Comme il l'indique dans un petit encart, Victor Erice a lui-même supervisé le nouveau master de L'Esprit de la ruche. Usant des fondus enchaînés afin d'unifier les séquences et compte tenu des conditions techniques de l'époque, le cinéaste et son chef opérateur Luis Cuadrado décidèrent de contretyper la pellicule entière. L'inévitable augmentation du grain de l'image et la perte de couleur est donc volontaire et originelle. La texture et le grain uniforme, particulièrement accentué sur les plans extérieurs, demeurent respectés par Victor Erice sur ce nouveau master, contribuant à refléter l'atmosphère de l'époque. Le nouvel étalonnage a été réalisé sur support HDCAM sans pour autant dénaturer l'image d'origine ou lui faire perdre son identité. Ne vous étonnez donc pas des défauts apparents de cette édition puisque pour le réalisateur la grosse erreur aurait été de corriger ces insuffisances qu'il juge représentatives du film.
Respectant le caractère original des images de L'Esprit de la ruche, ce nouvel étalonnage numérique propose une propreté d'image incontestable. Les contrastes entre les scènes situées dans l'intérieur bourgeois de la maison auréolées d'une couleur miel, et celles plus froides et surexposées tournées en extérieur sont honorés et s'accompagnent du fameux grain brut et appuyé. Les couleurs fanées des scènes d'extérieur (voulues proches de celles d'un documentaire) s'accordent gracieusement avec la superbe photo ambrée, presque expressionniste, caractérisant les scènes de la maison familiale assimilée à une ruche avec ses alvéoles et la lumière diffuse. Les fourmillements sont nombreux, certaines scènes manquent d'éclat et les vues d'ensemble sont les plus marquées par les années. Certaines séquences se révèlent plus nettes que d'autres et la qualité de la compression numérique est indéniable.
Respectant une fois de plus certaines tonalités d'origine, ce mixage fait la part belle au thème musical lancinant de Luis de Pablo. Malheureusement, on n'échappe pas à de multiples saturations dans les aigus faisant vibrer les tympans, et l'ensemble manque bougrement de vivacité. L'Esprit de la ruche repose sur de multiples silences ou des murmures mais les messes basses entre les petites filles font trop embrouillamini comme à la 21ème minute ou à la 49ème minute lorsque la mère joue du piano. Par ailleurs, le souffle chronique ne parasite pas trop ce mixage propre mais décidemment trop linéaire. Peu d'effets sont mis en valeur et nous constatons un grésillement ainsi qu'une interférence caractéristique de celle provenant d'un portable quand il s'approche d'une source électronique (à 1h13).
Contrechamp sur Victor Erice (31 minutes)
Dans cet entretien réalisé en 2008, Alain Bergala rejoint le cinéaste Victor Erice dans un café afin de parler de la censure qui sévissait alors sous le régime franquiste et de la performance d'Ana Torrent, tout en évoquant le procédé narratif en croisant le fond et la forme. Si les questions lui sont posées en français, Victor Erice répond en espagnol et les deux hommes semblent bien se connaître. Cela instaure une intimité et un dialogue où chaque propos s'inscrit dans un exposé passionnant et passionné. Nous ne sommes pas étonnés d'apprendre que la projection de Frankenstein vue dans les premières scènes du film était une véritable séance organisée pour les habitants du village. Deux caméras étaient alors braquées sur les réactions de la petite Ana Torrent qui découvrait le cinéma pour la première fois. Usant de ce procédé propre au documentaire avec un son direct, le réalisateur détaille cette séquence et les sentiments non feints de la petite comédienne. Ensuite, Victor Erice revient sur la genèse du projet. Il devait à l'origine plancher sur une commande qui lui avait été faite et dont le protagoniste devait être Frankenstein.
De nombreux éléments autobiographiques composent L'Esprit de la ruche et Victor Erice tente de les énumérer. Quand il en vient à parler de la censure, le cinéaste explique comment le procédé narratif a été adoptée en fonction des blâmes qui sévissaient alors sous le franquisme vis-à-vis de la liberté d'expression. La métaphore et le ressenti ont été adoptés afin de ne jamais user de certains mots ou contestations.
Dans un second temps, Alain Bergala se tourne quant à lui vers la forme du film, l'usage de l'ellipse, le travail sur le son, la symétrie des plans, en comparant le premier film de Victor Erice au Songe de la lumière, réalisé également en 1992 par le cinéaste.
Enfin, cet entretien captivant se clôt sur sa relation avec la jeune Ana Torrent, sur laquelle il ne manque pas d'anecdotes émouvantes comme sa première rencontre choc avec Frankenstein survenue inopinément à la cantine du tournage, et à qui elle demanda réellement pourquoi il avait tué la petite fille vue dans le film.
Les empreintes d'un Esprit (48min26)
Ce module rétrospectif et émouvant réalisé en 1998 donne la parole à Victor Erice, au scénariste Angel Fernandez-Santos, au producteur Elias Querejeta, à Teresa Gimpera (la mère d'Ana), à divers historiens du cinéma ainsi qu'à Ana Torrent, celle-ci n'apparaissant que furtivement. De retour sur les lieux du tournage de L'Esprit de la ruche, l'équipe replace le film dans son contexte historique et politique tout en proposant un parallèle émouvant entre les images du village en 1973 et celles d'aujourd'hui. La genèse et la construction d'une oeuvre devenue incontournable dans le cinéma contestataire de l'Espagne franquiste sont largement disséquées, et une fois de plus le fond et la forme sont analysés. De ce fait, certains propos font redondance avec ceux entendus dans le segment précédent. Les images tirées du film sont accompagnées d'autres oeuvres engagées de cinéastes espagnols tels que Carlos Saura comme Ana et les loups, et bien évidemment Cria Cuervos où Saura s'est largement inspiré de L'Esprit de la ruche dans lequel il dirigeait également Ana Torrent.
Ce documentaire est l'occasion de retrouver certains visages aperçus dans le film au moment où une projection de L'Esprit de la ruche est organisée dans la grange même où est projeté Frankenstein dans le film de Victor Erice.
Comme dans « Contrechamp sur Victor Erice », la Censure franquiste est abondamment examinée. Ana Torrent, alors âgée de 22 ans est également présente, déambule sur les lieux de tournage et visite la fameuse maison aux fenêtres alvéolées et à présent abandonnée. Il faut attendre près d'une demi-heure pour qu'elle partage les quelques souvenirs de tournage qui lui restent en tête mais cela reste trop fugace. Victor Erice revient encore sur la scène de la projection où la caméra captura les réactions de la petite fille face au film d'épouvante, une réaction pure qui tient du miracle selon le cinéaste.