Animal Kingdom : interview de David Michôd
Le 29/04/2011 à 15:25Par Elodie Leroy
Remarqué dans les festivals internationaux pour ses courts métrages Crossbow et Netherlands Dwarf, David Michôd s'impose aux côtés de John Hillcoat parmi les réalisateurs australiens les plus intéressants du moment. Animal Kingdom – Une Famille de Criminels n'est que son premier long métrage, mais le cinéaste révèle déjà une maîtrise narrative et formelle hors du commun, en plus de signer l'une des meilleures saga criminelles de ces dernières années, ce qui lui vaut d'ores et déjà d'être comparé à James Gray. Rien que ça!
De passage à Paris pour la promotion d'Animal Kingdom, David Michôd nous a accordé un peu de temps pour répondre à nos questions sur les personnages fascinants du film mais aussi l'histoire de la criminalité à Melbourne... Découvrez aussi la critique de Animal Kingdom.
Filmsactu : Pourquoi avoir spécifiquement choisi la ville de Melbourne comme décor du film ?
David Michôd : J'ai commencé à écrire le film après avoir lu pas mal de choses sur l'histoire de la criminalité à Melbourne, spécialement dans les années 80. Je n'ai pas situé le film dans les années 80 mais j'étais fasciné par cette période où le vol à main armée était en déclin. C'était les derniers jours de ce genre de bandes mais aussi de l'unité de police dédiée aux vols à main armée, qui agissait elle-même comme un gang. Aujourd'hui, la sécurité dans les banques s'est beaucoup renforcée, notamment sur le plan technologique, et tout cela a donc disparu en Australie et probablement dans le reste du monde. Mais dans les années 80, la plupart des gens étaient payés cash et l'argent était livré au bureau par des camions, ce qui attirait les voleurs, alors que de nos jours, tout se fait par virement. En 1988, la haine qui existait entre les voleurs et les flics a engendré un crime particulier qui est en quelque sorte représenté dans Animal Kingdom. Il s'agit du meurtre de deux jeunes policiers que les Cody font en guise de représailles. Ce fait divers me semblait tellement choquant et atypique que j'ai immédiatement commencé à imaginer ce que j'espérais devenir un jour une grande saga criminelle à Melbourne.
Qu'est-ce qui différenciait la criminalité de Melbourne de celle d'une ville comme Sydney ?
Quand j'étais gamin, il était de notoriété publique que la police de Sydney était complètement corrompue. Il n'était pas rare qu'elle commette les crimes conjointement avec les criminels. A Melbourne, si la police était coupable de quelque chose, c'était plutôt de violences policières. Les gens y étaient abattus par les flics beaucoup plus qu'ailleurs. C'est en partie ce qui a provoqué ces meurtres vengeurs contre eux.
En quoi avez-vous tenté de vous différencier des classiques du genre de la saga criminelle ?
Je savais que beaucoup de films de gangsters avaient été faits auparavant et qu'il était important pour moi de déterminer ce que je voulais raconter. Je voulais faire un film parlant de peur et d'angoisse et qui pourrait presque s'apparenter à un film d'horreur.
Est-ce pour cette raison que vous avez choisi le point de vue de Josh ?
Oui. Le meilleur moyen de faire un film de gangsters sur la peur était de mettre un enfant au cœur de l'histoire. Tout ce monde n'en serait que plus terrifiant. En plus, je suis familier de ce genre de traitement.
Tout au long du film, on se demande s'il va devenir comme eux. Pensez-vous qu'un individu puisse échapper à l'influence de sa famille ?
Pas entièrement. Mais je pense que ce dont parle le film, c'est d'un enfant en quête d'influence, de modèles, et qui se rend compte à un moment donné qu'il doit devenir l'architecte de sa propre identité. Il doit se détacher des personnes qui l'ont entouré toute sa vie. Cela dit, il a aussi connu autour de lui des criminels qui étaient par ailleurs des gens bien. Le personnage de Joel Edgerton, Baz, est un homme bien qui se trouve avoir une carrière de criminel. Josh doit donc se libérer de l'influence de personnalités très différentes.
Smurf est une figure maternelle atypique. Comment avez-vous travaillé sur le personnage avec Jacki Weaver ?
J'ai écrit le personnage avec Jacki en tête. J'adorais le concept de ce personnage et tout ce dont elle était capable. Dans ma tête, les décisions impitoyables qu'elle était amenée à prendre allaient de pair avec la femme charmante qu'est Jacki. Il faut s'avoir que c'est une actrice extrêmement expérimentée sur la scène de théâtre. Elle est comédienne depuis une cinquantaine d'années et elle est très connue en Australie. C'est un peu comme un trésor national. Elle est incroyablement intelligente et j'adorais l'idée que Smurf soit jouée par elle. Quand je lui ai proposé le rôle, tout s'est passé très vite et dans la simplicité. A partir du moment où elle a su ce que je voulais faire, nous n'avons pas eu à en discuter beaucoup. Cela s'est produit, c'est tout. D'autres personnages se sont avérés plus difficiles à trouver, mais Smurf est venue naturellement.
Quels personnages ont été difficiles à trouver ?
Le plus difficile était de trouver Pope, le personnage de Ben Mendelson. Il est atteint d'une psychopathologie particulièrement complexe, et celle-ci se manifeste de manière désordonnée. Il était donc difficile de déterminer qui il était dans chacune de ses scènes parce que Pope est bipolaire et complètement perturbé émotionnellement. Ben et moi avons donc passé pas mal de temps à cartographier le personnage de manière très détaillée, de façon à ce qu'il n'ait pas trop à tâtonner. Du coup, les expérimentations que nous avons faites sur le tournage reposaient sur le talent et l'imprévisibilité de Ben.
Comment avez-vous choisi James Fresheville, le jeune acteur qui joue Josh ?
J'avais déjà tourné auparavant quelques courts métrages avec des enfants, donc je savais à quel point il pouvait être long de trouver le bon. J'ai aussi tout de suite compris que celui-ci serait particulièrement difficile à trouver. Nous avons rencontré environ 500 enfants et James était tout simplement le meilleur acteur de tous, alors même qu'il n'avait que 17 ans et qu'il était encore au lycée. Il avait ce naturel extraordinaire dans sa manière de jouer. Dans la vraie vie, il n'a rien à voir avec le personnage : il est très vif d'esprit, très poli et il a une grande confiance en lui. Mais ses talents étaient tels qu'il pouvait faire tout ce que je lui demandais. J'aimais aussi le fait qu'il ait une certaine carrure. James fait 1m87 et j'aimais le fait qu'il ait l'air d'appartenir à cet univers alors qu'en fait, ce n'est qu'un enfant.
La violence est filmée de manière très réaliste, elle n'est pas du tout glorifiée. Est-ce juste un choix artistique pour ce film ou est-ce quelque chose que vous refusez en général au cinéma ?
Je n'ai pas voulu plaider contre quoique ce soit concernant la violence au cinéma. Pour faire un film de gangsters inquiétant, je tenais à faire un film qui se prenne au sérieux, ce qui impliquait de représenter la violence d'une certaine manière. La violence stylisée n'avait pas sa place. La violence du film devait ressembler à celle du monde réel, qu'elle soit imprévisible, qu'elle explose de nulle part et qu'elle laisse des traces en faisant basculer la vie des personnages. Tous ces gunfights impressionnants ne se déroulent qu'au cinéma ou dans un contexte qui s'apparente à la guerre, comme à Mexico par exemple. Dans des pays comme l'Australie, une grande partie de l'Europe et même aux Etats-Unis, les voleurs à main armée intimident et terrifient avec leurs armes, mais il est rare qu'ils passent à l'acte, surtout les professionnels. Leurs crimes sont rarement commis pendant les vols mais plutôt dans un contexte de représailles.
Le décor de la maison inspire des sentiments contradictoires : la maison familiale est censée représenter la sécurité, mais c'est aussi de cette maison que vient le danger dans le film. Comment avez-vous travaillé sur cette ambivalence ?
J'ai passé beaucoup de temps à chercher cette maison. J'avais une idée très précise de ce à quoi elle devait ressembler. Je voulais qu'elle ait l'air d'une maison des années 50-60, avec des couleurs très terrestres, et qu'elle évoque une cave ou même un bunker dans lequel ces animaux évolueraient. Il fallait créer un sentiment d'instabilité afin que l'on ait constamment l'impression qu'il se passe peut-être quelque chose de mal dans la pièce au bout du couloir. En même temps, il fallait que cette maison ait quelque chose de normal, tout dégageant une sorte de claustrophobie.
Quels sont vos prochains projets ? Y a-t-il un genre spécifique que vous désirez explorer ?
Pour ce qui est de mon prochain film, je ne suis pas encore sûr, j'y travaille en ce moment. Mais j'aimerais explorer toutes sortes de genres. Il faut juste que je prenne la bonne décision pour mon second film. Il y a quelques jours, je me suis rendu à l'exposition sur Kubrick à la Cinémathèque. La carrière de Stanley Kubrick est formidablement diversifiée et je crois comprendre pourquoi : vous vous investissez tellement quand vous faites un film que vous voulez que chaque expérience soit nouvelle et atypique. C'est pourquoi je ne ressens aucune urgence à revenir vers l'univers des criminels.
Propos recueillis par Elodie Leroy