The Good Heart

Coproduction américano-dano-islandaise et troisième long métrage de Dagur Kari, The Good Heart est de ces films d'apparence modeste qui surprennent par leur justesse et leur simplicité sans pour autant sombrer dans l'ascétisme pompeux d'un cinéma trop auteurisant. Tout commence par la rencontre dans une chambre d'hôpital de deux personnages que rien ne prédisposait à se connaître : Jack (Brian Cox), un barman vieillissant sujet aux attaques cardiaques à répétition, et Lucas (Paul Dano), un jeune sans-abri tout juste rescapé d'une tentative de suicide. Sans même lui demander son avis, le premier décide dès sa sortie de l'hôpital de prendre en charge le second et de le former à son métier afin qu'il prenne sa suite. Régi par une philosophie immuable et par des règles strictes et parfois bizarres, l'apprentissage de Lucas place celui-ci sous le contrôle entier de Jack, jusqu'à ce que l'arrivée inopinée d'April (Isild Le Besco), une jeune hôtesse ivre et paumée, vienne bouleverser la donne et peut-être compromettre l'étrange amitié qui s'était liée entre les deux hommes.

Reposant sur un nombre restreint de décors et de personnages, quitte à donner au film des allures théâtrales, The Good Heart parvient avec peu de choses à installer un véritable petit univers autour de Jack et Lucas, univers habité par les seconds rôles pittoresques que sont les clients du bar. Les portraits des deux hommes ont cela de particulier qu'ils se dessinent à travers leurs défauts et leurs travers du quotidien, ce qui les rend immédiatement humains et attachants. Si Lucas apparaît presque prisonnier de l'univers de Jack et donc du cadre, April entre et sort du champ à sa guise et demeure insaisissable tandis que sa présence se ressent immédiatement sur le décor et l'atmosphère, induisant rapidement un mélange de bonne humeur et de danger. The Good Heart conte aussi le réajustement d'un univers masculin fonctionnant en circuit fermé au contact d'un élément féminin, qui apparaît d'abord comme perturbateur avant d'être source d'un étrange rééquilibrage qui ne peut se faire que dans la douleur. On assiste à l'évolution de ce petit monde avec un intérêt mêlé d'amusement, l'humour décalé permettant au film de conserver sa légèreté malgré la lutte sourde qui se joue entre les trois protagonistes.

Privilégiant l'emploi de la caméra à l'épaule, Dagur Kari porte un regard à la fois tendre et plein de dérision sur ses personnages et extrait des émotions justes à partir de situations parfois absurdes. Outre ses qualités d'écriture et de mise en scène, The Good Heart doit aussi beaucoup à un duo de comédiens particulièrement savoureux, entre un Brian Cox excellent en barman bourru et un Paul Dano (Little Miss Sunshine, There Will Be Blood) qui fait subtilement évoluer son personnage de l'indécision à la maturité, et ce même si le chouchou du cinéma indépendant américain conserve sa dégaine d'éternel adolescent au regard benêt. Avec son regard écorché, Isild Le Besco parvient à tirer le meilleur d'un personnage qui aurait pu se résumer à un cliché. Au final, The Good Heart dégage une vraie chaleur humaine sans jamais tirer ostensiblement sur la corde sensible et séduit par son originalité et sa sincérité.