Danny Boyle : le cinéaste qui est parvenu à dompter le numérique
Le 23/02/2011 à 12:46Par Arnaud Mangin
Vous le savez, cette semaine dans les salles sort 127 heures, le dernier long-métrage de Danny Boyle qui figure d'ailleurs parmi les favoris des Oscars 2011. Véritable thriller naturaliste, le film est également un exercice de style multipliant les idées de mise en scène et confirme tout le talent foisonnant du cinéaste anglais qui, après Trainspotting, 28 jours plus tard, Sunshine et Slumdog Millionaire, nous offre un nouveau grand moment de cinéma. Pour l'occasion nous l'avons rencontré et avons discuté avec lui des divers outils et caméras qui lui ont permis de tourner une œuvre esthétiquement pas comme les autres et de la révolution numérique dans le cinéma contemporain, professionnel comme amateur.
INTERVIEW DANNY BOYLE
REALISATEUR DE 127 HEURES
Filmsactu : Peut-on considérer 127 heures comme un tout en un, où se complètent différents types de mise en scène tels que le spot publicitaire, le clip musical, le teen movie romantique, le film catastrophe ou le thriller horrifique ? D'ailleurs, pourquoi ce melting pot ?
Danny Boyle : Quand on connait la simplicité de l'histoire, le nombre restreint de personnages et de décors, non seulement on obtient toute une latitude de possibilités et le temps pour varier la narration, mais en plus, on se rend surtout compte que c'était essentiel pour ne pas tourner en rond. A part le héros du film, il n'y a pas d'autres personnages qui interviennent au cours de l'intrigue. Normalement, on introduit un méchant, une fiancée ou un personnage comique pour dynamiser le rythme, mais là, c'est James Franco qui les a tous fait, d'une certaine façon. Nous avons utilisé différents types de caméras et appareils photo pour faire évoluer l'aspect graphique du film, ce qui offre des changements visuels sous forme de petits échantillons qui permettent de faire évoluer visuellement ses différents points de vue. Parce qu'en cinq jours, la folie et les hallucinations s'installent.
Filmsactu : James Franco se filme d'ailleurs lui-même à de nombreuses reprises en regardant la caméra. Se mettre soi-même en scène, comme dans un journal intime, c'est une démarche très moderne plus proche de Youtube que du cinéma.
Danny Boyle : Cette petite caméra DV est justement la plus importante du film parce c'est elle qui recueille tout le ressenti du personnage et les images que l'on peut voir dans le film sont réellement celles prises avec ce modèle. C'est un caméscope qui date d'environ dix ans avec une qualité d'image assez pauvre, mais c'est ce qu'avait utilisé Aron Ralston à l'époque, lorsqu'il pensait qu'il n'en sortirait pas. C'était important d'être fidèle à cette idée et de reproduire l'isolement et la solitude de cette façon. C'est moins beau qu'avec une caméra de cinéma traditionnelle, mais à ce moment là, c'est une proposition d'esthétisme.
Filmsactu : Multiplier les outils mis à notre disposition aujourd'hui pour raconter une histoire par l'image, introduire la vidéo pure dans le cinéma professionnel alors que c'est encore connoté "amateur", c'est une forme de révolution ?
Danny Boyle : Pour faciliter la mise en scène et proposer de nouvelles choses impossibles à filmer avec du matériel lourd, oui, c'est révolutionnaire. Il y avait cette DV, James avait parfois une caméra directement fixée sur lui, on a filmé avec du matériel plus traditionnel et aussi avec des petits appareils photos. Dans le film, on utilise directement des photos issues de ces appareils. On peut faire tellement de choses, pourquoi ne pas profiter de tout ça ?
Filmsactu : 127 heures, tel qu'il est aujourd'hui, aurait-il pu exister il y a 10 ans ?
Danny Boyle : Non... Définitivement pas. J'adore le cinéma digital et j'aime la façon dont le numérique est enfin parvenu à briser les barrières imposées par l'aspect "classique" du cinéma tourné sur pellicule. La pellicule propose des images magnifiques, mais c'est très contraignant en terme de logistique et lorsque l'on voit la qualité de certaines images des appareils photos numériques actuels et la liberté créative que ça autorise, on peut se réjouir de la progression technologique. Les chemins entre les outils tout public et le cinéma professionnel se rapprochent de plus en plus. On a juste l'impression qu'un tournage est plus sérieux parce qu'il y a 25 personnes derrière la caméra, mais il faut se sortir cette idée de la tête.
Filmsactu : Avec 28 jours plus tard, vous avez d'ailleurs démontré que l'on pouvait faire du véritable cinéma avec une caméra que l'on peut trouver en magasin, en équipe réduite.
Danny Boyle : Oui, nous avons été le premier film grand public tourné en numérique et en DV. Aujourd'hui, quand on voit sa résolution, évidemment ça a vieilli parce qu'il y a dix ans, ce n'était pas aussi pointu qu'aujourd'hui, mais le film a le mérite de s'inscrire dans une époque. Il ressemble exactement à ce que l'on pouvait obtenir dans de pareilles conditions et j'en suis très fier. Si je devais le faire aujourd'hui, ça ressemblerait à totalement autre chose parce que le matériel ne serait plus le même, mais j'exploiterais au maximum les possibilités envisageables. Aujourd'hui je vois que les gens font des choses dans la rue avec un appareil photo comme le votre, le 7D EOS, et les images que l'on peut obtenir avec ça sont absolument magnifiques. Vous filmez quelqu'un dans la rue avec ça, juste vous et la personne, et c'est aussi exploitable que les rushes tournées avec du matériel traditionnel et une grosse équipe. C'est abordable, ce n'est pas cher et c'est simple d'utilisation. Vous venez, vous filmez quelque chose et voilà... Tout le reste, ce n'est que de l'écriture, du transfert sur disque dur, du montage sur Final Cut Pro etc... Tout ça ne peut qu'être bon pour l'expression.
Filmsactu : Tourner avec un téléphone portable, par exemple, si le résultat est probant, ferait donc partie de votre raisonnement ?
Danny Boyle : Absolument... Ce qui compte, c'est de savoir comment l'outil va servir le film que vous voulez faire et comment votre imagination peut exploiter cet outil.
Filmsactu : Êtes-vous intéressé par la 3D ?
Danny Boyle : A mes yeux, la 3D est un outil marketing remarquable mais ne fait que rendre encore plus laborieux et plus encombrant le tournage d'un film alors que ce que j'aime dans le numérique, c'est la taille réduite du matériel. On n'a plus besoin de logistique énorme pour capturer les émotions d'un acteur et c'est très flexible. Idéal pour nous, les réalisateurs. On peut tourner dans des endroits où il était difficile, voire impossible de tourner avant. Il fallait mettre énormément de choses au point pour donner l'illusion que vous étiez dans une toute petite grotte. Regardez la crevasse du film... Difficile d'y faire tenir beaucoup de monde. Et aujourd'hui, grâce au numérique, on peut réellement tourner dans la grotte. Avec des appareils photos comme ceux dont on parlait, on peut faire tout ça parce que ça a la taille de votre poing et que le rendu est parfaitement exploitable sur un grand écran. Pour moi, la révolution est là. Pas dans le relief...
Filmsactu : Ca devient très simple de tourner au milieu des champs Elysées pour le coup...
Danny Boyle : Alors que ça demanderait une organisation folle dans des conditions classiques, oui... Votre exemple, c'est une réaction spontanée très censée parce que la liberté d'action, c'est la clé de tout avec ce genre d'outils. A l'époque de 28 jours plus tard, on n'aurait jamais pu tourner dans Londres tel que vous le voyez dans le film, si l'on ne l'avait pas fait en DV. Rien que ce genre de possibilités vous motive en tant qu'artiste.
Portraits : Arnaud Mangin