Warrior
Le 12/09/2011 à 16:50Par Camille Solal
CRITIQUE : WARRIOR
Cela commence comme un drame familial, un fils revient vers son père qu'il n'a pas vu depuis des années, lui reproche son alcoolisme, sa violence et la mort de sa mère. Le père ne lutte pas, il encaisse les uppercuts verbaux comme une flagellation : il doit expier ses péchés, faire pénitence. Nick Nolte a la gueule - et la voix - de l'emploi : son personnage, Paddy Conlon, transpire la honte et la déchéance. Face à lui, Tom Conlon (Tom Hardy) mène la danse. Dans ce corps à corps musclé, le fils dévoile une brèche de son âme, une faille dans ses tripes gangrenées de haine. Si Warrior survole ses plaies, peut-être qu'à la fin la plupart seront pansées. Oui, peut-être.
De l'autre côté de la ville, Brendan Conlon (Joel Edgerton) lutte contre ses dettes. Tout ce qu'il a bâti est sur le point de s'écrouler. Ses boulots de professeur de physique et de videur ne peuvent sauver sa famille de la faillite. Il pense à sa femme (Jennifer Morrison) et à ses enfants. Il ne peut pas jeter l'éponge, pas maintenant, pas sans avoir lutté comme il l’a fait durant toute sa vie. Pour sa famille, l'homme combattra pour survivre, jusqu'au bout s'il le faut. Alors que se profile le plus grand tournoi de MMA (Mixed Martial Arts) jamais organisé avec 5 millions de dollars promis au vainqueur, Tom et Brendan y voient là l’opportunité de sauver leur vie. Mais qui remportera le butin ? "Peu importe !" pourra clamer le spectateur lors du combat final car la force et la réussite du film est bien de démontrer que le véritable enjeu est ailleurs. Pas forcément plus palpable mais définitivement plus humain : les deux frères de sang lutteront pour purifier leur rancœur, expiant leurs démons dans une lutte puissante aussi cathartique que salvatrice.
Si le film est dense et que les 2h20 passent comme une flèche, il est toutefois indéniable que Warrior use de grosses ficelles et abuse de raccourcis évidents pour mener à bien son récit. La plus grosse d’entre elles est de ne pas proposer un tournoi digne de ce nom avec des combats un poil variés et des lutteurs venus d'horizons divers. En effet, pour un tournoi qui se veut être le 'Superbowl du MMA', les "meilleurs combattants du monde" se trouvent être Koba, un géant russe que tout le monde redoute (incarné par le catcheur Kurt Angle), Mad Dog, un lutteur qui se fait mettre K.O. en 2 minutes chrono par Tom au début du film, les deux frangins Conlon et... eh bien, c'est à peu près tout ! On est donc loin du grand tournoi mondial annoncé et plus proche d'une soirée d'exhibition entre combattants de Pittsburgh avec, cerise sur le gâteau, une grosse tête d'affiche. Pas subtile pour un sou, on nous montre d’ailleurs un Mad Dog revanchard à l’encontre de Tom et un Brendan visiblement impressionné par Koba. Dès lors, inutile de sortir des grandes écoles pour comprendre qui va s’affronter sur le ring… Mais plus que tout, s’il y a bien un élément qui aurait presque pu plomber le film c’est le manichéisme qui fait se distinguer les deux frères tant dans leur histoire personnelle (solitude contre vie de famille), dans leur physique (gueule cassée contre figure parentale), leurs vêtements (noirs pour l’un, blancs pour l’autre), que dans leur style de lutte (les combats de Tom sont expéditifs et violents alors que ceux de son frère se révèlent longs et techniques).
Lorsque le récit entre de plain-pied dans le deuxième acte, les scénaristes se confrontent aussi au problème récurrent des 'films de tournoi' : faire douter (voire tromper) le spectateur sur l'identité des finalistes tout en faisant en sorte qu’il en ait pour son argent. Fort heureusement, même si on guette la confrontation entre les deux frères, rien n’indique qu’elle aura lieu dans les conditions attendues. Du coup, si le spectateur a sciemment (et intelligemment) évité de regarder la bande annonce, il prendra peut-être plaisir à voir les protagonistes tenter de survivre en plein cœur de la fameuse cage et s’étonnera même parfois de supporter avec ferveur l’un ou l’autre des deux frères. Car derrière la caméra, Gavin O’Connor assure. Alors certes, contrairement au récent Fighter qui démontrait un vrai soin dans la captation du drame, ici on ne ressent jamais l'envie de proposer autre chose, d'expérimenter, de tenter, tout reste extrêmement classique, balisé... mais néanmoins diablement efficace. La réalisation fait d'ailleurs fi de son budget limité, serrant ses cadres, dissimulant l'exaltation d'une foule qu’elle ne contrôle pas. Fort heureusement les plans rapprochés lui permettent aussi de centrer l’action. Du coup, lorsque les portes de la cage se referment sur deux combattants, on est avec eux, au milieu de ces corps qui s’entrechoquent, de ces chairs meurtries, de ces os déchirés et on sait qu’à la fin, un seul en sortira vainqueur.
Même si l'interprétation de l'intégralité du casting demeure dans le ton, Tom Hardy survole le film. L'acteur de Bronson est une boule de nerfs, incontrôlable, puissante, insaisissable et pourtant, toujours affûtée, poussée par une violence viscérale qui jaillit dès lors qu'il pose le pied sur le ring. Véritable rouleau compresseur, violent et déterminé, le personnage est aussi meurtri, bouffé par des fêlures à vif que l’acteur arrive à retranscrire avec justesse et authenticité. Avec cette solitude, ce poids du remord, cette capacité à encaisser et ce refus de l’abandon, Tom Hardy compose un personnage charismatique et porte le film de bout en bout. Un atout de taille qui fera oublier les errements d’un scénario touchant mais sans réelles surprises.