Le Visage d'un Autre
Le 05/12/2007 à 13:50Par Yann Rutledge
Notre avis
Défiguré à cause d'un accident de travail, Okuyama (Tatsuya Nakadai) est contraint de se bander entièrement le visage. Alors qu'il perd goût à la vie et que sa femme refuse ses avances, son psychiatre lui propose de participer à une expérience : un masque complexe, véritable prothèse faciale, est créé pour Okuyama et lui redonne un visage. Devenu anonyme, il emménage dans une auberge modeste et cultive peu à peu une nouvelle vie sociale, testant les limites de son identité retrouvée...
Traquenard et La Femme des sables étaient somme toute des oeuvres classiques, bien que virtuoses, et dont la thématique n'était pas forcément des plus évidentes. Teshigahara prend avec Le Visage d'un autre le contre-coup de ces deux précédents long métrages et met en scène son histoire franju-esque de façon totalement avant-gardiste. A coup de cadrages conçus au millimètre près, où l'irréalisme le plus total se permet sans grande pompe de pointer le bout de son nez (distillant ainsi de façon très discrète un certain malaise) le cinéaste présente ouvertement aux spectateurs la thématique de son film. Hiroshi Teshigahara y remet en effet explicitement en cause l'identité de l'individu dans la société japonaise de l'après-guerre : qui est-il; dans quelle mesure existe-t-il aux côtés des autres ; comment s'affirme-t-il; etc... Une poignée de questions déjà au cœur de ses deux précédents films qui questionnaient implicitement la place de l'homme dans la société, mais qui trouvent ici un second souffle par le biais de cette histoire d'homme sans visage. Mais à la différence du Traquenard et de La Femme des Sables, nombreux sont les dialogues à forte portée philosophique et psychologique entre Okuyama et son médecin, et dans lesquels Teshigahara traite ouvertement (sans doute de façon trop appuyée pour certains) de ce qui fait, forme et constitue l'individu. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le personnage du médecin n'existe pas dans le roman original de Abe Kobo, Teshigahara ayant transformé les monologues intérieurs de Okuyama en discussion entre deux personnages. Ses doutes et questionnements sont certes toujours présents dans l'adaptation cinématographique mais sont amenés de façon beaucoup moins lourde pour le spectateur, ces discussions permettant aux deux personnages de se répondre mutuellement et de faire avancer le schmilblick plus facilement.
Autre rajout de Hiroshi Teshigahara par rapport aux écrits de Abe Kobo, le personnage d'une femme portant d'un côté de son visage les cicatrices de la chute d'une des bombes américaines. Servant de contre-point au trio Okuyama/sa femme/son médecin, Teshigahara introduit ce personnage de façon plutôt gonflée, puisque c'est le personnage de Tatsuya Nakadai qui nous la présente comme le personnage d'un film qu'il a vu un jour au cinéma. La question est ainsi posée : si cette femme défigurée est totalement fictionnelle, Okuyama ne le serait-il pas lui aussi de part sa défiguration ? Est-ce le visage qui détermine si quelqu'un est réel ou fictionnel ? Un personnage défiguré y serait ainsi poussé hors de la réalité... Des questions qui s'ajoutent à celles, déjà nombreuses, émises par Okuyama.
Pas compris par le public de l'époque, le film fut boudé malgré la présence du charismatique Tatsuya Nakadai dans le rôle principal. Teshigahara ne désespéra pas et entrepris d'adapter un autre roman de Abe Kobo, Moetsukita Chizu (The Man Without a Map, que l'on pourrait traduire par L'homme sans carte) avec cette fois-ci Shintaro Katsu en tête d'affiche. Premier long métrage en couleur pour le cinéaste qui reste malheureusement à ce jour inédit chez nous...