Dorian Gray
Le 01/09/2010 à 17:46Par Elodie Leroy
Notre avis
On attendait avec une certaine curiosité cette relecture à la sauce moderne du Portrait de Dorian Gray, le chef d'oeuvre d'Oscar Wilde, d'autant que le film se dote d'un casting plus qu'alléchant, de Ben Barnes (Les Chroniques de Narnia Chapitre 2 : Le Prince Caspian) en Dorian Gray à Colin Firth (A Single Man) en Lord Henry Wotton, en passant par Rebecca Hall (Vicky Cristina Barcelona, The Town), Ben Chaplin (La Ligne Rouge) et Fiona Shaw (la saga Harry Potter). Le réalisateur Oliver Parker est un familier de l'oeuvre de Wilde puisqu'on lui doit déjà les transpositions au cinéma de deux pièces de l'auteur, Un Mari idéal (1999) et L'Importance d'être constant (2002). Malheureusement, le cinéaste échoue à insuffler l'"âme" du roman à un film qui peine à se définir, coincé qu'il est entre les exigences contradictoires du thriller sulfureux et mystique et la série B pour ados.
L'ouverture horrifique du film annonce la couleur : au cas où son public ne serait pas porté sur la littérature, Dorian Gray cherche à capter son attention dès les premières secondes avec une séquence choc montrant le personnage titre en plein meurtre. Le scénario se révèle par la suite plutôt fidèle à celui du roman, de l'arrivée du jeune Dorian dans la haute société londonienne à son remodelage par Lord Henry Wotton qui lui souffle avec perversité son idéologie hédoniste et cynique, puis la descente aux enfers du jeune homme à mesure que le portrait se modifie au gré de ses (mauvaises) actions. S'il faut reconnaître une qualité à ce Dorian Gray, c'est de tenir plutôt bien ses promesses dès lors qu'il s'agit d'enchaîner les scènes érotiques traduisant la plongée du personnage dans une vie de débauche. Épaulé par un travail esthétique convenable, Oliver Parker filme ses acteurs avec une certaine sensualité même si l'on eût espéré une atmosphère plus trouble et une réalisation plus raffinée, notamment lorsque le film dépeint les rapports homosexuels entre Dorian et Basil. Ben Barnes, dont le charme n'est plus à prouver, réussit plutôt bien à traduire la transformation intérieure du personnage titre, passant de l'innocence au cynisme avec une certaine aisance et sans jamais verser dans la caricature. De Colin Firth à Ben Chaplin, les acteurs secondaires se montrent eux aussi à la hauteur, à l'exception peut-être de Rachel Hurd-Wood (Le Parfum) en Sybil Vane qui - à la décharge de la jeune comédienne - ne bénéficie malheureusement pas d'un matériau convenable en termes d'écriture - la scène de séparation, tragique dans le roman, ne distille tristement aucune tension dramatique dans le film.
Mais là où le bât blesse le plus sérieusement, c'est dès lors qu'intervient le fameux portrait... A trop vouloir en faire de ce dernier et du grenier dans lequel il est entreposé des personnages du film, Oliver Parker sombre dans le film de croque-mitaine de base, la métamorphose du portrait s'effectuant à coup de râles dignes d'une mauvaise série B et de transformations numériques plombées par un budget visiblement restreint. Le film semble constamment hésiter sur le genre auquel il doit appartenir et perd au final toute la substance du roman, se réduisant dans sa dernière demi-heure à un film d'horreur bas-de-gamme là où nous attendions davantage de poésie noire, de voyage introspectif, de questionnement mystico-existentiel à la manière du Parfum, sublimement adapté il y a quelques années par un Tom Tykver autrement plus inspiré.
Tout juste sauvé par ses (bons) comédiens, Dorian Gray se regarde sans ennui mais laisse la désagréable impression d'avoir assisté à un massacre en règle d'une oeuvre pourtant majeure de la littérature fantastique - et de la littérature tout court. Dommage.