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L'Héritière

Le 02/10/2007 à 07:59
Par
Notre avis
9 10

L'Héritière est un des plus beaux films de William Wyler. Un mélodrame sensationnel, pessimiste, élégant et cruel doublé d'un portrait de jeune femme bouleversant qui marque par la richesse de sa réalisation et de son interprétation. Extraordinaire directeur d'acteurs, le cinéaste obtient de ses comédiens (Olivia de Havilland, Montgomery Clift en tête) un jeu transcendant qui bouleverse alors le spectateur.


Critique L'Héritière

William Wyler, un des plus grands réalisateurs du vingtième siècle, signe une fois de plus un film splendide récompensé par quatre Oscars en 1950 : Meilleure actrice, meilleurs costumes pour Edith Head et Gile Steele, meilleure musique pour Aaron Copland et meilleure direction artistique. Inspiré par la pièce d'Augustus Goetz, elle-même adaptée du roman Washington Square, d'Henry James, L'Héritière est un film d'une cruauté verbale saisissante.

 

Avec virtuosité, Olivia de Havilland (enlaidie pour le rôle) incarne Catherine, humiliée et trahie de toutes parts qui, en raison des évènements, va perdre son innocence, ses certitudes et ses repères. Une lente mais palpable transformation s'opère devant les yeux du spectateur jusqu'à la dernière séquence. Timide, naïve, effacée, sans beauté, elle subit les remontrances d'un père qui lui renvoie constamment dans la figure le portrait de sa mère en insistant sur leur opposition physique. Doucement, Catherine calque son caractère sur celui de son père et devient froide, dure et implacable. Ses proches (sa tante, sa domestique) ont du mal à la reconnaître et ne peuvent imaginer que cette personne impitoyable puisse être la même qu'ils ont alors connue.

 

L'actrice obtient pour ce rôle le deuxième Oscar de sa carrière ainsi que le Golden Globe. C'est elle qui contacte un jour William Wyler pour lui suggérer l'adaptation d'une pièce de théâtre qui triomphe alors à Broadway. L'actrice, déjà lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice pour A chacun son destin, désire se tourner vers des personnages plus complexes, quitte à s'éloigner de l'image glamour qui lui colle à la peau. William Wyler, encouragé par son actrice à aller voir la pièce de théâtre, décide aussitôt de s'atteler à l'adaptation cinématographique.

 

Le cinéaste prouve une fois de plus sa dextérité à diriger les plus grands comédiens et sa mise en scène d'une ahurissante minutie souligne chaque réplique, capte le moindre regard des comédiens. Bénéficiant du final cut suite à ses nombreux succès, William Wyler décide également de l'ensemble de son équipe technique et du casting. A l'aide de son chef opérateur, il expérimente sur la forme, via les hauteurs de plafond, la profondeur de champ, les plans-séquences et use des verticales angoissantes des décors en multipliant les métaphores de la prison dorée retenant le personnage de Catherine. Au final, Wyler tourne très peu de séquences extérieurs pour mieux faire ressentir aux spectateur l'atmosphère pesante dans laquelle vivent les personnages. La fluidité de sa mise en scène n'a d'égale que son élégance et son attachement aux détails, même le plus infime. Constamment à la recherche de nouvelles formes narratives, William Wyler soigne chacun de ses cadres et met le spectateur à contribution en le laissant promener son regard sur un plan fixe, laissant ainsi le spectateur construire son propre film. Le décor est comme nous l'avons vu un élément indissociable de la dramaturgie du réalisateur. On ne compte plus les verticales étouffantes isolant un peu plus le personnage de Catherine dans sa prison dorée aux pièces étriquées, des motifs du canapé jusqu'aux boiseries, le cinéaste germano-alsacien usant des barreaux comme son compatriote Douglas Sirk usait des miroirs dans ses longs métrages.

 

C'est aussi l'occasion de revoir Montgomery Clift, impressionnant d'ambiguïté, tout juste sorti de La Rivière rouge d'Howard Hawks et qui trouve dans L'Héritière un de ses premiers rôles. Le couple qu'il forme avec Olivia de Havilland est aussi magique qu'improbable et demeure le pivot du film. Ses sentiments envers Catherine sont-ils sincères ou dissimulent-ils un intérêt ambitieux ? Jamais, le spectateur ne saura quelles sont les véritables intentions du personnage même si son arrivisme semble indéniable. Néanmoins, par le jeu du comédien, le spectateur se prend d'une empathie non feinte pour ce personnage obscur et pourtant largement condamnable et ce jusqu'à la toute dernière image du film.

 

A leur côté, Ralph Richardson (grand acteur shakespearien) et Miriam Hopkins livrent une prestation tout aussi spectaculaire. Dès ses premières scènes, Ralph Richardson apparaît distant et froid avec sa fille, la regardant à peine le matin au réveil et ne lui adressant la parole que pour la critiquer ou la comparer avec sa défunte mère. Il est clair dès le départ que le père n'aime pas sa fille et qu'il le lui fait bien comprendre.

 

Afin de souligner discrètement les sentiments des personnages, William Wyler s'offre les services d'Aaron Copland,  un des compositeurs symphoniques les plus prestigieux. Peu habitué aux bandes-originales, il ne laisse pas passer l'occasion de travailler avec William Wyler qu'il respecte beaucoup. N'envahissant jamais les séquences les plus fortes du film, sa partition accompagne sobrement l'action et s'éloigne des conventions du genre.

 

A sa sortie, L'Héritière s'avère être un semi échec pour William Wyler et rentabilise tout juste son budget (énorme à l'époque) de deux millions de dollars. Grâce à l'international, le film met plus de six mois à rentrer dans ses frais. Aujourd'hui, L'Héritière demeure un des plus grands films de son auteur.








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