L'Argent

L'Argent s'impose sans doute comme étant l'un des plus grands films du cinéma muet. Synthèse des dix années de recherches cinématographiques effectuées par le cinéaste, tout contribue à faire de l'oeuvre de l'impressionniste Marcel L'Herbier un des plus grands films de l'Histoire du Cinéma : sa modernité, la splendeur des décors, les mouvements de caméra inédits à l'époque, son montage hallucinant et dynamique, sa grande exploration formelle. Le cinéaste ne s'intéresse plus seulement à la narration mais surtout à l'image.

L'Herbier disait qu'il possédait avec L'Argent un thème qui l'accrochait profondément car il le détestait. Comme il le dit lui-même « J'étais en faillite et j'avais vu autour de moi tant d'exemples où l'argent avait joué un rôle néfaste. L'Argent est un film sur le péché de la spéculation, l'avarice et la corruption. La déshumanisation. ». Inspiré du roman éponyme d'Emile Zola, le réalisateur transpose à l'époque contemporaine (1928) l'action qui se déroulait au Second Empire. L'Herbier s'accorde avec l'approche journalistique et documentaire de l'écrivain tout en parvenant à allier cinéma commercial et expérimental.

Cinéaste français impressionniste et avant-gardiste, L'Herbier décrit le pouvoir de l'argent dans la société et sur les individus, à travers l'histoire d'un scandale financier. Chaque personnage ou presque semble possédé par l'argent et le désir de possession, comme il est dit sur certains intertitres « Saccard n'a qu'une croyance, l'argent. Avec l'argent tout s'achète, même l'amour ». Saccard, formidablement interprété par Pierre Alcover est non seulement montré comme étant un être machiavélique et véreux mais L'Herbier insiste sur l'humanité du personnage. Un être tragique qui en vient aux larmes au moment de sa défaite. « Si l'argent est un bon serviteur, il est un mauvais maître » indique un autre intertitre, l'argent aura finalement la perte de Saccard... enfin pas tout à fait quand on voit la scène ultime, cynique et toujours d'actualité. Un cercle vicieux comme le montre d'ailleurs le cinéaste au moment de cette scène prodigieuse où L'Herbier transforme la Bourse de Paris en fourmilière et les agents de change en « ouvrière » s'affairant dans un va et vient continu. Une vue au microscope (au propre comme au figuré) doublée d'une prodigieuse modernité technique. Aux côtés d'Alcover, on retrouve deux acteurs vus dans Metropolis de Fritz Lang : Brigitte Helm est impressionnante dans le rôle de la baronne Sandorf, à la fois vénéneuse, lascive, provocante, manipulatrice et perverse. Elle fera la perte de Saccard. Alfred Abel, le Joh Fredersen de Metropolis, interprète Gunderman. L'acteur allemand impose sans mal son extraordinaire charisme et malgré sa présence réduite à l'écran, il demeure indélébile dans les rétines des cinéphiles.

Sorti le 11 janvier 1929, L'Argent représente le chant du Cygne du cinéma muet pour Marcel L'Herbier et s'inscrit au Panthéon du patrimoine cinématographique français. Une fresque ambitieuse, vertigineuse et intemporelle qui annonçait le fameux krach de Wall Street.

Pour conclure disons que le film avait été coupé et remanié à sa sortie en 1928. L'Herbier avait crié au sabotage et saisi la justice pour retirer le film de l'affiche. Le film durait pour ainsi dire deux fois 2h40. L'édition DVD propose le film en deux parties enchaînées, soit 2h45.