Soyez sympas, Rembobinez ! (Be Kind Rewind)

Parce qu'il semble vivre à 100% dans son univers, Michel Gondry raconte à chacun de ses films une histoire dans laquelle il n'est pas forcément évident de rentrer du premier coup. Un rien d'efforts suffit pourtant pour se laisser conquérir par la sensibilité des thèmes qu'il aborde, comme la rupture et le souvenir d'une relation dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, le rejet dans Human Nature, ou la simple douleur de l'amour qui ne se concrétise jamais dans La Science des rêves. A chaque fois, le cinéaste traite de sentiments, d'affection, des thèmes récurrents dans sa carrière de clips et omniprésents dans sa filmographie. Et c'est encore plus flagrant avec Be Kind Rewind, même si cela ne se traduit pas à l'écran par une relation amoureuse mais plus par une passion abordée comme le moteur de liens entre humains. Le message est donc simple mais universel et ne pouvait pas mieux tomber que dans les mains du roi de l'imagination.

Be Kind Rewind ne contient donc pour le coup que cinq secondes de romance en tout et pour tout. Gondry se sert de son histoire absurde de magnétisation du cerveau de Jack Black provoquant l'effacement des cassettes d'un vidéo club, pour envoyer ses héros refaire avec leur caméra et surtout leur imagination, les scènes cultes des films qui les ont bercés. Certes l' histoire s'appréciera un peu plus si on se souvient de S.O.S. Fantômes, Miss Daisy et son chauffeur, 2001, Robocop, Boyz'n the Hood, King Kong ou Men In Black, mais elle ne s'arrête absolument pas à ce délire amusant de fanboy. Car contrairement à ce que laissait croire la bande-annonce, seules quelques minutes sont consacrées à ces reprises, certes brillantes et donnant entre autres lieu à de deux plans séquences/montages simplement jouissifs, mais servant avant tout à démontrer notre fascination à tous pour le cinéma.

Be Kind Rewind est avant tout l'histoire d'un quartier de Harlem où plane vaguement la légende d'un jazzman né dans l'immeuble de notre vidéo club. Gondry laisse beaucoup de place à ce personnage annoncé nulle part, via des vidéos noir et blanc éparpillées à travers tout le film et qui dépeignent en filigrane l'histoire de la communauté locale. Le pitch n'est pas sans rappeler l'intrigue de Blues Brothers, chaque couple de héros se prenant de récolter l'argent nécessaire par tous les moyens possibles et incongrus pour sauver un lieu cher à leur éducation : un couvent dans l'un, un vidéo club ici. Deux films encore moins éloignés puisque nous constatons dans un cas comme dans l'autre, qu'une passion artistique va motiver chacune de leurs croisades : la musique pour les parrains du Blues et le bon classique de la VHS pour Jack Black et Mos Def. Et ce sont ces valeurs culturelles toutes simples qui sont ici mises en exergue : le vidéo club redevient au fur et à mesure de l'histoire un lieu social où tout le monde, de n'importe quelle génération ou éducation, se retrouve et célèbre l'imagination.

Gondry trouve ici le moyen de se replonger dans son élément, rendant un hommage instantané à ces moments magiques qui peuvent naître d'un centre d'intérêt fédérateur. Peut-être alors parce qu'il nage comme un poisson dans l'eau et n'a pas à se dévoiler intimement comme il l'a fait auparavant, Gondry fait de Be Kind Rewind un film bourré de paradoxes pour un film de Gondry. A commencer par la linéarité et simplicité du récit, loin des abîmes et rebondissements inattendus qu'on trouvait dans ses précédents films, mais au message tout autant efficace. Car attention, il ne faut pas confondre simplicité et pauvreté. C'est à la fois un film moins dingue que ses précédents mais tout de même très bizarre ; à la fois moins personnel mais encore plus dans son univers ; à la fois moins recherché techniquement (en dehors des deux plans mentionnés précédemment, le reste est très sobre), mais c'est peut-être celui qui lui ressemble le plus esthétiquement. Si nous identifierions ces phénomènes comme un gain de maturité chez un autre réalisateur, Gondry est et reste le seul maître d'un univers qui n'en n'a pas besoin. C'est dans l'universalité du propos que repose certainement l'explication de ces paradoxes (passionnants), illustrant l'état d'esprit d'un film profondément simple mais ne tombant jamais dans la facilité, comme le prouve par exemple une fin ouverte invitant notre imagination à la choisir nous même (promis, on ne vous révèle rien par ces mots).

Et puis Be Kind Rewind est aussi une hymne à la tolérance, une invitation à faire sauter toutes les barrières pour laisser notre imagination exploser, quitte à mentir tant qu'il s'agit de cinéma. Un discours qui pourrait être désigné par des documentalistes comme du révisionnisme, mais qui dans l'univers de la fiction et donc celui de Gondry, s'appelle l'espoir, le rêve et la fantaisie.