Editer un film des années 20 en Blu-ray est une gageure que Carlotta relève haut la main et démontrera aux plus réticents que le support sied à merveille aux films du patrimoine et pas seulement au cinéma dit contemporain. Ce qui éblouit dès le début du film, c'est l'incroyable stabilité de la copie (format AVC) notamment sur les arrière-plans aux fourmillements limités, une définition jamais ou rarement prise en défaut (les cartons de dialogues tendent à clignoter) pendant les deux heures du long métrage de Frank Borzage. La Haute-Définition est également flagrante au niveau de la clarté quelquefois diaphane des blancs, une luminosité renforcée qui tranche savamment avec des noirs parfois concis. Evidemment, le générique demeure constellé de scories variées, de points noirs et blancs, de rayures verticales, mais ces résidus tendent à s'amenuiser pour au final trouver un équilibre adéquat. Bien qu'omniprésent, le grain sait se faire relativement discret et la copie demeure plus altérée au moment des fondus enchainés ou lors de la fin de bobine intervenant environ toutes les 10 à 11 minutes. Toujours est-il que nous nous trouvons devant un travail d'orfèvre concernant la restauration que l'on peut aisément définir comme étant une remasterisation ultime. Proposé dans son format 1.20 respecté, le master HD met en valeur la photo N&B stylisée dont les contrastes apparaissent souvent et étonnamment tranchés et l'on se demande même si le film était aussi net lors de sa sortie à la fin des années 20. Enfin ne vous étonnez pas de l'écran noir d'ouverture apparaissant avant le générique et pour vous donner un dernier conseil, plongez-vous dans le noir complet afin de profiter au maximum de la beauté authentique de ce master HD.
Ce mixage mono 1.0 PCM ne fait pas d'esbroufe inutile et restitue généreusement la partition originale au piano créé par Ernö Rapée et William P. Perry. Certes, durant les rares accalmies, de petits craquements et un souffle se font entendre mais la piste mono ne manque pas d'ardeur. D'une belle fluidité, l'écoute garde un aspect "film ancien" qu'un remixage aurait complètement trahi. Notons tout de même que certains éléments sonores ajoutés en synchro avec l'image comme un jet d'eau ou un carillon, ainsi qu'un chant patriotique demeurent plus étouffés ou au contraire saturent quelque peu.
Intéractivité proposée en HD
Au Septième ciel (19min22)
Nous avions déjà écouté Hervé Dumont, historien du cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque suisse, sur le DVD de Tous les biens de la Terre. En 1992, notre interlocuteur avait signé une biographie consacrée à Frank Borzage intitulée "Frank Borzage : Sarastro à Hollywood". Comme il l'avait fait pour William Dieterle, Hervé Dumont dresse un portrait très éclairant de Frank Borzage illustré d'archives photographiques, tout en évoquant point par point les étapes importantes de sa vie professionnelle en abordant les thèmes récurrents de l'oeuvre du cinéaste (l'élévation de l'être humain grâce à l'amour avec un rejet du naturalisme, le triomphe de l'amour sur la mort) jusqu'à la réalisation de L'Heure suprême en 1927 qui ouvre la deuxième période de sa carrière. Alors âgé de 33 ans, Frank Borzage a derrière lui 55 films dont 38 courts-métrages à son actif, ainsi que 80 films en tant que comédien au service d'autres réalisateurs quand L'Heure suprême devient un succès mondial retentissant. De ses premiers succès en 1920 avec Humoresque, célèbre pour avoir été le premier film ayant obtenu une récompense artistique aux Etats-Unis, jusqu'à son engagement à la Fox aux côtés de cinéastes prestigieux comme John Ford, Raoul Walsh, Allan Dwan et surtout de Friedrich Wilhelm Murnau qui allait devenir l'inspiration principale de Frank Borzage, Hervé Dumont introduit in extenso la carrière du réalisateur avant de passer à une analyse captivante de L'Heure suprême. Le casting est donc longuement abordé tout comme la construction des décors représentant Paris, la photo et la réalisation de Frank Borzage elle-même avec un lot conséquent d'anecdotes liées au tournage pour le plus grand plaisir des cinéphiles. Le fond et la forme sont habilement liés dans l'analyse d'Hervé Dumont qui se clôt sur l'évocation de l'accueil dithyrambique du film (le tout premier Oscar du meilleur réalisateur est décerné pour l'occasion à Frank Borzage), notamment encensé par la mouvance surréaliste, et qui a engendré plusieurs remake depuis sa sortie dont un film éponyme sorti en 1937 avec James Stewart et réalisé par Henry King.
Hervé Dumont
Janet Gaynor et Charles Farrell
Frank Borzage - 11 avril 1958 (27min44)
A l'occasion d'une petite rétrospective qui lui est consacrée lors d'un festival de cinéma à Rochester (New York) en avril 1958, Frank Borzage revient sur sa carrière lors d'une interview enregistrée sur magnétophone, destinée à "l'histoire orale du cinéma américain". Si la durée totale avoisinait à l'origine les 45 minutes, la version proposée en fait 28 et se concentre sur les premières années de la carrière du cinéaste américain, sur ses grandes heures du muet et les débuts du cinéma parlant. Nous y apprenons que Frank Borzage a voulu être comédien dès l'âge de 13 ans, et qu'il se met à travailler très jeune dans une mine d'argent afin de se payer quelques cours d'art dramatique par correspondance. Des petits boulots pour survivre en passant par son arrivée à Hollywood jusqu'à ses premiers pas en tant que comédien et son premier film en tant que réalisateur, Frank Borzage se livre de manière inédite sur sa vie personnelle (il y parle de sa famille) et professionnelle, sans langue de bois (l'industrie hollywoodienne en prend pour son grade et lui a entre autre ruiné sa passion pour la comédie). A noter qu'il s'agit à ce jour de l'unique entretien audio connu de Frank Borzage. Comme d'habitude, un superbe montage de photos d'archives orne cet entretien absolument passionnant dans lequel vous apprendrez tout sur le style Borzage et les thèmes de prédilection du réalisateur (l'être humain, raconter une histoire sur des gens plutôt optimistes), sur sa passion des acteurs, sans oublier quelques souvenirs de tournage issus de l'époque du cinéma muet.
Screen Directors Playhouse : Day is done (25min27)
C'est toujours avec un grand plaisir que nous retrouvons ces fameux Screen Directors Playhouse que nous avions déjà chroniqués sur le coffret Allan Dwan et sur le DVD de Tous les biens de la Terre, tous deux édités par Carlotta. Pour rappeler le principe chaque cinéaste ou comédien de renom (Leo McCarey, Buster Keaton, Ray Milland...) était convié à réaliser un ou deux téléfilms pour le compte de la série prestigieuse Screen directors playhouse, créée par les Studios Hal Roach, dont les bénéfices étaient reversés à la Director's Guild. Dans ce court-métrage réalisé par Frank Borzage avec Rory Calhoun et Bobby Driscoll, le réalisateur transporte le spectateur pendant la guerre de Corée en 1951. Lors d'une mission, le soldat Zane découvre un clairon et apprend à se servir de l'instrument pour motiver ses hommes. Evidemment, Frank Borzage militant activement contre la guerre (les scènes de bataille de L'Heure suprême ont d'ailleurs été tournées par John Ford comme nous l'indique Hervé Dumont dans le premier segment), ce court-métrage antimilitariste montre des hommes plongés dans un conflit qu'ils ne comprennent pas, attendant des ordres qui ne viennent pas et qui perdent le sens du dialogue en échangeant des matricules et codes hiérarchiques. Ne manquez pas ce superbe film.
L'interactivité se clôt sur une superbe galerie photos (3min26) et les credits. Vous retrouverez également un livret exclusif de 28 pages réalisé par Hervé Dumont, comprenant de superbes photos du film et de son tournage, le tout annoté par l'historien du cinéma lui-même.