Réincarnation
Le 01/10/2007 à 08:29Par Elodie Leroy
Sous des apparences de banal film de fantômes japonais, Réincarnation manipule son monde avec une habileté machiavélique, les deux premiers tiers du film ne constituant qu'une préparation à un climax surprenant, astucieux et captivant. A la fois original et référentiel, glaçant et ludique, ce second volet de la trilogie Jap'Horror est une excellente surprise prouvant que Takashi Shimizu n'a rien perdu de son savoir faire et de sa capacité à renouveler un genre que l'on croyait arrivé à saturation. Très fort.
On pensait que Takashi Shimizu ne finirait jamais d'en découdre avec la saga Ju-On / The Grudge, un concept décidément inépuisable - sur le plan commercial, du moins. Cependant, le cinéaste manifestait dès l'année 2004 une liberté artistique étonnante en signant le stupéfiant Marebito, sorte de cauchemar lovecraftien aussi radical que fauché. L'année d'après, entre deux The Grudge américains, il revenait dans son pays natal pour tourner Réincarnation - Rinne en japonais -, second opus de la deuxième trilogie Jap'Horror Theater produite par Takashige Ichise (Ring, Ju-On).
Oui, Shimizu revient vers un format plus classique que dans Marebito. Oui, il s'agit encore une fois de fantômes japonais. La bonne surprise, c'est non seulement que le réalisateur n'a rien perdu de son savoir-faire, mais surtout que ce Réincarnation manipule bien son monde avec un scénario dont les enjeux ne sont peut-être pas ceux que l'on croit.
Sur le papier, Réincarnation n'a pourtant pas de quoi emballer les foules. Le film plante son décor principalement dans un hôtel où un terrible événement est survenu dans le passé, à savoir le meurtre par le maître des lieux de toute sa famille et de plusieurs clients. Décidément chez Shimizu, quand papa pique sa crise, on obtient un tueur fou furieux qui trucide au couteau femme et enfants, et au passage tous les malheureux qui ont la malchance de croiser son chemin. Cela dit, tout cela n'est quand même pas sans rappeler le pitch du mythique Shining : pour l'originalité du contexte, on repassera. L'action s'intéresse donc à Nagisa Sugiura (Yûka), une actrice en herbe recrutée par un réalisateur (Kippei Shiina) pour incarner le rôle principal d'un film retraçant cet atroce fait divers. Comme par hasard, à l'approche des répétitions qui se dérouleront précisément dans l'hôtel en question, la jeune femme est assaillie par des visions surnaturelles se matérialisant par les apparitions d'une petite fille au regard noir. A l'heure où la simple évocation d'une tignasse de cheveux longs provoque une irrépressible lassitude chez les amateurs du genre, Shimizu aurait-il décidé de se payer la tête de son public ? La réponse est à la fois oui et non. D'une part, Réincarnation évite les pièges des effets faciles et privilégie l'atmosphère surnaturelle à l'état pure, les sons diffus ou glaçants, les maquillages rappelant les films traditionnels. Ensuite, il faut savoir que cette première heure ne constitue qu'une mise en bouche. Car au-delà de l'efficacité de la chose, l'intérêt du film réside dans la manière dont il se revêt des atours du banal film d'épouvante pour porter le coup de grâce avec un final surprenant, astucieux et terriblement enthousiasmant.
Quand les fantômes du passé réclament leur dû, tout est permis, les enjeux karmiques prenant volontiers le dessus sur les notions de réalité ou de temporalité. Takashi Shimizu se fait maître du temps et du récit pour induire la confusion, et pour ce faire, opère une véritable fusion entre le fond et la forme. Déjà dans Marebito, le cinéaste explorait la mise en abyme du cinéma à travers la vidéo réalisée par un homme complètement barré. Dans Réincarnation, il n'hésite pas à flirter avec le thème du snuff movie et pousse le procédé de Marebito encore plus loin, mêlant le « réel » avec le film tourné, les images vidéo du passé et les souvenirs des personnages. Soulignons à ce titre que Réincarnation supporte aisément une seconde vision (voire plus), tant il s'avère ludique de détecter chaque détail annonçant le fin mot de l'histoire, ou encore de décrypter la manière dont la narration met en place le dénouement, à travers des situations, des dialogues ou même des effets de montage. Jouant sur la confusion entre le champ et l'espace dans lequel son censés évoluer les personnages, le film fait des allers et retours entre décors réels et fabriqués, avec une poésie comparable à celle d'un David Lynch, faisant au passage un emploi judicieux car pas trop tape-à-l'œil du numérique. A côté de cela, les clins d'œil sont légion, du Shining de Kubrick bien sûr (les apparitions dans le dédale de couloirs, la chambre maudite) aux zombies de Romero, en passant par Les Poupées de Stuart Gordon (quoique la poupée évoquera aussi quelques épisodes cauchemardesques de La Quatrième Dimension). Pour couronner le tout, la composition de Kenji Kawai ajoute une touche retro particulièrement bien sentie à travers un thème musical entêtant, d'une simplicité enfantine. L'expérience est stimulante, et compte tenu de la difficulté actuelle du cinéma d'épouvante à se renouveler, il fallait le faire.
Quant à The Grudge, que l'on se rassure : Shimizu s'est remis au travail pour un troisième opus japonais ! Zutto issho daiyo...