Xavier Dolan : "J'ai envie de jouer. C'est ce que je vais faire ces prochaines années." interview
Le 16/10/2019 à 15:00Par La Rédaction
La sortie de Matthias et Maxime dans nos salles a été l'occasion de nous entretenir avec le passionnant Xavier Dolan en compagnie d'autres journalistes.
Après John F Donovan, le québécois a choisi de revenir à un cinéma plus intime tourné chez lui au Québec avec ses potes afin de parler d'amitié.
Voici un compte rendu de cette table ronde en compagnie de Xavier Dolan.
"C'était l'histoire que j'avais envie de raconter. Une histoire entre amis. En l’occurrence, entre mes amis et moi." Xavier Dolan
Qu'est ce qui t'a fait revenir vers un cinéma plus intimiste, après John F Donovan ?
Xavier Dolan : C'était l'histoire que j'avais envie de raconter. Une histoire entre amis. En l’occurrence, entre mes amis et moi. Ce n'est pas nous non plus notre bande, ce ne sont pas nos personnages, nos vies, mais j'avais envie d'un film entre amis. Donc par prescription, ça allait être un film tourné chez moi, dans ma langue. Les choses s'imposaient d'elles mêmes. J'aurais pu le faire n'importe où ce film d'amis, j'aurais pu le faire en anglais, mais pourquoi ? J'avais envie de le faire avec mes amis. C'était le but, je crois. Est ce que c'est l'idée de faire un film sur des amis qui me force à le faire avec des amis ? Ou est ce que c'est l'idée de faire un film avec mes amis qui me force à faire un film au Québec ? Je ne peux pas vous expliquer ce qui a préséance dans cette réflexion. En tout cas, j'avais envie d'un film sans variable inconnue, sans surprise, sans problème. Je savais qu'en faisant ce film là avec mes amis, chez moi, on serait dans un terrain connu où il y a déjà tellement d'inconnues justement qui sont maîtrisées, parce qu'on est chez soi, on est avec les siens.
Est-il difficile de retranscrire certains aspects d'une bande de potes masculins ?
Dans « Matthias & Maxime », cette énergie, cette dynamique de groupe c'est celle de mon groupe. Les blagues, les références sont souvent inspirées de celles qui sont les nôtres si ce ne sont pas littéralement les nôtres. Donc non il n'y avait pas de difficultés à retranscrire cette amitié, c'était même assez facile, assez aisé comme travail d'écriture, c'était très abondant. On l'a fait ensemble, ils sont venus à la maison, on a lu le texte à voix haute, on a confronté nos idées, on a argumenté, créé, réécrit, retravaillé le texte en fonction des forces de chacun. Ça a été particulièrement agréable en fait.
"Je suis quelqu'un d'affectueux, de physique, j'aime toucher les gens, j'aime les prendre dans mes bras."
Qu'est ce que tu as appris de l'amitié en faisant ce film ?
Ce n'est pas la première fois que je travaille avec des amis. Anne Dorval, Suzanne Clément sont mes amies. Quand j'ai commencé à faire Juste la fin du monde, je n'étais pas encore ami avec Léa, Gaspard ou Marion, mais je ressentais déjà une amitié pour eux, une affection. Donc j'ai l'impression d'avoir toujours travaillé dans l'amitié dans ma vie avec les gens. Je n'ai jamais eu de rapport froid et distant avec quelqu'un. Les fois où ça a été le cas, ça a été des expériences malheureuses. Ce n'est pas arrivé souvent mais c'est arrivé. Mais je suis quelqu'un d'affectueux, de physique, j'aime toucher les gens, j'aime les prendre dans mes bras. Quand j'aime une scène, je bondis et j'aime leur montrer mon affection que ce soit physiquement ou verbalement.
Mais là en l'occurrence, c'est vrai que c'est mon cercle d'amis immédiat, et la plus belle découverte pour moi, le plus bel apprentissage c'est de voir la facilité avec laquelle ils se remettent en question comme moi je me remets en question. Et qu'il n'y ait eu aucun égo entre nous, qu'on a travaillé ensemble de façon tout à fait professionnelle sans jamais remettre en question les choix des uns des autres. On voulait, en jouant ensemble, s'impressionner parce qu'on s'admire... On pouvait se critiquer, travailler ensemble, créer sans aucun scrupule, sans aucun orgueil. Ça a été une réitération, d'autant plus importante, parce que ce sont des jeunes amis qui ont mon âge et qui sont arrivés avec une ouverture d'esprit, mais sans aucune sensibilité ou fragilité par rapport au travail, par rapport à la création. Ils étaient extrêmement professionnels. On a quand même énormément déconné entre les prises, il faut se le dire, mais au moment où on tournait, il y avait un vrai sérieux, une vraie rigueur et un vrai plaisir d'être juste le meilleur possible.
"Je suis presque amoureux de mes amis sans aucun malaise, sans aucune toxicité ou ambiguïté."
Est ce que tu as la même relation en amour qu'en amitié, parce que tu parles souvent d'amitié comme si c'était de l'amour ?
Pour moi c'est ça l'amour, présentement dans ma vie. Je suis presque amoureux de mes amis sans aucun malaise, sans aucune toxicité ou ambiguïté. Mais finalement quand on y pense, la différence entre l'amour et l'amitié c'est la sexualité. L'amitié, c'est de l'amour sans physicalité.
Est ce qu'il y a eu une scène plus difficile à tourner qu'une autre ?
Les scènes les plus difficiles ce sont les scènes les plus techniques. Les scènes entre nous, pour le genre d'acteur que je suis, pour le genre d'acteur que eux sont, les espèces de dynamiques de groupe où on est plusieurs autour d'une table ou en train de jouer à un jeu, que ce soit dans le rire, dans la colère, c'est un bonheur. Je ne vais pas dire que c'est facile de jouer ça, mais c'est inspirant de jouer ça. Ce sont les petites scènes, les petites technicalités, les trucs les plus simples qui s'avèrent souvent les plus ardues à apprivoiser, à comprendre ou à structurer en terme de plan. Ce sont les choses techniques qui sont les plus complexes. Mais les grosses scènes de groupe où on s'engueule, où on se bat, c'est très excitant de tourner ça.
"La peinture d'une génération, elle est dans le verbe, dans le langage et dans la dynamique que les gens ont l'un envers l'autre et dans les propos qu'ils tiennent plus que dans nos volontés de la dépeindre visuellement."
Tu dis souvent que la musique arrive avant une scène, est ce que c'était pareil pour ce film ?
Oui, il y avait certaines chansons qui étaient là depuis le départ et puis d'autres qui sont arrivées en cours de route, d'autres qui arrivent pendant le tournage, d'autres pendant le montage. Il y a des chansons aussi que l'on désire tellement utiliser mais on se fait dire non par les gens. Ils refusent sans raison. Et il y a des gens qui donnent leur chanson à d'autres films, que ce soit des gros films ou des films très indépendants qui font les festivals, donc tu n'arrives pas à comprendre pourquoi cette personne te dit non. Tu te demandes si c'est tout à fait personnel. Mais oui la musique était là très tôt dans le processus comme toujours.
Est ce que tu avais une volonté de peindre une génération à travers l'esthétisme de certaines scènes ?
Si on évoque la peinture artistiquement et esthétiquement, non. C'est un film qui est assez simplifié où on voulait une caméra à l'épaule, très sportive, très dynamique qui épouse les mouvements des personnages. Les éclairages étaient assez neutres, on voulait avoir une lumière blanche, jouer avec la surexposition de certaines tâches de lumière, que les décors soient assez réalistes pour ne pas dire parfois naturalistes. La scène où ils s'embrassent est la seule qui est réfléchie de façon esthétique, tout le reste du film est pensé de façon personnagière, psychologique. La caméra est présente mais on essaye de simplifier les effets, la caméra est à l'épaule, un plan large, des gros plans. Sur le plan formel, je ne vais pas dire qu'il est improvisé, les choses sont calculées, les choses sont prévues, sont écrites, mais le but de ce film c'est d'être plus frontal, plus direct, plus droit, plus simple à l'exception de cette scène qui est le point culminant du film où tout à coup, j'avais envie de rentrer dans une réalité plus romantique. Ça marchait d'être plus esthétisant, d'être formellement plus créatif. Pour moi la peinture d'une génération, elle est dans le verbe, dans le langage et dans la dynamique que les gens ont l'un envers l'autre et dans les propos qu'ils tiennent plus que dans nos volontés de la dépeindre visuellement.
"J'ai envie de jouer. C'est ce que je vais faire dans les prochaines années."
Est ce qu'il y a une raison particulière pour laquelle tu as joué dans ce film ?
Non, en fait je pensais même ne pas le jouer. C'est un ami à moi qui m'a convaincu du contraire, qui m'a dit : « Je pense que tu vas regretter de ne pas jouer avec tes amis et que ça va être extrêmement frustrant de voir quelqu'un d'autre jouer avec eux ». Mais j'avais envie de jouer, j'ai envie de jouer. C'est ce que je vais faire dans les prochaines années.
On t'a récemment vu dans Boy Erased et dans ça 2, est ce que c'est important pour toi de jouer pour d'autres réalisateurs ?
L'allégorie est un peu vulgaire mais jouer pour quelqu'un d'autre ou jouer pour soi c'est comme le plaisir à deux ou le plaisir avec soi. À un moment donné, on tourne en rond. Ce qui devient lassant avec le fait de jouer pour soi, c'est le fait que, contrairement au jeu où on joue pour quelqu'un d'autre, où on joue pour la caméra d'un autre, on a tellement l'envie de plaire à cette personne et cette même envie par rapport à soi c'est plutôt l'envie de ne pas se déplaire. C'est un jugement, un regard sur soi qui est presque entièrement basé sur les choses que l'on déteste de soi. Alors que l'on a une plus grande liberté, une plus grande acceptation de soi quand on joue pour les autres. C'est comme ça que je le ressens.
Tu as eu une référence de film pour « Matthias & Maxime » ?
Mes références pour les films c'est souvent des peintures ou des photos. C'est là dedans que je puise beaucoup plus que dans les films des autres. Ma référence pour « Matthias & Maxime » c'est tout simplement mon amitié dans la vrai vie avec ces gens. Il y a un sentiment de bande dans « Will Hunting » aussi quand même qui est important. C'est une référence pour « Matthias & Maxime » maintenant que j'y pense. Je repense à un ou deux plans ou peut être à un ou deux moments. C'est surtout un film sur Matt Damon mais il y a une bande dans le film et elle est importante.
Propos recueillis pour FilmsActu par Isabelle Marie-Saint-Germain (merci Isa !).