American Gangster
Le 19/10/2007 à 09:27Par Arnaud Mangin
Un grand réalisateur et de grands acteurs au service d'un polar passionné subtilement maquillé en produit coquet. Parce que Ridley Scott ne s'intéresse plus vraiment à l'esbroufe visuelle, il livre son film d'une manière si aérée qu'on s'en imprègne immédiatement. Vraiment digne d'intérêt !
Ridley Scott atteint un peu l'âge de la sagesse. Celui où les plus grands - dont il sait son appartenance - savent qu'ils n'ont plus à faire leurs preuves. Celui où les maestrias passées sont des cartes de visites suffisantes pour n'avoir qu'à insuffler leur énergie dans ce qui leur parle le plus... à défaut de bâtir de nouveaux mythes. On ne refait pas ou plus Blade Runner, Alien, ou même Gladiator. Scott, le meilleur des deux frangins, s'essayera plutôt au cinéma éthylique en ne pensant qu'à lui, et ça se voit : Une Grande année reste un mauvais cru. Mais comme le bonhomme transpire néanmoins le bon goût, il livre à nouveau avec cet American Gangster une œuvre d'abord faite pour le spectateur qui sommeille en lui. Celui qui aime ses stars, son univers, son rythme, et ses coups de foudre historiques comme géographiques. Bonne pioche cette fois-ci puisque son petit plaisir perso se propage sans peine, même à travers un fidèle public qui n'y décèlera pas forcément sa patte.
On pourrait, de prime abord, taxer Scott de réalisateur tranquille ne cherchant même plus à insuffler un quelconque souffle épique à ses films. Pourtant, c'est en s'abstenant d'utiliser cette magistrale étiquette passe-partout qu'il prend justement le risque d'afficher une certaine insipidité. Tous les ingrédients sont pourtant à portée de main, et il n'est pas impossible de succomber à la folie des grandeurs : la (re)naissance d'Harlem dévoilée dans une grande dépression en 1968 comme l'avait été le reste de New York trente-cinq ans plus tôt, la véritable histoire de la résurgence de la cocaïne dans les foyers, ou encore le fameux duel "grand voyou inaccessible/superflic obstiné qui ne se croiseront jamais" campé par la valeur sure hollywoodienne Denzel Washington face au bon copain Russell Crowe. Du lourd sur papier. Du très lourd même qui s'efface pourtant dernière une modestie en cela appréciable que le cinéaste ne cherchera jamais a refaire Le Parrain 2, French Connection, Scarface ou Heat, là où n'importe quel autre se serait rué dans le piège. Au lieu de tenter vainement un grand film, Ridley Scott préférera donc s'affairer à un bon polar. Pour ne pas dire fascinant dans sa dernière bobine.
American Gangster, dont le titre résume à lui seul l'intérêt premier de l'entreprise, ne nécessite effectivement pas d'afficher des ficelles épaisses comme des colonnes. Il est question de l'Amérique en prise à ses maux (sociaux, militaires, utopiques) dont la plus surprenante ascension, à mi-chemin entre les années 60 et 70, transite via la carrière du plus grand importateur de drogue new-yorkais. Une intrigue à deux tableaux jonglant systématiquement d'un personnage à l'autre. Quid d'une criminalité imposante, respectée et percutante (une scène en particulier en calmera plus d'un) d'un côté laissant libre court à un Denzel Washington énervé, face à une honnêteté décrépitée de l'autre pour un Russel Crowe incorruptible. Deux heures et demi d'oppositions antinomique, ou un véritable amour pour ses personnages principaux, qui préférera la confrontation psychologique surprenante - tardive, forcément - à n'importe quel western urbain. Quitte à tirer inutilement en longueur son chapitre introductif sur près de trois quarts d'heure en submergeant le personnage de Crowe de péripéties sans intérêt, histoire d'équilibrer le quota de présence à l'écran... Et quand bien même, nous n'avons pas un charlot derrière l'objectif.