A Serbian Film : le scandale de L'Étrange Festival
Le 10/11/2010 à 18:00Par Yann Rutledge
La première question est évidente : mais pourquoi un film aussi violent ? Viols, décaptitation, torture... On ne compte plus les atrocités commises dans le film.
A Serbian Film n'est pas un documentaire mais une pure fiction. C'est un mensonge qui dit une vérité, une radioscopie métaphorique de la Serbie emballé dans un film de genre. C'est l'équivalent en quelque sorte du Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pasolini dans lequel, comme métaphore du fascisme, de jeunes gens mangeaient leurs excréments. Nous souhaitions avec A Serbian Film présenter le plus grand viol de l'histoire. Les Serbes ne réalisent pas qu'ils ont été et sont toujours quotidiennement violés. La Yougoslavie fut un grand pays qui aujourd'hui est dans le sang. Toutes ces années de colère et de frustration devaient exploser dans un tel film. Seulement aujourd'hui au cinéma, tout doit être présenté au premier degré. C'est ici que réside le malentendu. A Serbian Film joue sur différents niveaux de réalité. Dès la première image, on le dit : vous regardez un film. Un film serbe (NDLR : A Serbian Film en anglais). Et à la deuxième image, on montre même que c'est un film dans le film !
Nous voulions aller à contre-courant du style filmé caméra sur épaule qui se voudrait réaliste. Chacune des séquences du film joue comme une métaphore. La séquence du viol du nouveau-né par exemple qui a fait couler beaucoup d'encre est également une métaphore. Nous avons été violé depuis notre enfance, et cela continuera sans doute jusqu'à notre mort. A Serbian Film un film nihiliste qui nous devions faire afin dans un sens de nous purifier. Mais peut-être que les spectateurs n'ayant pas vécu en Serbie ne peuvent percevoir cela.
Une métaphore, très bien. Mais alors pourquoi un film écrit de façon si classique ?
Vous auriez donc été plus à l'aise si le film avait été plus stylisé ou s'il avait été purement métaphorique ? Nous avons décidé de réaliser un film traditionnel, comme un vieux film américain des années 70, afin par la suite de mieux déstabiliser le public. A Serbian Film joue dans une certaine mesure sur le même tableau que Funny Games de Michael Haneke. Sauf que Haneke a décidé dès le début de distance le public de son film. Et le film ne nous ébranle pas à cause de cela. Je ne suis pas fan du film précisément parce que Haneke n'aime pas ce cinéma.
Haneke a beau haïr le cinéma d'horreur, il a pourtant parfaitement compris comment le public réagissait devant au point qu'il joue avec leurs réactions et leurs attentes.
Je suis d'accord. Haneke est un manipulateur. Nous avons préférés prendre une autre direction. Nous souhaitions débuter de manière classique pour ensuite entrainer le public en enfer. C'est ce qui arrive lorsqu'on ne parvient pas à suivre sa destinée. Nous sommes mis à distance dès le début dans Funny Games. Dans A Serbian Film, celle-ci intervient plus tard. Nous jouons avec le genre horrifique mais sans être manipulateurs.
N'aviez-vous pas peur d'aller trop loin. En allant trop loin dans le gore on risque de tomber dans le grotesque.
Le personnage de Kevin Spacey dans Seven disait quelque chose comme "on ne peut plus tapoter sur l'épaule de quelqu'un pour gagner son attention, on est obligé de le frapper à coup de massue". Nous voulions diffuser un message. A Serbian Film traite de cinéma, de manipulation, de politiquement correct, de fascisme... Nous devions prendre cette chemin. Je suis constamment surpris que des gens oublient qu'ils regardent un film lorsque la violence éclate. Certain pensent même que nous approuvons la violence qui y est montrée, que nous y prenons du plaisir même. Mais le ton du film est tel qu'il est impossible d'en tirer un quelconque plaisir !
Est-ce que le film a été distribué en Serbie ?
Il a été présenté dans plusieurs festival. J'ai d'ailleurs reçu un prix pour le scénario, ce que je ne m'attendais pas. La présentation en festival est une chose, la distribution en salle en est une autre. A ce jour, A Serbian Film n'a toujours pas été distribué en Serbie. Vu comment le public étranger réagit, j'imagine que la réaction dans mon pays sera vingt fois pire. Sans avoir la prétention de penser qu'il leur fera ouvrir les yeux, ce film a été d'abord conçu pour eux.
A Serbian Film a-t-il été difficile à monter financièrement ? Il a été dit ici et là que vous avez eu l'aide du CNC local.
C'est faux. Il a eu une confusion entre A Serbian Film et un autre film serbe, Life and Death Of A Porn Gang (réalisé par Mladen Djordjevic, ndlr). Il est très difficile de faire des films - ou quoi que ce soit d'autre d'ailleurs - en Serbie. C'en est presque un acte de folie. Mais nous avons cru au projet jusqu'au bout. Le pays compte de grands comédiens qui pourtant n'ont pas la possibilité de jouer en dehors de films commerciaux ou de publicités. Srdjan Todorovic et Sergej Trifunovic qui interprètent respectivement Milos et Vukmir ont été dès le départ fascinés par le projet. Le personnage du Milos a même été écrit à l'intention de Srdjan Todorovic. Ils avaient dès le début compris le sujet du film et n'ont pas eu peur une seule seconde. Ils ont accepté parce qu'ils recherchaient le défi.
Danss quel état est l'industrie du cinéma yougoslave ?
Dans un sale état. Une poignée de films parviennent à être produits et réalisés, mais aucune opportunité n'est offerte aux jeunes réalisateurs pour mettre en scène leur premier long métrage. On ne donne de l'argent qu'aux réalisateurs qui ont un ou deux films à leur actif. Et comment peut-on réaliser un premier film dans ce cas ?! L'industrie du cinéma est en train de tuer le désir de cinéma de la jeune génération. Il est par ailleurs presque impossible de mettre en scène quelque chose d'original ou de trop bizarre. C'est une situation déplorable. Les jeunes réalisateurs se font dans un certain sens baiser tout en étant forcés de mettre en scène une pornographie subventionnée par l'état. Et c'est exactement ce dont parle A Serbian Film ! (rires)
Vu de France, nous avons pourtant l'impression que ça bouge en Serbie. Charleston & Vendetta dont vous co-écrit le scénario est sorti dans les salles françaises sous la houlette de EuropaCorp.
Le film est effectivement sorti mais dans une version remontée... charcutée même par Luc Besson. Ceci dit, il y a bien entendu des tentatives pour un autre cinéma, mais la seule manière que nous aurions pour y arriver serait en obtenant une aide de l'extérieur. Un vrai cinéma serbe est possible. A Serbian Film est une promesse en ce sens.
Quels sont vos prochains projets ?
J'ai un projet avec Srdjan Spasojevic, le réalisateur de A Serbian Film qui n'a strictement rien à voir avec la Serbie. Mais nous portons un regard sur le monde tel qu'il est aujourd'hui. J'ai également écrit un scénario pour un autre réalisateur tout aussi talentueux que Spasojevic à propos d'une jeune femme enceinte qui reçoit des coups de fil de Dieu. Ce dernier lui demande de tuer des publicitaires qui ont utilisés l'image de son fils, Jésus Christ, pour une campagne anti-tabac. Le scénario est très drôle et très violent un peu à la manière de Tarantino. Le film sera certainement plus léger que A Serbian Film. J'espère que nous trouverons un financement.
Remerciements à Xavier et à Aurore.