Les Cerfs-Volants de Kaboul
Le 07/02/2008 à 08:46Par Elodie Leroy
Après une première partie particulièrement bouleversante centrée sur l'histoire d'amitié de deux enfants dans l'Afghanistan des années 70, Les Cerfs-Volants de Kaboul accuse quelques faiblesses dans sa seconde moitié. Si l'on s'en tient au parcours personnel et à la quête de rédemption du personnage principal, le cinéaste Marc Forster frappe juste et imprime son œuvre d'une véritable charge émotionnelle. Heureusement, car la vision de l'Afghanistan des Talibans reste extrêmement superficielle, tandis que les enjeux politiques globaux sont littéralement passés sous silence. Au final, on obtient un film inégal qui ne laissera toutefois pas indifférentes les âmes humanistes.
Avec à son actif des longs métrages de genres aussi divers que le drame A L'Ombre de la Haine, le thriller paranoïaque Stay, la comédie légère L'Incroyable Destin d'Harold Crick, et bientôt le prochain James Bond, Quantum of Solace, Marc Forster fait partie des réalisateurs les plus difficiles à cerner du cinéma américain actuel. Avec Les Cerfs-Volants de Kaboul, il explore encore un autre registre, prenant pour toile de fond l'Histoire récente de l'Afghanistan pour relater la rédemption d'un homme en exil. De par la charge émotionnelle de son histoire, le film se révèle poignant voire franchement bouleversant dans sa première moitié. Pourtant, la seconde trahit quelques faiblesses et l'ensemble s'avère ainsi quelque peu inégal, handicapé qu'il est par un traitement trop consensuel du contexte.
Adapté du roman de Khaled Hosseini, Les Cerf-Volants de Kaboul nous plonge tout d'abord dans l'Afghanistan de la fin des années 1970, à la veille de l'invasion soviétique. Fils d'un homme aisé, Amir grandit dans l'insouciance aux côtés de son meilleur ami Hassan, le fils du domestique. Leur quotidien se partage entre les jeux de cerfs-volants, les séances de lecture par Amir pour Hassan, ou encore les virées au cinéma du quartier pour revoir inlassablement leur film culte, Les Sept Mercenaires. On ne passera pas à côté de la scène enthousiasmante du tournoi de cerfs-volants, que la mise en scène parvient à rendre aussi palpitante qu'une course-poursuite de voitures - qui l'eut cru ? Visiblement très inspiré par son décor, Marc Forster nous dépeint un Afghanistan très vivant, en pleine ébullition intellectuelle, un tableau qui ne confine pas non plus à l'idéalisme puisqu'une certaine tension semble déjà habiter les lieux. Mais l'amitié d'Amir et Hassan prend fin le jour où le premier, par lâcheté et peut-être un peu par jalousie, trahit le second. Toute sa vie, il portera le fardeau de cet acte impardonnable, et ce n'est qu'une vingtaine d'années plus tard qu'il trouvera le moyen de se racheter. Soyons clair, la première partie des Cerfs-Volants de Kaboul, qui s'étend jusqu'à la fuite vers les Etats-Unis d'Amir et de son père (Homayon Ershadi, formidable), tient du chef d'œuvre. Il faudrait être insensible pour ne pas se laisser conquérir par la beauté des images, par la teneur très colorée de l'atmosphère, ou tout simplement par la fraîcheur de Zekiria Ebrahimi et Ahmad Khan Mahmoudzada, les deux comédiens qui incarnent Amir et Hassan enfants. Qu'il s'agisse de l'amitié brisée de ces derniers ou de la relation conflictuelle entre Amir et son père (un thème déjà subtilement présent dans Stay), Marc Forster déploie des merveilles de finesse et d'empathie pour transmettre le sentiment profond de culpabilité de son personnage central.
Là où le bât blesse, c'est dès lors qu'il s'agit de mettre en relation ces destins individuels avec le contexte global, notamment dans la partie se déroulant aux Etats-Unis. Pour un film traitant du déracinement, Les Cerfs-Volants de Kaboul se cantonne strictement et de manière superficielle aux enjeux internes à la communauté afghane, comme si celle-ci n'avait aucune relation avec le reste du pays d'accueil. Sans doute soumis aux pressions des studios, Marc Forster prend bien soin de ne jamais égratigner l'image de l'Amérique. Avec sa structure en trois parties s'attardant chacune sur un moment clé de la vie d'Amir, Les Cerfs-Volants de Kaboul évoque inévitablement Va, Vis et Deviens. Mais là encore, face au film de Radu Mihaïleanu, celui de Marc Forster ne fait pas le poids en termes d'authenticité, alourdi qu'il est par des relents hollywoodiens de plus en plus envahissants à mesure que l'on se rapproche de la conclusion. Lorsque Amir revient dans son pays natal, le film ne fait pas l'impasse sur les pratiques atroces perpétrées par le régime taliban. Ce qui est suggéré s'avère même pour ainsi dire terrifiant. Pourtant, avec ses excès de lyrisme lui conférant un caractère trop lisse, Les Cerfs-Volants de Kaboul ne parvient pas entièrement à convaincre dans sa retranscription de l'atmosphère désolée et sordide du pays.
Il nous faut aussi composer avec un dénouement à la limite de l'irréalisme, mais cet aspect n'est paradoxalement pas le plus dommageable puisqu'il est habilement mis au service du cheminement intérieur d'Amir. Ce dernier est incarné à l'âge adulte par Khalid Abdalla (Vol 93) qui sauve littéralement le film, imprégnant son interprétation d'une intensité et d'une gravité telles que son personnage suscite l'empathie jusqu'à la dernière minute. Si l'on s'en tient donc strictement au drame personnel, le film atteint son but en maintenant jusqu'au bout une véritable force émotionnelle, et c'est déjà beaucoup. Pour le témoignage cinématographique de l'ambiance de terreur instaurée par les Talibans, on préfèrera de loin le traumatisant Osama de Sedigh Barmak, premier film réalisé en Afghanistan depuis la chute du régime...