La Loi et l'Ordre
Le 10/09/2008 à 04:31Par Michèle Bori
Film insipide à l’affiche étoilée, La Loi et l’Ordre est un thriller soporifique à la conclusion abracadabrantesque qui ne fait que confirmer la lente et tragique descente aux enfers de deux hommes qu’Hollywood a réussi à briser. Robert De Niro et Al Pacino ne sont pas morts, mais leur électrocardiogramme est peu rassurant. 34 ans après Le Parrain II et 13 ans après Heat, on a vraiment mal pour eux.
Jusqu’à aujourd’hui, Al Pacino et Robert de Niro ensemble à l’écran, c’était deux monstrueux chefs-d’œuvre du cinéma : Le Parrain II et Heat. Michael et Vito. McCauley et Hanna. Autant de noms qui résonneront pour l’éternité dans la tête de tous les cinéphiles de la planète et autant d’images qui resteront à jamais gravées dans leurs rétines : l’assassinat de Fanucci, le casse de la banque, « tu m’as trahi Fredo », et le mémorable café où les deux acteurs échangeront enfin quelques lignes de dialogues qui resteront dans l’histoire. De Niro et Pacino ensemble, c’est Platini et Maradona dans la même équipe. C’est un Agassi-Sampras en finale de Winbledon. C’est Hendrix qui fait un bœuf avec Jimmy Page. Et aujourd’hui, Pacino et De Niro ensemble à l’écran se résume à deux monstrueux chefs-d’œuvre du cinéma ... plus un sombre nanar intitulé La Loi et l’Ordre.
La Loi et l’Ordre (Righteous Kill en VO), c’est à la base un scénario pondu par Russel Gewirtz, déjà à l’origine du scripte malin de l’excellent Inside Man de Spike Lee. Mais hélas pour lui, à force de vouloir recycler ses idées (et faute d’un véritable metteur en scène capable de transcender son histoire), le pauvre Gewirtz s’est tiré une jolie balle dans le pied et nous propose ici un mauvais épisode d’Hollywood Night sous Lexomil, aux ressorts grinçants, à la trame narrative pleines à rebord de clichés d’un autre temps et au twist final aussi prévisible qu’un casting de Desplechin. Rien, strictement rien n’est à sauver dans ce thriller mou du genou vite bâclé par un Jon Avnet moins inspiré qu’un cadreur du JT de TF1. Ni l’histoire, ni la mise en scène, ni la production design, ni la musique au mètre qui vient nous indiquer quand c’est qu’il faut avoir peur, quand c’est qu’il faut être triste, et quand c’est qu’il faut quitter la salle. Peut-être à la limite retiendrons-nous la prestation globale des comédiens secondaires (Carla Gugino, John Leguizamo et Brian Dennehy en tête), et encore, ce serait faire abstraction que les pauvres se retrouvent à débiter des lignes et des lignes de dialogues insipides pour faire vivre à l’écran des personnages à peine plus intéressants que des Lemmings en autarcie.
"Je fais ce que je sais faire : je monte des coups. Tu fais ce que tu sais faire : tu essaies d'arrêter les mecs comme moi"
De Niro et Pacino se retrouvent donc dans un mauvais film. En même temps, il fallait s’y attendre, compte tenu de la filmo respective des deux bonhommes ces 10 dernières années (un peu plus Bob d’ailleurs) et surtout de la boite de prod à l’origine du projet. Ah, Millenium films. Les années 90 auront eu Dimension. Les années 2000 auront eu Millenium. Comment ne pas être énervé après cette société qui prend un malin plaisir à détruire une à une les icones du grand cinéma de ces trois dernières décennies ? Millenium, c’est au cinéma ce que le championnat du Quatar est au football. Une maison de retraite pour stars sur le déclin cherchant tant bien que mal à prouver qu’ils sont encore dans le circuit. Willis et Donner dans 16 Block, De Palma avec Le Dahlia noir, Michael Douglas dans King of California... Tant de grands talents dans le besoin qui se sont laissé avoir par le discours mielleux de quelques producteurs peu consciencieux qui ne voyaient en eux que des noms au rabais sur une affiche et qui ont tendu au tout Hollywood de jolis bâtons de merde en prétendant avec le sourire que c’était de l’or (ndlr, A l'exception de Stallone pour John Rambo quand même !). Le jour où l’on annoncera qu’un Gremlins 3 (avec des Mogwai en 3D), qu’un remake des Goonies ou de Point Break sortira en salle, il y a fort à parier pour que Millenium sera dans le coup. Aujourd’hui, la boite fait d’une pierre deux coups en rajoutant deux grands noms à son tableau de chasse des stars d’hier tombées dans leur traquenard faisandé. Pour Pacino, c’est même le coup de grâce, puisqu’il avait déjà participé à 88 minutes, déjà de Jon Avnet, déjà produit par Millenium.
Donc, La loi et l’ordre est au mauvais film. Mais comme on est d’éternels sentimentaux au cœur de groupie, on ne pourra s’empêcher de souligner que les rares moments potables du métrage sont à mettre au crédit des deux comédiens principaux, dont l’évidente complicité à l’écran ne peut que nous laisser des regrets. Le talent est une chose innée qui ne peut se perdre comme un vulgaire trousseau de clefs. Et nous sommes encore et toujours persuadés que Pacino et De Niro sont des acteurs de génie qui ne demandent qu’à apparaitre dans des trucs moins honteux que Godsend, The Score, Mafia Blues, La Recrue ou Two or the Money. On se pose la question, en croisant très fort les doigts : quand reviendront-ils enfin dans les petits papiers des réalisateurs sachant un tant soit peu construire un film et diriger des comédiens ? Quand est-ce qu’un Spielberg, qu’un Fincher, qu’un PTA, qu’un (ou deux) frères Coen ou qu’un Nolan fera confiance (ou refera confiance pour ce dernier, qui a dirigé Pacino dans Insomnia) à ses deux acteurs fondamentaux qui auront marqué le cinéma de leur empreintes ? Quand est-ce que Coppola et De Palma reprendront les armes et sortiront de leur retraite pour nous offrir de nouveaux Tony Montana ou Carlito Brigande ? Quand est-ce que Scorsese arrêtera ses documentaires sur la musique et ses remakes bas de gamme pour redonner vie à des Jimmy Conway, à des Ace Rothstein ou à des Travis Bickle ? Quand est ce qu’un producteur avec un peu de conscience artistique comprendra que ces deux noms valent bien plus que n’importe quel bellâtre insipide sorti d’une petite série télé en vogue que tout le monde aura oublié dans 15 ans ?
Lorsqu’on voit comment des Michael Caine, Morgan Freeman, Jack Nicholson, Donald Sutherland, Clint Eastwood et autres Ian McKellen arrivent à gérer leur fin de carrière, on a vraiment mal pour Bob et Al, qui n’en finissent plus d’attendre LE rôle qui prouvera une dernière fois à tout le monde qu’ils sont les meilleurs, point. Allez Quentin, t’as pas une petite idée ?