Snowpiercer de Bong Joon Ho avec Chris Evans : De bruit et de ferraille - notre critique
Le 11/05/2022 à 19:29Par Antoine Meunier
(sortie le 30 octobre 2013 en France)
"Il y a une différence entre connaître le chemin et arpenter le chemin" déclamait autrefois Morpheus à son élu. Curtis, lui, connait le chemin qui mènera les siens à la liberté. Car les voyageurs de dernière classe du Snowpiercer, un gigantesque train parcourant un monde glacier hostile, sont les esclaves d'une impitoyable hiérarchie. Les derniers rescapés de l'espèce humaine sont ainsi séparés en deux catégories : les pauvres, au fond du train, vivent dans un lieu concentrationnaire sous la tyrannie d'une milice employée par les riches qui, eux, vivent dans l'oisiveté et l'abondance la plus complète. Tout du moins, jusqu'à ce que les rebelles décident de défier l'ordre établi, de remonter le train et d'aller déloger Wilford, le Magicien d'Oz du futur, à la fois créateur et maître absolu du Snowpiercer. Ce que Curtis ignore en revanche, c'est que sa route ne sera pas pavée de briques jaunes comme celle de Dorothy, mais maculée de sang et de larmes.
Au bout du train, la liberté... ou la damnation.
Le scénario du film plonge donc nos héros au coeur de cet assaut, entre combats sanglants et découverte d'un peuple à priori libre mais adepte d'une pensée unique, celle du gourou Wilford, une entité mystérieuse dont les contes, les chants et les vidéos de propagande endoctrinent la population, du berceau au tombeau. Elevé au rang de Dieu, Wilford contrôle la plèbe depuis la tête du train, centre nevralgique où toute la magie s'opère et où toutes les réponses attendent patiemment d'être, enfin, libérées. Et c'est ce monde construit de toutes pièces, cet écosystème régi par les lois de l'entropie que Curtis et son équipe va découvrir et tenter d'anéantir. Au gré de leur périple et tels les personnages enchaînés de l'allégorie de la caverne de Platon, les révoltés du Snowpiercer vont ainsi, peu à peu, accéder à la complète connaissance de cette inégalité et surtout, à l'estomaquante connaissance de leur propre réalité. Une quête mystique doublée d'une odyssée métaphorique dans laquelle les wagons symbolisent les cercles de l'enfer classiques de Dante et où chaque porte est un barreau de l'échelle sociale que nos héros tentent de gravir, au péril de leur vie.
Le train est le monde, ses occupants l'humanité.
Quelque part dans cette Arche de Noé du futur séparée en compartiments, le réalisateur Bong Joon Ho (Memories of Murder, The Host, Mother,...) continue donc l'exploration de thèmes qui lui sont chers tels que les inégalités sociales, la lutte des classes mais aussi son étude anthropologique sur les limites extrêmes de la nature humaine. Pour autant, malgré les fascinantes réflexions spirituelles et philosophiques qui parsèment le récit, le scénario, haletant de bout en bout, laisse une large place à l'action, au suspens et à l'aventure. Ainsi, jamais la locomotive du récit n'échappe à Bong Joon Ho qui dompte la prison anxiogène de son monstre d'acier avec une idée simple mais pour le moins astucieuse : créer du mouvement à l'intérieur du mouvement. Pour cela, le réalisateur filme le Transperceneige comme un personnage à part entière, à la fois vecteur de mouvement et de rythme. Le train fonce à vive allure dans les courbes enneigées, traverse les ponts et tunnels de montagnes et affronte les éboulements. Dans ses entrailles, les insurgés épousent ce mouvement, progressant coûte que coûte vers l'avant du train, tantôt baignés d'une lumière vive salvatrice, tantôt plongés dans une obscurité souvent mortelle. C'est ce mouvement perpétuel des éléments qui permet au réalisateur de s'approprier l'espace, de créer de véritables ruptures de ton, de varier les atmosphères, de pousser constamment son récit et de dynamiser chacune de ses séquences.
Une oeuvre monumentale.
En donnant vie aux planches de la BD éponyme, Bong Joon Ho construit ainsi une fable métaphysique où le chemin parcouru par ce groupe d'esclaves en quête d'humanité est presque aussi importante et critique que leur destination. Riche en thématiques passionnantes, visuellement somptueux, techniquement maîtrisé, bourré de fulgurances et doté d'un casting impeccable (mention spéciale au toujours génial Song Kang-Ho et à l'exceptionnelle performance de Tilda Swinton, méconnaissable en bras droit délurée), le nouveau film de Bong Joon Ho est une oeuvre tout simplement monumentale. Alors accrochez-vous, car voilà un voyage que vous n'êtes certainement pas prêts d'oublier...