Enter The Void
Le 04/05/2010 à 17:20Par Kevin Prin
Il est impossible de relever exhaustivement la liste de tout ce qu'il y a à dire, de tout ce que l'on ressent à la vision du nouveau film de Gaspar Noé, de le définir exactement et donc de lui rendre justice. Sept ans après le pourtant déjà exceptionnel Irréversible, d'une virtuosité qui fait toujours référence aujourd'hui, Noé place la barre de sa maturité un cran plus haut en proposant un trip hallucinatoire entre film expérimental et immense renfort de moyens techniques, entre force viscérale et sensibilité se dégageant de l'image. Enter The Void donne tellement à son spectateur en 2h40 de déversement d'idées, de trouvailles, de violence, de sensualité, de maîtrise d'une caméra constamment en flottement et dont le moindre mouvement, même le plus extrême, est justifié. Si l'on pourra toujours reprocher une petite perte de rythme dans la seconde partie du film, elle est justifiée parce la structure même du film et la démonstration que Noé veut mettre en image.
Découvrez ci-dessous la critique du film Enter the Void.
Irréversible avait marqué par sa maturité, sa maestria des images et de sa mise en scène, rien n'étant gratuit jusque dans son démarrage plus abstrait. Si le style de Gaspar Noé est immédiatement reconnaissable dans Enter The Void, il n'en subit pas moins une énorme évolution. Ici, les séquences abstraites sont des hallucinations, proches de celles dans Blueberry dans l'intention, mais incroyablement belles, plus captivantes et hypnotisantes, car mieux ancrées dans le récit, illustrant chacune à merveille un trip sous drogue sans avoir peur de s'étirer sur des minutes entières. Ce qui constituait la partie abstraite d'Irréversible, ces mouvements de caméra aériens, devient ici le langage de Enter The Void, cette fois-ci servant de narration principale à son histoire. Les plans sans coupes sont toujours présents, le film pouvant quasiment se définir comme un unique plan séquence de 2h40, certes découpé pour qu'il n'en soit pas concrètement un, mais qui en reprend la fluidité pour raconter l'histoire à travers les yeux du personnage principal.
Enter The Void est ainsi clairement découpé en trois parties. La première, en vue subjective, à travers les yeux du héros : un procédé qui n'a rien de nouveau sur le papier, mais poussé ici à un extrême inédit, même les battements de paupières des yeux du héros venant clignoter à l'écran. Techniquement, les idées de mises en scènes affluent à chaque instant, Noé se permettant même de placer le personnage devant le miroir de sa salle de bain, synchronisant ses battements de paupière avec ceux que l'on voit dans la glace, et allant jusqu'à mettre en scène le jeune homme s'envoyant de l'eau à la figure (et donc à la nôtre) ou s'essuyant le visage. Une mise en scène démonstrative ? Non, ô combien non, puisque la séquence complète dure assez longtemps et qu'il ne s'agit que de détails s'inscrivant parfaitement dans sa narration. Si Noé a choisit la vue subjective sur autant de temps (une bonne heure), il se devait de mettre en scène ce genre de détails, nombreux, techniquement tellement aboutis que seuls les yeux avertis remarqueront vraiment. La recherche d'immersion semble être la préoccupation principale du réalisateur, qui jamais de tout son film ne laissera la moindre tentative de démonstration perturber son récit.
Après cette première partie, Oscar meurt. Son âme sort alors de son corps et va "revoir" des moments clés de sa vie, où il était vivant, et où la caméra nous place en vue de dos. Point de voix-off, point d'artifices inutiles : chaque scène qui s'enchaîne, reliées par des passages dans des portails de lumière, nous montre exactement ce qu'il faut. Un passage du film marqué notamment par l'incroyable histoire de son enfance, contenant une image choc traumatisante et la performance des jeunes acteurs confondante de viscéralité. Et enfin, lors de la troisième partie, l'âme d'Oscar perçoit un "présent" où la réalité va devenir vision cauchemardesque, prix à payer pour celui qui après être mort ne veut pas quitter notre monde. Son âme devient alors flottante et va (une bonne heure durant pendant le film) passer partout, voler dans les airs, dans les pièces, dans les immeubles, observer de haut ce qui se passe, caresser ceux qu'il a aimé, sans jamais ne rien pouvoir dire, ne pouvoir intervenir ou n'avoir le temps d'interpréter.
Tout ce programme est annoncé dès le départ, à travers un personnage secondaire, Alex, qui explique longuement ce processus suivant le décès d'un être, tel que le Livre des Morts tibétain le décrit. Le principe de Enter The Void consiste à l'illustrer, à travers l'histoire d'Oscar, vivant à Tokyo avec sa sœur et qui se souviendra juste avant de mourir qu'il lui avait promis de ne jamais la quitter.
A partir de là, Gaspar Noé met bât à une sorte d'opéra funèbre et mystique pendant 2h40 non-stop, prenant place dans un Tokyo nocturne composé de boîtes de nuits, de rues vides, de bars cradingues, pour illustrer cette démonstration métaphysique comme 2001 de Kubrick illustrait la sienne à travers l'espace stellaire. La comparaison est de mise même si Noé se montre beaucoup plus fleur bleu et presque naïf dans sa peinture de la relation entre les deux héros, un aspect que l'on pouvait déjà ressentir dans Irréversible et transcendé ici. Oui Enter The Void est beaucoup moins choquant que ne pouvait l'être le précédent film du réalisateur : ici, point de viol en plan séquence ou de défonçage de crâne à l'extincteur. La violence de Enter The Void est plus subtile se concrétisant notamment en deux séquences, celle d'un accident de voiture et de la mort du héros, se prenant une balle dans le corps alors que nous le suivons en vue subjective depuis presque une heure. Noé transcende également sa mise en scène de la sensualité, l'univers d'Enter The Void prenant beaucoup place dans le monde underground du strip-tease, exposé ici sans aucune vulgarité.
Enter The Void représente une maturité cinématographique non seulement pour Gaspar Noé mais pour le cinéma de genre en général. 2h40 de pur cinéma, de beauté visuelle inédite, d'images viscérales. Un film fin, simple en apparence mais d'une complexité déployée par l'évolution du film, aux antipodes de la prétention. C'est là le summum du film : parler d'un sujet aussi fort, à grands renforts d'énormes moyens techniques, d'un talent incroyable pour la mise en scène, sans jamais basculer dans la prétention ou la démonstration. Noé est touché par la grâce !