Un mot, un seul : polémique ! La note donnée ici à l'image reste neutre à cause de deux facteurs : le premier, la qualité technique en elle même du DVD (qui mériterait un bon 16/20) et de l'autre les choix artistiques de cette version, choix nullement dûs à Wild Side mais au réalisateur Dario Argento et son directeur de la photographie Luciano Tovoli, et qui risque d'engendrer des réactions extrêmes.
Si Suspiria était déjà disponible dans une édition chez TF1 Video depuis des années et si une magnifique édition fût éditée par Anchor Bay aux Etats-Unis (certifiée THX qui plus est), ce collector Wild Side propose une toute nouvelle restauration s'illustrant donc (entre autres) par un nouvel étalonnage n'ayant plus grand chose à voir avec la version que nous connaissons depuis 30 ans. Sacrilège ? Oui pour les uns, non pour les autres. Explications.
Zone 2 Wild Side : L'éditeur est parti d'un master d'origine très abîmé.
Zone 1 Anchor Bay : Mais le DVD américain proposait déjà un film très propre et certifié THX, tiré également du master d'origine. Nous nous en servirons donc pour le comparatif ici.
Tout d'abord il est important de noter que cette édition n'a strictement rien à voir avec le collector italien sorti récemment. La restauration ici est la seule qui a été supervisée par le réalisateur du film, entièrement financée par Wild Side.
Tovoli, directeur de la photographie du film, s'est rendu sur place pour le réétalonnage pendant deux jours, donnant des directives assez précises sur ce qu'aurait dû être Suspiria à l'origine. Le laboratoire chargé de la restauration a donc suivi ces directives et le résultat se voit au final approuvé par Tovoli mais aussi par Dario Argento lui-même, qui qualifie cette version comme l'ultime de son film. On se retrouve là dans le cas d'un réalisateur modifiant son oeuvre, un droit on ne peut plus absolu puisqu'il en reste le maître. On pourrait tracer un parallèle avec les modification apportée par George Lucas sur Star Wars : le réalisateur a le droit de modifier son film après sa sortie, si tant est qu'il se justifie. Dans le cas de Lucas, le but était d'homogénéiser ses deux trilogies (un but complètement raté, les six films alternant les mêmes personnages - comme Yoda - en 3D ou en marionnette par exemple). En ce qui concerne Suspiria, Dario Argento a voulu livrer la version qu'il aurait toujours voulu voir au cinéma et en vidéo durant les trente ans qui séparent sa première sortie en salles et la sortie de cette édition collector.
Une volonté qui risque bien d'engendrer des réactions d'incompréhension puisque Suspiria n'a jamais ressemblé à la version proposée ici.
Commençons par reconnaître que cette édition offre à Suspiria une toute nouvelle jeunesse. La copie est entièrement remise à neuf, totalement nettoyée du moindre artefact, du moindre cheveux ou de la moindre éraflure qu'il aurait encore été facile de déceler à l'œil nu. Là où ce type de restauration peut devenir gênante, c'est lorsque l'ensemble du film retrouve un lissage où le grain pellicule se fait moins présent, une caractéristique pourtant de la présentation que nous en avions eu jusque là. Soit : il s'agit sur ce point d'un risque pris par toute restauration cherchant à atteindre ce niveau.
Jusque là, on frôlerait donc le sans faute même du côté du transfert DVD si l'on excepte quelques pétouilles de pixels ça et là (le fameux pas dans la flaque d'eau au début du film) trahissant les limites de la compression. Rien d'alarmant, et l'on se surprend même à une certaine réjouissance de redécouvrir le film dans de telles conditions, d'autant que le niveau de définition est largement plus élevé que sur toutes les autres éditions existantes (le Anchor Bay y compris).
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Si donc à première vue le film retrouve une nouvelle jeunesse, le comparatif avec l'ancienne version est surprenant. Débouchant sur un rendu plus "jeune", plus "funky", plus "coloré", la balance des couleurs a été poussée pendant l'étalonnage numérique. Etant donné que Suspiria est de toute façon très coloré et contrasté à l'origine, ce genre de manipulation ne peut qu'être avantagée. Le problème ici est que les techniciens ont eu sauvagement la main lourde, transformant des plans naturels et détaillés en délire cholorimétrique complètement brûlé. Le contraste choisi entraîne un éclairage complètement exagéré, changeant radicalement l'ambiance de la scène et entraînant au passage la disparition de nombreux détails à l'image. En ça, même avec une meilleure définition, la version Wild Side propose moins de détails que celle de Anchor Bay encore une fois dû non pas à un défaut technique mais au choix artistique du réalisateur et du directeur de la photographie.
L'image est donc saturée dans tous les sens, les séquences bénéficiant d'éclairage localisés se retrouvant avec une luminosité inondant totalement l'écran, entraînant une perte des détails, comme les plis d'une chemise, la texture d'un mur et même parfois des ombres entières de personnages.
Zone 2 Wild Side : Trop de luminosité. Les détails de la chemise sont invisibles
Là où le Zone 1 Anchor Bay, plus modéré, permet de profiter du moindre détail.
Le choix artistique de ce nouvel étalonnage change alors complètement le film que nous avons toujours connu. Selon les affinités, on restera braqué sur la nostalgie du film tel que nous l'avons toujours adoré ou on acceptera ces changements radicaux voulus par le réalisateur lui-même trente ans plus tard. De notre côté le débat fait rage à la rédaction, mais la préférence revient tout de même à l'ancienne version.
Quelques captures comparatives supplémentaires :
Zone 2 Wild Side : Totalement brûlé : le bleu est blanc, le rose orange et le blanc jaune
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side : Si lumineux que les teintes variantes, les ombres et même la plaque disparaissent.
Zone 1 Anchor Bay : Moins flashy, et plus détaillé
Zone 2 Wild Side : Le mur, le trottoir, la rambarde, tout y passe... Même le chien est rouge !
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Zone 2 Wild Side
Zone 1 Anchor Bay
Si l'image est sujette à polémique, l'aspect sonore de Suspiria est plus apte à être jugé clairement. D'une part parce que ce délire psychédélique 100% formel se prête au multicanal et que sa répartition sur cinq ou six enceintes n'est pas une aberration sur un titre pareil. On va se l'avouer, si le Dolby Digital 5.1 n'atteint pas ses homologues anglaises du zone 1 (on en reparle un peu plus bas), il ne perd pourtant pas une occasion de se déchaîner. Atmosphère, atmosphère, le film d'Argento a une gueule d'atmosphère, et la bande son des Goblins n'y est pas pour rien puisque splendidement épurée, cette dernière trouve une ouverture perpétuelle, marié à des effets se faisant échos sur les surrounds sans que cela fasse tâche. Les amateurs de sons graves en auront également pour leur argent puisque le caisson est en activité non-stop, quitte à en faire parfois un peu trop.
Si vous pouvez vous passer de votre grosse boite, on ne pourra que vous conseiller de choisir le vrai cadeau de ce disque : la version stéréo d'origine ! En effet, pensé en stéréo, le film est enfin disponible dans son aspect sonore le plus pur, tel qu'il était diffusé en salles dans les salles les mieux équipées dans la fin des années 70. Une piste stéréo qui explique le confort d'écoute suscité par le 5.1, mais encore plus fouillé ici. Pour des raisons qui nous échappent encore, la balance et la restitution des effets sont mieux gérées sur ce "petit" 2.0, donnant la part belle - encore - à la bande originale et en particulier à la scène finale. Qu'importe si certaines petites désynchronisation ou effets de saturation sont parfois décelables, la folie du film n'en n'est que plus perceptible. On jurerai parfois avoir à faire à un bon Dolby Surround... L'exemple le plus probant étant la dernière rencontre de l'héroïne et ce rire, quel rire, effrayant de par sa désarticulation sonore. Ne cherchez pas, vous ne la retrouverez ni sur le mixage 5.1, ni sur le mono français (bon, mais vraiment étouffé), ni sur les quelconques version anglaises des autres éditions.
En plus :
Et puisque l'on parle d'éditions anglo-saxonnes, qu'en est-il du DVD Anchor Bay sur un plan sonore à titre comparatif ? D'abord, la VF est la même, cloîtrée dans son mono timide. En revanche nous n'y retrouverons pas de piste Italienne 5.1, ni le stéréo d'origine. Nous y retrouvons bien évidemment une piste 2.0, mais il s'agit d'un mixage plus récent, nettoyé de ses quelques défauts et malheureusement de ses qualités en même temps. Rien à voir avec celle du Wild Side. Nous y retrouverons enfin deux excellentes pistes anglaises Dolby Digital 5.1 EX et DTS ES, bien évidemment absente du DVD français qui a voulu jouer à fond la carte du produit originel. On pourra en conclure qu'il est normal qu'un film italien ne propose pas de pistes anglaise, mais dans un cas comme celui-ci où les voix d'origines ont disparues dans les limbes de part la multiplicité des nationalités des actrices et que l'intégralité du film a été post-synchronisé (un peu comme un Leone) on se demande vraiment où commence et où s'arrête l'appellation "version originale". Là encore, et selon les affinités de chacun envers la qualité d'écoute, zone 1 et zone 2 se partagent le gâteau, même si le Wild Side mérite les faveurs des puristes de par sa piste 2.0 formidable.
MAJ : L'éditeur Wild Side nous a informé que les versions anglaises du film ne figurent pas sur cette édition pour des questions de droit sur le territoire français.
Beaucoup de bonnes choses à retenir dans l'interactivité de cette nouvelle édition de Suspiria, en particulier les propos de Dario Argento en personne et son directeur photo Luciano Tovoli qui, non contents de s'exprimer dans un très bon français, prêtent une grande richesse d'information à tout fan du film. Les autres intervenants, bien que présents avec une certaines surcharge, sont accompagnés de sous-titres français. Alors quid du très bon Making of de 52 minutes (sous-titré anglais la plupart du temps) proposé, une fois encore, sur l'édition Anchor Bay ? Il répond aux abonnés absents, purement et simplement, nous faisant donc perdre en cours de route les récentes interventions de Jessica Harper, Udo Kier et autres comédiens s'étant prêtés à l'exercice avec fantaisie, non sans propos fascinants totalement oubliés sur le DVD français. Comme le fait que le film ait été tourné et re-postsynchronisé dans plusieurs langues.
Interviews de Dario Argento
Les fans seront contents de découvrir non pas une, mais bien deux interviews du cinéaste. La première est issue de l'édition spéciale Italienne. On notera d'ailleurs avec amusement que le film "projeté" derrière lui via un effet spécial n'est pas tiré du master recoloré proposé sur ce DVD français, mais une copie bien plus fidèle à la version originale. D'une durée de 21min18, cette interview permet avec étonnement de remplacer un potentiel commentaire audio puisque Argento trouve le moyen de décortiquer dans ses grandes lignes la conception du film sur un plan technique, sa direction d'acteur, le tournage de certains plans complexes, le maquillage, le montage ainsi que la carrière du film en Italie comme à l'étranger. Bien évidemment, 21 minutes c'est un peu maigre compte tenu de tout ce que le bonhomme peut avoir d'intéressant à dire, et c'est pour cela que l'interview française (26min52) complète le propos en s'éloignant un peu de la conception pour quelque chose de plus thématique. De plus abstrait. S'exprimant dans un français impeccable, Argento parle ici de ses motivations, de ses inspirations, compare un peu son travail avec celui de Bava avant de fort logiquement remettre en avant l'importance du public français dans le succès du film. Dommage que le sujet serve de prétexte, lors des dernières secondes, pour que l'on s'égare une fois encore avec autosatisfaction sur ce fameux travail de restauration qui, comme évoqué plus haut, n'est finalement pas à la hauteur...
Entretien avec Luciano Tovoli (24min27) :
Voilà sans nul doute la plus intéressante interview du lot "hors Argento" puisqu'elle complète aisément le sentiment d'explication technique poussée véhiculée par le réalisateur. Ici, c'est le directeur de la photographie qui prend la parole et, comme on l'imagine en regardant le film, il a énormément de choses à raconter. S'exprimant lui aussi avec facilité en français, il déballe avec passion et un souvenir précis la façon dont a été conçu l'esthétique si particulière du film. Eclairage, couleurs, et étalonnage de fortune sont donc au cœur du propos, non sans humour puisque le bonhomme se laisse visiblement emporter par sa fougue d'époque nourrie par quelques anecdotes insoupçonnées. Entre autres, celle voulant que les deux hommes avaient décidé de carrément mettre le feu au décor tellement ils étaient inspirés... Une jolie leçon.
Argento Connection (25min12) :
Comme toute industrie en Italie, le cinéma serait une affaire de famille... S'il n'y a rien de réellement fondamental à ce propos, il faudra bien reconnaître que le clan Argento a su marier ces deux univers jusqu'à totalement les confondre. En suivant chronologiquement l'histoire du cinéaste et des siens, ce recueil d'interviews (pour la plupart, les intervenants des autres bonus) détaille donc l'évolution du réalisateur. Qu'il s'agisse de son père, de son frère (producteurs), de sa compagne d'époque Daria Nicolodi (actrice et scénariste) jusqu'à sa famille qu'on ne présente plus, tous ont eu une place importante dans la construction de sa carrière purement professionnelle. Un documentaire enrichissant pour qui ne s'était pas totalement intéressé à cette famille...
Dans les profondeurs de Suspiria (12min40) :
On évoquait Daria Nicolodi plus haut, et c'est à cette dernière qu'on donne ici totalement la parole. Partant d'un postulat intéressant à savoir raconter les "véritables" origines de Suspiria racontées par la grand-mère de la comédienne lorsque cette dernière était petite, le module souffre d'un rythme inégal. Quelques coupes auraient été les bienvenues d'autant plus que sur un plan sonore, les conditions d'enregistrement sont simplement désastreuses. Pour une édition voulue et surtout vendue comme collector, un micro n'aurait pas été un luxe !
Entretien avec Claudio Simonetti (26min49) :
L'ancien membre du groupe Goblin, célèbre pour ses partitions des Frissons de l'angoisse et Zombie, analyse également à sa façon comment Suspiria a pris forme musicalement parlant, après avoir raconté ses premiers contacts avec Dario Argento. Après le travail de photographie, la bande son est assurément l'autre élément clé du film qui aura également bénéficié d'une créativité toute neuve, généralement en avance sur la technologie de l'époque. C'est avec amusement que l'on y découvre quelques astuces techniques pour jouer avec les sons, loin des facilités de l'ère numérique...
Entretien avec Davide Bassan (13min56) :
L'assistant (et fils) du chef décorateur joue lui aussi au jeu des questions et réponses sur les secrets de fabrication d'une atmosphère particulièrement atypique. Comme souhaité, il nous y développe la conception ou la modification de certaines éléments clés (la façade du bâtiment, par exemple, était en fait celle d'une banque) et autres accessoires pour répondre aux demandes précises du réalisateur. Il y analysera également l'aspect général du gigantesque endroit, qu'il considère comme un lieu aussi organique qu'un corps humain.
Argento vu par... (26min41) :
Voilà un bonus encore plus français que les autres puisque comme l'indique le titre, il permet à des aficionados célèbres de s'exprimer sur le cinéaste. Pascal Laugier (réalisateur de Saint-Ange, Martyrs), Alain Schlokoff (L'écran Fantastique) et Jean Baptiste Thoret analysent donc la carrière du réalisateur et l'impact qu'il a eu sur leur propre travail. Il aura en effet inspiré un style cinématographique à le premier, sera déplacé pour un festival organisé par le second et aura été l'objet d'un livre pour le dernier. En tout cas, en bons connaisseurs, les intervenants ne seront pas avares en anecdotes. Il y décortiqueront les emprunts au cinéma de Bava, aux contes de fées et autres œuvres picturales avant de se pencher sur la volonté de renouveler le genre, visuellement parlant. Seront également évoqués la projection du film au Grand Rex, son accueil divisé puisque parfois considéré comme putassier et vulgaire (un journaliste de Télérama a même conseillé à Argento d'arrêter le cinéma) et son statut quasi unique du film qu'il est possible de découvrir et d'analyser simultanément. En moins de trente minutes, tout ou presque est dit !
Mauvais genre / France Culture (74minutes38) :
Il va falloir s'armer de patience pour découvrir dans son intégralité ce bonus qui se présente sous la forme d'une longue pièce audio. Une émission de radio pour être plus précis. Une heure et quart que nous ne saurions trop vous conseiller de re-découvrir en coupant votre téléviseur et en conservant uniquement votre ampli audio comme si vous écoutiez une émission en direct. Consacrée à l'œuvre de Claudio Simonetti pour concorder avec l'un de ses derniers concerts, l'émission s'ouvre comme une très longue interview du compositeur (aidé en direct par une traductrice), entrecoupée d'extraits musicaux mais également d'informations complémentaires analytiques de Jean Baptiste Thoret, également présent lors de cet enregistrement.
Outre une bande annonce (pas celle du film, mais celle de la ressortie dans un nouveau master), quelques photos et filmographies, le dernier bonus vidéo de cette édition est un petit module sur la restauration du film (13min36). Démarche plus qu'encourageante en temps normal, mais qui devient soudainement sujette à discussion ici puisque le résultat, comme expliqué plus haut, lance le débat. Il est donc difficile de donner à 100% du crédit aux intervenants vraisemblablement très contents du résultat final.
Le dernier gros supplément du coffret est la bande originale du film sur un CD audio indépendant. N'ayant été qu'en possession de check-discs professionnels, l'objet en question ne nous a pas été fourni. Néanmoins, il est fort probable que ce soit le disque Cinevox datant de 2001, offrant onze pistes d'une durée totale de 44min46 et déjà offert avec l'édition Anchor Bay.