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Tabou(s)

Le 02/12/2010 à 18:37
Par
Notre avis
8 10

Pour son passage à la réalisation de long métrage, le scénariste d'American Beauty réussit presque un sans faute avec ce portrait touchant d'adolescente en pleine découverte de sa sexualité. Provocateur mais jamais gratuit, sulfureux sans être racoleur, Tabou(s) développe son propos en soulevant avec une grande intelligence des questions dérangeantes sans jamais se départir d'un humour mordant. Le film est soutenu en cela par de formidables prestations de comédiens (la jeune Summer Bishil, Peter Macdissi, Aaron Eckhart...) donnant vie à des personnages finement écrits.


Critique du film Tabou(s), d'Alan Ball

Dans les bacs depuis le 17 novembre, Tabou(s) était jusqu'à présent connu en France sous le titre Towelhead et était présenté au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2008.

 

Critique du film Tabou(s), d'Alan Ball

 

Rares sont les films qui abordent sans tabou la question épineuse de la sexualité des adolescentes. Nous disons bien adolescentes, car s'il reste toujours subversif de dépeindre de manière réaliste l'éveil sexuel de leurs homologues masculins, il faut bien dire que celui des jeunes filles pâtit bien souvent d'un traitement déplorable, quand il n'est pas carrément associé à un comportement prostitutionnel. Point de tout cela dans Tabou(s), adaptation du roman La Petite Arabe d'Alicia Erian et qui s'intéresse à une adolescente de treize ans en pleine prise de conscience de sa féminité. Sachant que le métrage est signé par Alan Ball, auteur du scénario d'American Beauty et producteur exécutif de la série Six Feet Under, nous nous attendions à découvrir un objet décomplexé et hors normes et nous étions dans le vrai. Nous n'avions peut-être pas prévu qu'il serait porteur d'une telle charge émotionnelle.

 

Critique du film Tabou(s), d'Alan Ball

 

Alan Ball parvient donc à éviter tous les pièges du racoleur tout en appelant un chat un chat, envisageant l'éveil sexuel de Jasira (Summer Bishil) de l'intérieur. La jeune fille va devoir faire face aux mutations de son corps et aux réactions que celui-ci suscite auprès de son entourage, entre des parents incapables de l'accompagner dans ce changement et surtout un voisin en proie à des désirs incontrôlables à son égard. Pour couronner le tout, elle se retrouve prise dans la tourmente de la crise sociale traversée par le pays, alors en pleine Guerre du Golfe. Toutefois, cet aspect reste superficiellement abordé et la question du racisme n'occupe pas le coeur du film, même si elle donne lieu à des scènes de school bullying pour le moins brutales. Mais de manière habile, ces préjugés font partie intégrante du vécu de Jasira en appuyant son sentiment de solitude face au monde des adultes. Si les dialogues misent bien souvent sur un humour incisif évitant à l'œuvre de sombrer résolument dans le drame, Tabou(s) s'avère mine de rien porteur d'une violence sourde, celle encaissée par une jeune fille plongée dans l'incompréhension face aux regard que les adultes portent sur son corps. Ce corps que chacun chosifie à sa manière, que ce soit en voulant se l'approprier comme Mr Vuoso (Aaron Eckhart), ou en cherchant à tout prix à le protéger comme le père (Peter Macdissi) ou même la voisine pleine de bonnes intentions (Toni Colette). Justement, la chosification est précisément ce qu'Alan Ball évacue à merveille dans sa mise en scène : là où d'autres se seraient contentés d'érotiser les émois physiques de la jeune fille pour les mettre au service d'un regard exclusivement masculin, le cinéaste capte avec justesse la palette d'émotions qui traversent Jasira sans pour autant faire l'impasse sur la sensualité, à travers des séquences réjouissantes où masturbation devient synonyme de poésie visuelle. Révélation du film, Summer Bishil porte littéralement le film sur ses épaules, imprimant à son personnage une innocence qui va de pair avec une prise de conscience de son pouvoir sur les hommes.

 

Critique du film Tabou(s), d'Alan Ball

 

Outre sa maturité narrative et artistique, l'une des immenses qualités de Tabou(s) est de proposer une approche multidimensionnelle des personnages et de laisser le spectateur se forger sa propre opinion. Il suffit de voir le regard porté sur le père de Jasira, superbement interprété par Peter Macdissi (Six Feet Under), ce père désorienté dont l'attitude réactionnaire, parfois violente, abrite une détresse profonde face à l'entrée de sa fille dans la puberté. De son côté, Mr Vuoso s'avère étonnamment être l'un des personnages les plus touchants du film - Aaron Eckhart (The Dark Knight) fait une fois de plus des étincelles -, la question de la pédophilie se voyant à ce titre traitée avec une complexité et surtout une ambiguïté qui en dérangera certainement plus d'un. Mais il faudra regarder le film jusqu'au bout pour comprendre où Alan Ball veut nous emmener, la dimension subversive ne se situant peut-être pas là où l'on croit.

En résumé, Alan Ball signe un drame osé, lucide et émouvant et accomplit donc avec les honneurs son passage à la réalisation de long métrage.

 

Date de première publication : 4 septembre 2008 à 11h15

 





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