Goodbye Bafana
Le 11/04/2007 à 01:14Par Elodie Leroy
Dépeindre le contexte de l'Apartheid et dresser le portrait d'une figure politique aussi emblématique que Nelson Mandela, Prix Nobel de la Paix en 1993, nécessite un certain courage de la part d'un réalisateur. La première difficulté tient au caractère tabou de l'Apartheid, rares étant les œuvres du septième art qui évoquent ce chapitre traumatisant de l'Histoire - un chapitre somme toute pas si ancien. On imagine l'épreuve qu'a dû constituer la recherche des financements, ces derniers provenant d'ailleurs tout à la fois de Grande-Bretagne, d'Afrique du Sud, d'Allemagne, de Belgique et du Luxembourg. D'autre part, le risque d'un tel film est qu'il passe totalement à côté de l'homme qu'il cherche à représenter. Justement, en adaptant Le Regard de l'Antilope, recueil d'entretiens avec James Gregory qui fut le geôlier de Mandela vingt-cinq ans durant, Bille August fait le bon choix. Plutôt que d'opter pour le format classique de la biopic, le cinéaste s'intéresse à un point de vue extérieur, une manière d'assumer le caractère subjectif de la représentation. Ce qui ne l'empêche pas de délivrer une œuvre engagée.
Militaire sud-africain blanc, James Gregory a grandi aux côtés d'une famille noire et maîtrise le Xhosa, la langue parlée par Nelson Mandela. C'est pourquoi il est un jour muté à la prison de Robben Island afin de devenir le geôlier de Mandela, qu'il est chargé de surveiller et d'espionner dans ses moindres faits et gestes, à l'affût d'un signal annonçant un attentat. Mais au fil des années, ce n'est pas un terroriste mais un homme plein de sagesse que Gregory découvre. A mesure que grandissent son amitié et son respect pour Mandela, dont il devient le confident privilégié, ses repères et ses convictions vacillent...
A travers le regard de James Gregory (Joseph Fiennes), Goodbye Bafana dresse le tableau d'une Afrique du Sud minée par la Ségrégation et par le terrorisme intellectuel. Sont dénoncées non seulement les traitements odieux subis par les Noirs mais aussi les persécutions encaissées par les Blancs soupçonnés de sympathiser avec l'"ennemi". Le pays est en guerre, disent les oppresseurs. Toutefois, la démarche de Bille August ne consiste pas simplement à culpabiliser ces derniers mais aussi à démontrer à quel point le conditionnement qui imprègne les esprits fait barrage à toute prise de conscience. On pourra ainsi reprocher à Bille August de passer à côté de ceux qui profitent cyniquement d'un système aussi abject. Mais cette évidente retenue s'avère finalement très cohérente avec la démarche nuancée et pacifiste qui est la sienne. En centrant l'histoire sur l'amitié qui se noue entre Gregory et Mandela (Dennis Haysbert), le cinéaste adopte une approche profondément humaine, la rencontre entre les deux hommes devenant un symbole d'espoir vibrant pour le pays. Un espoir qui se révèle aussi à travers l'évolution au fil du temps de la mentalité de Gloria Gregory (Diane Kruger), personnage dont l'importance dans l'histoire vient habilement appuyer le propos.
Si la mise en scène de Goodbye Bafana peut paraître un tantinet académique, ce qui participe d'ailleurs à entraîner quelques baisses de régime, Bille August a le bon goût de ne pas charger son œuvre d'effets artificiels et de rester dans la sobriété. De par sa stature impressionnante, sa voix profonde et son regard perçant, Dennis Haybert (Loin Du Paradis, 24 Heures Chrono) fait un Nelson Mandela charismatique dont émane une vraie force tranquille. Un choix judicieux et une performance saisissante qui justifie à eux seuls de la vision du film. Le reste du casting se révèle à la hauteur de son interprétation, entre Joseph Fiennes (Shakespeare In Love) qui trouve le ton juste pour traduire les sentiments complexes qui animent son personnage, et Diane Kruger (Michel Vaillant, Troie), formidable dans le rôle de l'épouse tiraillée entre la confiance qu'elle voue à son mari et son désir d'une vie plus sereine.