personnages de Still Walking s'inspirent-ils de personnes réelles ?
Hirokazu Kore-Eda : Le film s'inspire d'un fait réel, à savoir la mort de ma mère, mais il s'agit tout de même bel et bien d'une fiction. Les personnages que vous voyez dans le film ne correspondent donc pas à des personnes que j'ai connues. En revanche, il est vrai que les dialogues de la mère proviennent à 50% de paroles que ma mère a réellement prononcées. De même, la relation du fils avec son père, une relation très étrange et assez distante, sont aussi le reflet des rapports que j'avais avec mon propre père. Mais le film reste une fiction et tous les personnages sont donc imaginés.
Still Walking parle de la mort mais n'est pas un film sinistre. Il y a au contraire beaucoup de couleurs. Comment avez-vous travaillé ce contraste entre la vie et la mort ?
Je ne voulais pas faire un film qui sentait trop la mort. D'une part parce que c'est une histoire très personnelle et d'autre part, parce que les spectateurs auraient pu se décourager et se fermer à ce que je voulais leur dire. Je pensais qu'il valait mieux montrer un être bien vivant, avec toute sa vigueur et son énergie, afin de figurer combien la vie était transitoire. Selon moi, c'était beaucoup plus intéressant que de parler directement de la mort. Je voulais montrer la vie menacée dans sa fragilité, avec la mort tout autour, sans faire un film sinistre. La mort est là mais entre temps il y a la vie. Par exemple, lorsque le fils cadet revient après des années, il découvre avec stupeur et frayeur le carrelage abîmé et la rampe posée pendant son absence. Cela vous donne tout de suite la notion de la fragilité de la vie, de l'imminence de quelque chose qui peut arriver dans la vie de ses parents. Ensuite, même si je montre la mère très dynamique et le père qui fait son footing, on a toujours cette image en tête.
La nourriture et l'eau sont des éléments omniprésents dans le film. Peut-on y voir une valeur symbolique ?
Je ne dirais pas qu'il y a quelque chose de symbolique. J'ai surtout voulu montrer de la manière la plus concrète possible ce qui se passe à l'intérieur d'une maison, quand les gens se réunissent. La nourriture est un élément très présent de l'histoire pour faire contrepoids à l'absence du fils aîné. La famille se retrouve à cause de cette absence et compense par l'excès de nourriture. Mais il me tenait à coeur de le montrer très concrètement les choses. J'ai voulu montrer les mains de la mère dans l'évier, faire ressortir les couleurs ou le bruit du maïs que l'on écosse, tout ce qui remplit l'espace créé par cette absence.
Les personnages féminins semblent mener la famille, en particulier celui de la mère de Ryota. Selon vous, est-ce quelque chose de spécifiquement japonais ?
Pour moi, l'histoire de ce film était au départ celle d'un homme petit, un peu étriqué, avec au contraire une femme forte. C'est peut-être ma vision du monde, je pense que les femmes sont plus fortes, plus énergiques, plus imaginatives que les hommes qui ont au contraire un côté effacé. Je crois que c'est comme cela qu'une maison fonctionne bien, quand on laisse une place aux femmes fortes. Quand j'ai montré le film à San Sebastian en Espagne, certains spectateurs ou critiques m'ont dit que cela se passait exactement de la même façon chez eux : les femmes sont les reines de la maison, du foyer. Je leur ai répondu que c'était comme cela que tout se passait pour le mieux, qu'il valait mieux leur laisser la place centrale à l'intérieur de la famille. Je pense que c'est comme cela dans le monde entier.
Dans un autre film japonais, Tokyo Sonata, il y a un homme qui cache à ses proches qu'il a perdu son emploi afin de conserver une image d'autorité. Pensez-vous que cette remise en question de l'autorité paternelle soit d'actualité au Japon ?
Je n'ai pas essayé de réfléchir à la position ou à l'image des hommes dans la société actuelle. Ce n'était pas mon propos. J'ai avant tout essayé de raconter une histoire très simple à partir de la mort de ma mère. Effectivement, elle joue un rôle principal mais il se trouve que c'est universel. A partir de là, parler de la fragilité de l'homme ne me préoccupait pas. Les spectateurs peuvent se faire leur opinion par eux-mêmes et c'est la différence avec Tokyo Sonata, où la mise en perspective est différente.
Comment dirigez-vous vos acteurs pour atteindre un tel niveau de naturel ?
Pour ce film, j'ai écrit le scénario très en détail. J'ai fait aussi beaucoup de répétitions. J'ai beaucoup parlé avec les acteurs et comme nous tournions dans un espace assez restreint, je n'ai pas montré le jeu mais uniquement les déplacements. En fonction de cela, je m'apercevais parfois que les dialogues étaient trop longs et je les raccourcissais afin que tout semble naturel.
Vous avez dit que si les personnages étaient fictifs, les répliques de la mère étaient à 50% des choses qu'a pu dire votre propre mère. Comment avez-vous choisi cette actrice, Kirin Kiki, qui avait donc une certaine responsabilité sur les épaules ?
Lorsque je lui ai demandé de jouer le rôle, je lui ai clairement dit dès le début : "Attention, tu ne seras pas ma mère". Même s'il y a dans le film des souvenirs personnels, elle devait jouer le rôle d'un personnage qui s'appelle Toshiko, une personne à part entière. Il ne s'agissait pas d'une autobiographie donc elle n'avait pas à reproduire ou à copier quoique ce soit de ma mère. C'était très clair dès le début. Pour ce qui est du choix de l'actrice, je la connaissais, je l'aimais bien mais elle avait surtout joué pour la télévision. Elle n'avait jamais eu l'occasion de jouer un rôle sur toute la longueur d'un long métrage et j'avais envie de voir ce que cela pouvait donner. Elle me rappelait quand même quelque chose de ma mère. Elle avait quelque chose de caché en elle, une certaine cruauté qui lui permettait de dire des choses très vaches tout d'un coup sous des dehors de bonhomie. Cela me plaisait beaucoup et me rappelait ma mère. Elle avait ce côté mordant, pète-sec.
Comment se sont fait les repérages pour la maison. Votre expérience dans le documentaire a-t-elle influé sur la manière de filmer ce lieu ?
En ce qui concerne le décor, il a été construit en studio mais nous nous sommes inspirés de visites que nous avons faites. Nous avons vu beaucoup de maisons de médecins avec des cliniques attachées et leur disposition est toujours un peu la même. Il y a la salle d'entrée, la salle de consultation et la famille qui vit au fond. Quant à mon expérience de documentariste, je ne peux pas dire qu'elle ait joué un rôle particulier, si ce n'est que le plus important, pour la fiction comme pour le documentaire, est l'observation. Je n'allais pas donner à chacun des places arbitraires et j'ai donc observé comment les choses se mettaient en place. Il faut d'abord regarder comment on vit dans tel espace, comment les enfants se l'approprient, où s'assoit le père. Après, tout est une question de confiance entre les acteurs, moi-même et l'espace. Peut-être que cela vient de mon expérience de documentariste mais quoiqu'il en soit, ce qui est important est d'observer et pas de diriger.
Dans le film, l'espace confiné oblige les personnages à se parler, à aller l'un vers l'autre. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?
L'espace correspond à celui d'une maison japonaise classique, mais ce qui est difficile est de le filmer. La spécificité des maisons japonaises est qu'il n'y a pas de réelle séparation entre les pièces. Elles sont séparées par des parois coulissantes et on entend ce qui se passe dans une pièce même si l'on se trouve dans celle d'à côté. Toute la difficulté était de rendre ce qui se trouve hors champ et il fallait pour cela effectuer tout un traitement sonore afin d'agrandir l'espace.
Parlez-nous de la caméo de Susumu Terajima dans le film...
Susumu Terajima est dans tous mes films ! Nous sommes amis donc je lui donne toujours l'occasion d'apparaître quelque part. Je pense qu'il a un rôle qui lui convient très bien ! (rires)
Propos recueillis par Elodie Leroy et Eric Vernay (Fluctuat.net)
Remerciements à Matilde Incerti