Gardiens de l’ordre
Le 03/04/2010 à 11:30Par Arnaud Mangin
Polar solide à la croisée des chemins du cinéma d'Henri Verneuil et de William Friedkin Gardiens de l'ordre confirme tout le bien que l'on peut penser de Nicolas Boukhrief et répond favorablement à la demande insistante de BONS films de genre français. Une excellente opportunité de découvrir également le Fred Testot d'Omar et Fred dans un rôle radicalement éloigné de ce que l'on a vu de lui jusqu'ici au côtés d'une Cecile de France sensuellement mortelle (ou mortellement sensuelle). On aime.
Découvrez ci-dessous la critique du film Gardiens de l’ordre.
Critique Gardiens de l’ordre
Même si ce n'est pas un élément qui jaillit nécessairement au visage du cinéphage français actuel, désespérément à la recherche de nouvelles sensations fortes, le véritable salut du cinéma de genre hexagonal existe moins dans les coups de sang one shot qui veulent tout chambouler que chez ceux qui s'inscrivent naturellement dans une tradition classique. Chacun à son niveau, des gens comme Jacques Audiard, Olivier Marchal ou Florent-Emilio Siri y contribuent. Et plus que jamais, Nicolas Boukhrief est de ceux-là. Ayant surtout démontré par deux fois que l'on peut délivrer coup sur coup un thriller percutant et musclé et une intrigue policière Agatha Christiesque sans jamais succomber aux sirènes faciles des genres, le réalisateur s'attaque cette fois-ci au polar urbain sec et brutal, sorte de piqure de rappel à propos de ce qu'on savait faire en France il y a quelques années. Une illustration moderne du film policier et réaliste, habilement romancée et qui ne revendiquera comme hommage qu'un amour commun pour le cinéma premier degré comme le faisaient ses paires/pères... Et ce n'est pas un hasard si ses premières secondes raisonnent un peu comme du Verneuil.
Bien qu'il s'agisse d'un film encore radicalement différent de ce qu'il nous avait proposé précédemment, Gardiens de l'ordre prend immédiatement place dans l'univers du réalisateur. Essentiellement dans le panaché du genre pur et cette espèce de sagesse française antinomique réaliste, ancrant son aventure dans un univers familier que l'endoctrinement culturel avait pris soin d'éloigner de toute forme de western. Un univers où, comme dans ses opus précédents, Boukhrief prend soin de malmener son monde dans un cadre froid, désincarné, déshumanisé et rectiligne où l'on n'existe que pour marcher dans le rang jusqu'à sombrer dans l'anonymat et au cœur duquel quelqu'un tente de se lever contre la fatalité... Sa propre fatalité. Ainsi, après Le Convoyeur où des employés n'étaient que la chair à canon du mouvement économique et Cortex et son établissement ''salle d'attente avant de passer l'arme à gauche'', Gardiens de l'ordre s'attarde sur l'inefficacité juridique et le désintéressement humain du corps policier, jumelé en plus à la zombification paradoxale du peuple nocturne par les boites électro et les drogues punchy.
La grande idée concept du film, c'est d'imposer les "électron-libres malgré eux" que sont les deux gardiens de l'ordre, héros de l'histoire et tous derniers maillons de la chaine judiciaire, jeunes, motivés et décidés à sortir la tête d'une vase sociale dans laquelle tout le monde s'est endormi. Cols bleus le jour et véritables inspecteurs infiltrés dans le monde de la pègre la nuit, Cécile de France et Fred Testot composent l'épatant duo d'une intrigue très simple dans sa démarche, mais habilement troussée dans sa conception de l'exposition/action/résolution de ce polar à l'ancienne. Alors que toute une institution couvre un fils de diplomate impliqué dans une affaire de drogue, deux petits keufs mènent leur propre enquête pour faire tomber le réseau, sous le nez de collègues tellement désabusés qu'ils ne remarquent rien. Ni plus, ni moins. Et c'est justement ce qui fait fonctionner toute l'entreprise du film, en parvenant à nous tenir en haleine tout du long, ponctué de scènes tantôt percutantes (l'intro) tantôt jubilatoires (une séquence de cambriolage) qui décuplent le plaisir.
En préférant l'efficacité pure et dure à un quelconque jeu de pirouettes scénaristiques, Nicolas Boukhrief trouve largement le temps d'exposer des thématiques à tranchants multiples, d'entretenir de nombreux contre-emplois savoureux, de construire une fascinante histoire d'amour-amitié façon baptême du danger main dans la main (et qui nous rappelle fortement le duo Cassel/Devos dans Sur mes lèvres) ou de s'essayer à de nouveaux soins formels. Car même si ça pourra peut paraitre mineur, on tient là l'un des films français les mieux soignés de ces derniers mois sur un plan esthétique, soutenu par une première utilisation de la caméra HD qui donne tout son sens à un monde coloré parfaitement dessiné (projecteurs numériques et Blu-Ray s'imposent d'eux-mêmes sur un titre pareil) et qui offrent à certaines séquences une image tout bonnement somptueuse. Rien que pour la flamboyante scène finale aux relents de Live And Die In L.A. de William Friedkin, ça mérite le coup d'œil.