Funny Games U.S.
Le 22/04/2008 à 08:01Par Yann Rutledge
Notre avis
Attention : la critique qui suit juge principalement Funny Games U.S. par rapport à sa première monture datant de 1997. Qu'on se le dise, Funny Games U.S. n'a en soit rien de honteux, il est même plus que conseillé d'aller vivre cette expérience en salle. Nous avons tout simplement choisis de discuter ci-dessous de la démarche du remake par Michael Haneke lui-même.
Expérience cinématographique radicale qui ne cherche en aucun cas l'adhésion du public, Funny Games version 1997 est devenu à l'instar d'autres films coup de poing comme Salo ou les 120 journées de Sodome, Schizophrenia, Chiens de paille ou Seul contre tous, un passage obligé pour tout cinéphile en manque de sensations fortes. Les voyages forment la jeunesse, Funny Games forme les cinéphiles. C'est donc avec un certain étonnement que l'on a appris que Michael Haneke s'en allait aux Etats-Unis, pays dans lequel "la violence est devenue un produit de consommation" (dixit Haneke lui-même), pour y remaker son propre film. Avouons tout de même que ce n'était pas foncièrement étonnant en soi. Le cinéaste cherchait dans sa première mouture à pousser les spectateurs aficionados d'un certain cinéma violent (un cinéma dans lequel la violence n'est en fait qu'un spectacle à prendre au second degré ; les yeux se tournent vers Tarantino et John Woo) à prendre conscience du danger à ressentir du plaisir face à de telles images. Une critique féroce en forme d'uppercut qui n'a finalement atteint que le public européen, les Américains étant notoirement connus pour être totalement réfractaires au cinéma non-anglophone et aux films sous-titrés. Et c'est pourtant bien ce public là qui était le plus sévèrement visé. La seule façon pour que celui-ci soit confronté aux deux trublions violents et psychopathes était que Funny Games soit remaké aux Etats-Unis. Refaire le film de manière à ce qu'il soit plus attractif pour le spectateur lambda, histoire que ce dernier soit pris au piège par le marionnettiste-cinéaste Haneke. Au lieu de confier le flambeau à un autre cinéaste comme c'est coutume habituelle au pays de l'Oncle Sam, Michael Haneke est remonté au front, portant à nouveau à bout de bras cette histoire à l'écran.
Jusqu'ici, on comprend aisément les raisons du cinéaste. Parce que sa première mouture a d'une certaine façon manqué son coup, Haneke cherche à corriger le tir avec ce remake afin de toucher le public qu'il n'avait pas réussi à atteindre la première fois. La démarche n'est pas condamnable, elle a déjà été adoptée par d'autres cinéastes tels que Alfred Hitchcock (L'Homme qui en savait trop en 1934 puis en 1956), Ole Bornedal (Nightwatch en 1994 puis en 1998) ou Takashi Shimizu (The Grudge en 2002 puis en 2004). Mais là où les cinéastes sus-nommés refaisaient leurs films parce qu'ils estimaient qu'il détenaient de bonnes histoires et que celles-ci n'avaient pas reçu l'accueil qu'elles méritaient, Haneke refait son film simplement pour qu'un public plus large puisse le voir. Il fallait donc jouer sur les attentes de ce dernier, l'aguicher suffisamment pour lui donner envie de se déplacer en salles. C'est malheureusement sur ce point-là que le cinéaste échoue. En effet, de façon plutôt courageuse, il se met en tête de refaire quasiment plan par plan Funny Games 1997. Le souci, c'est que ce qui fonctionnait sur le spectateur dans un film européen vieux de dix ans ne peut marcher sur le public américain actuel. Pourquoi ? D'abord parce que (triste constat) les attentes d'un spectateur face à un film européen ne sont pas les mêmes que face à un film américain (ou asiatique). Si une mise en scène européenne type existe, nous dirons qu'elle est plus réfléchie, plus distancée que son homologue américaine. En traversant l'Atlantique, Michael Haneke aurait du digérer et reproduire (jusqu'à un certain point) les codes de mise en scène typiquement américains.
Car finalement, Funny Games U.S. fait office d'œuvre bâtarde : le cul entre deux chaises, Haneke tente d'amadouer le public américain tout en se persuadant que répondre aux attentes de se dernier reviendrait à se rabaisser. Par-dessus tout, le spectateur américain lambda (celui qui y va pour se détendre, passer un bon moment) ne veut et n'ira tout simplement pas voir un film d'horreur qui ne lui promet pas un moment fun. Pourquoi aller voir un film avec Naomi Watts, Tim Roth ("qui ?") ou Michael Pitt ("hein ?") alors que dans la salle d'à côté se joue un film avec un tueur qui harcèle une jolie jeune fille le soir de son bal de fin d'année ? (Prom Night, remake qui a rapporté 22 millions de dollars en un week-end) Certaines mauvaises langues reprocheront davantage à Funny Games U.S. d'être un exercice de style vain et vaniteux, alors que le film ne s'appuie en fait que sur une rigueur cinématographique (une habitude chez Haneke), rigueur qui dissuadera le public visé par sa diatribe. Là était l'intelligence de David Fincher et Jan Kounen avec respectivement Fight Club et 99 Francs : élaborer à l'intérieur même du système une bombe à retardement cinématographique. Dans une main, on tend au public ce qu'il désire, de l'autre on le gifle.
Autre point important expliquant l'échec de Haneke sur cette version américaine, le fait que le spectateur d'aujourd'hui n'a pas le même rapport à l'image qu'il y a dix ans. Celui-ci s'est en effet habitué à de nouvelles formes d'images, venant de la téléréalité mais aussi du gore chirurgical, mouvance initiée par Saw et Hostel. Or, n'en déplaise à Haneke, on ne peut traiter de la violence de la même manière qu'il y a dix ans, précisément à cause de l'évolution esthétique de sa représentation. Funny Games U.S. ne prêchera malheureusement qu'auprès des convertis ou, ultime insulte pour le cinéaste, auprès de ceux (et ils sont nombreux) qui chercheront une expérience cinématographique intense afin d'y tester leurs limites. Oui, ceux-là même qui ont obligé un Haneke passablement énervé de voir son pamphlet réduit à un simple film horrifique et à refaire Funny Games.
Malgré tout Funny Games U.S. reste une oeuvre extrêmement éprouvante, les spectateurs n'ayant pas vu l'original sortiront déboussolés de la salle, accompagnés d'un mal de ventre. Mais même si Michael Haneke maîtrise parfaitement sa grammaire et son sujet, on ne peut que regretter que son passage outre-Atlantique ne l'ait pas forcé à modifier son style. Un vrai Funny Games version Hollywood aurait sans aucun doute été des plus passionnants.