Cannes 2009 : Antichrist
Le 20/05/2009 à 01:59Par Elodie Leroy
Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, Antichrist a suscité des réactions très fortes de la part des festivaliers lors de sa projection. Il faut dire que ce thriller psychologique du cinéaste danois Lars von Trier (Breaking the Waves, Dancer in the Dark) se situe complètement en marge du reste de la sélection cannoise. De par son étrangeté et son extrême violence, Antichrist aura très certainement ses fervents adeptes comme ses féroces détracteurs. En tout cas, cette œuvre très personnelle pour son auteur ne laissera personne indifférent. Pour notre part, nous avons été déroutés et nous avons été séduits.
Dès la première séquence, le couple faisant l'amour pendant que leur enfant se défenestre, Lars von Trier impose une succession de plans d'une incroyable beauté et d'une précision sans faille, sur un air d'opéra extrait du Rinaldo de Haendel. Très vite, Antichrist installe une ambiance oppressante aux relents lynchiens, jouant sur les effets sonores et les inserts troublants pour se glisser dans l'univers mental de ses deux seuls personnages. Face au drame qu'ils endurent, les deux époux réagissent à l'opposé l'un de l'autre : elle est rongée par la culpabilité et sombre dans une profonde dépression, il ne manifeste aucunement son chagrin et utilise ses compétences de thérapeute pour prendre sa femme en main. Tente-t-il de l'aider ou de la contrôler ? A moins qu'elle ne soit en train de le manipuler. Au décor sombre et confiné de l'appartement succède la forêt dans laquelle ils se retirent, un « jardin d'Eden » mourant qui semble exercer un pouvoir d'attraction puis une influence maléfique sur les personnages. S'attachant tout d'abord à décortiquer avec une lucidité froide les différentes phases du deuil traversées par la jeune femme, Antichrist glisse progressivement vers le surnaturel au moyen de phénomènes insolites dont certains donnent lieu à des passages véritablement inquiétants, avant de basculer dans l'horreur lorsque la folie frappe à la porte des époux.
Si les séquences les plus chocs d'Antichrist marquent à ce point les esprits, provoquant révolte chez les uns et fascination chez les autres, c'est non seulement parce qu'elles sont intimement liées aux scènes de sexe malades et animales qui ponctuent le film mais aussi par ce que la mise en scène atteint une rare puissance d'évocation. Mettant chacun de ses choix esthétiques au service de la psychose des deux époux, Lars von Trier entretient les zones d'ombre tout en élaborant un récit parfaitement pensé, dans lequel chaque détail prend son importance. Pour peu que l'on se laisse envoûter par l'atmosphère onirique et malsaine de la forêt, Antichrist distille avec une lenteur diabolique une angoisse qui prend littéralement aux trippes à travers une succession de séquences dont le sens profond est livré à notre imagination. Antichrist est de ces films qui peuvent se prêter à de nombreuses lectures, qui utilisent les symboles aussi bien psychanalytiques que religieux pour finalement atteindre un niveau de violence inouï dans son exploration du rapport entre les sexes et plus généralement à l'Autre, du rapport du corps au spirituel, de l'être humain à la nature. Lars von Trier demande l'impossible à ses deux (courageux) comédiens, Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe, dévoués corps et âme à cette fable perverse dont le dénouement, imprévisible, laisse littéralement sous le choc de par l'effroi qu'il suscite et la poésie chaotique qu'il porte en lui.