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Australia

Le 26/12/2008 à 04:50
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Notre avis
1 10

Ce n'est pas parce qu'un genre a disparu qu'il ne faut pas essayer de le dépoussiérer, bien au contraire. Mais encore faut-il le dépoussiérer ! Avec Australia, Baz Luhrmann a choisit de recopier le style des films de studio des années 50, pensés et montés par les studios à une époque où le réalisateur n'était souvent qu'un technicien sur le plateau et n'avait pas son mot à dire sur le reste. Là où cette alchimie dictatoriale entre le réalisateur et les producteurs fonctionnait parfois dans le passé et engendra de nombreux classiques, Baz a choisi ici en toute conscience et toute liberté (il est réalisateur ET producteur) d'en faire "trop" sur le scénario (prévisible au dialogue près), trop sur la direction des acteurs (exacerbant chaque émotion), sur la mise en scène (académique jusqu'à devenir plate), sur la musique (un véritable concert de violons pleureurs - quand le thème du Magicien d'Oz n'est pas massacré à force d'être répété), sur la photographie carte postale (de rigueur, certes) et au final sur tout ce qui est censé donner vie et crédibilité à la plus improbable des fictions. Cherchant à tout prix à atteindre son but, Luhrmann n'a pas vu les frontières du mélo à ne pas franchir et sombre  dans la quasi-parodie, étirée à outrance et qui en fait quatre tonnes en hurlant et cognant à la porte du panthéon des Autant en emporte le vent et Titanic. L'alchimie pouvait fonctionner dans Moulin Rouge, mais quand il s'agit d'un pur mélo, ce manque de finesse, ce "trop" présent à chaque seconde, devient difficilement supportable.


Critique Australia

Dans les années 1930 à 50 apparaissaient régulièrement de grandes fresques romanesques, à l'académisme exacerbé, pensées et produites par des studios qui ne faisaient appel à un réalisateur que pour tourner et se chargeaient du reste sans lui (notamment le montage). Cela fonctionnait comme ça à Hollywood et tout le monde était content, sauf les réalisateurs bien sûr mais qui de toute façons n'avaient pas le choix. La donne changea dans les années 60 et 70 où les metteurs en scène prirent le pouvoir, accouchèrent d'œuvres transgressives pour l'époque et ramenèrent à nouveau dans les salles des spectateurs lassés. Les studios étaient en panique, ne comprenait rien à ce qui se passait, mais l'argent dictant leur conduite, ils suivirent bien gentiment en confiant toute la responsabilité à une jeune génération de producteurs. Ce cinéma d'auteur américain dont l'étendard était porté par des barbus bien connus (Kubrick, Altman, Coppola, Spielberg, Lucas, ...) connut une fin assez rapide et fut absorbée par les studios pour devenir une industrie : celle mêlant les films plus intimes mais pas chers aux blockbusters dictés par les studios et dont nous vivons toujours dans le sillage aujourd'hui. Le temps du Hollywood 100% glamour mené par ses grandes fresques académiques est donc loin derrière nous, même si parfois un Titanic fait surface et devient instantanément un classique historique. Faut-il en déduire que les studios savent encore concevoir ce genre de film ? Non ! Titanic, pour rester sur cet exemple, n'est que le fruit de l'imagination d'un réalisateur, James Cameron, qui n'avait rien de plus derrière la tête que de raconter harmonieusement à la fois un film catastrophe et une romance, dans une ambiance historico-glamour. De fresque, il n'en a pratiquement jamais été question et si Titanic est considéré comme tel aujourd'hui, c'est presque par accident, d'autant que le studio Fox était persuadé courir au désastre. Aucune des scènes de ce film prises à part ne respire l'intention d'appartenir à une fresque : c'est le film tout entier qui en est une, comme un puzzle tirant sa force de l'ensemble de ses pièces. Et c'est dans cette opposition entre une minutie sur chaque scène et une inconscience générale que réside sa réussite la plus éclatante.

 

Critique Critique Australia

 

Mais revenons-en à Australia. Baz Luhrmann est un réalisateur qui s'inscrit dans le sillage direct de ces auteurs fabriquant des gros films et que les studios laissent faire car "Ca plait et ça rapporte de l'argent donc c'est tout bénef". On ne peut leur en vouloir de ce raisonnement, bien au contraire, puisqu'il garantit un minimum de blockbusters par an avec une âme derrière. Avec son style bien à lui, Baz nous a servi une relecture bien moderne de Roméo et Juliette et une histoire d'amour tragique, faite de bric et de broc dans ses thèmes et dans sa mise en scène, avec le très bohémien Moulin Rouge. Que l'on aime ou que l'on n'aime pas, Baz a une patte unique et aucun de ses films ne ressemblait à ce que nous avions l'habitude de voir, ce qui correspond quelque part à la définition même d'un auteur. Après une tentative avortée d'adapter Alexandre Le Grand au cinéma (Oliver Stone donna le clap de tournage de son projet plus rapidement), Baz eut une idée surprenante : ressusciter la fresque romanesque des années 50 ... avec Australia donc ! Si l'on reconnaît sa patte dans les premières minutes de Australia (montage haché, écran titre évoquant graphiquement une nostalgie des belles histoires racontées, etc), elle laisse place par la suite à un film 100% académique et donc plus impersonnel dans le style. Plans larges, jolis paysages, champs/contre champs, personnages glamours, sentiments exacerbés, symphonie de violons de rigueur, etc : Australia remplit le cahier des charges du genre. Et pourtant la recette ne fonctionne pas.

 

Critique Critique Australia

 

En pleine conscience de son but à atteindre (créer le Autant en emporte le vent du 21ème siècle), le producteur/réalisateur/scénariste à qui la Fox a accordé une carte blanche totale (et donc le final cut), Baz Luhrmann, veut faire du mélo, de la fresque, du romantisme et de l'immense... dans chacune de ses images. Après une première demi-heure franchement acceptable même si cousue de fil blanc, l'histoire prend le cap du script pensé pour les oscars, dicté pour les oscars, issu de la touche "12 Oscars !" d'un traitement de texte, au point bien sûr d'en devenir une complète caricature. Il ne sera pas difficile pendant les 2h36 du film de quitter l'histoire quelques instants pour jouer à deviner ses rebondissements dans la demi-heure et même prévoir le prochain plan à venir. Même la scène la plus impressionnante (une poursuite après un troupeau devenu incontrôlable) repose sur des ressorts archi-rabâchés, dont le plus marquant reste "le second rôle qui ne servait à rien jusqu'à présent, qui devient soudainement sympathique et va quelques instants après se sacrifier/mourir/crever pendant 10mns devant la caméra et face aux héros forcément super émus". Et si ce gimmick est parfaitement acceptable dans un film s'il est traité avec une certaine finesse, les gros sabots de Baz le rendent au choix ou désespérant ou très drôle.

 

Critique Critique Australia

 

Tel est donc le problème d'Australia à force d'en faire des tonnes. Le film est composé de toutes ces maladresses aussi visibles qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais aussi de clichés qui imprègnent le moindre petit détail, de la ligne de dialogue ou sourcil relevé d'un acteur. Un autre exemple ? La première apparition d'un vieil aborigène donne lieu à une idée classique de mise en scène mais toujours aussi efficace. Filmé seul dans un contre-champ aux héros, son opposition à leur civilisation est évidente (la nature vs la modernité, la solitude face à l'inéluctable). Malheureusement ce pauvre aborigène sera filmé à chacune de ses soudaines apparitions de la même manière (soit une bonne douzaine de fois), le transformant en running gag visuel, d'autant que le personnage prend toujours une pose méditative puant la vision caricaturale occidentale. Ce n'est évidemment pas lui qui est drôle, l'acteur étant plutôt charismatique et doué, mais bel et bien sa mise en scène le film. Si un humour décalé était salvateur dans Moulin Rouge, ici il se révèle non seulement involontaire mais perdu dans 2h40 de récit n'en finissant jamais et aux enjeux inexistants puisqu'on devine tout à l'avance (et que ce n'est guère excitant). Une image de Hugh Jackman prenant une douche au ralenti illustre à elle seule le problème derrière les intentions d'Australia : ou le but était de faire rire mais le premier degré de la scène est totalement paradoxal et vient l'annihiler, ou alors le but était de parodier un genre et la scène devient complètement déplacée puisque le film se veut justement de ce genre.

 

Critique Critique Australia

 

La passion et la fougue de Baz Luhrmann auront finalement eu raison de son projet : à trop vouloir en faire, nous voilà face à 2h36 d'images victimes d'un égo surdimensionné, où rien n'a de saveur. L'effort est là, ce qui est d'autant plus embarrassant.

 

 









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