Frontières : interview de Maud Forget

C'est dans un bar de la porte de Neuilly que nous avons pu rencontrer la jolie Maud Forget. Du haut de ses 1,55m, elle insuffle une dose de tendresse dans l'univers glauquissime du Frontière(s) de Xavier Gens (pour info, c'est elle que vous pouvez voir sur les affiches du film, habillée en fillette de 14 ans, enceinte jusqu'aux yeux et couverte de sang). Grande par le talent à défaut de l'être par la taille, c'est avec beaucoup de sincérité qu'elle a accepté de répondre à nos questions, histoire de tordre le coup aux mauvaises langues qui ne voient en Frontière(s) qu'un survival de plus dans le paysage cinématographique français. On en fait un peu partie, c'est vrai, mais tant pis, on l'écoute quand même !

Filmsactu : Le film sort mercredi... pas trop stressée ?
Maud Forget : En fait non. En ce qui concerne les entrées, on ne nous a mis aucune pression. On ne nous a pas dit qu'il fallait dépasser le million ou quoique ce soit. D'autre part, comme le film a été tourné il y a un an et demi, j'ai eu le temps de me préparer à sa sortie. Après, le film ne m'appartient pas, il va faire sa vie de son côté et on verra bien. On s'attend à un petit buzz, et on espère que le fait qu'il ne sorte que dans 90 salles ne lui sera pas trop préjudiciable. On sait que ce ne sera pas Amélie Poulain, le film étant quand même très spécial et réservé à un public averti. Mais s'il atteignait les 200.000 entrées, pour nous, ce serait génial.

Aviez-vous conscience de l'attente qu'il y a autour de Frontière(s) ?
Complètement ! Déjà pendant le tournage, on sentait que Frontière(s) faisait parler de lui puisqu'il y avait des journalistes qui venaient faire des reportages sur le plateau pour montrer des images très en amont. Ensuite, pas mal de gens ont commencé à parler du film sur le net... Alors qu'il était encore en tournage ! Il y avait des photos qui circulaient, les gens imaginaient quelle pouvait être l'histoire du film... c'était assez dingue. De là vient sûrement du fait que les internautes connaissaient un peu Xavier grâce à ses deux courts qui avaient reçu un accueil plutôt chaleureux. Du coup, son film était attendu... mais on n'imaginait pas qu'il l'était à ce point.

Parlez-nous un peu de votre personnage, Eva...
En fait c'est un rôle assez différent de ce que j'ai fait auparavant. Dans Frontière(s), je gravite autour du personnage de Karina Testa, alors que dans mes précédents films, c'était plutôt le contraire. Le fait que je sois aux côtés de ce personnage féminin très fort donne l'impression que j'apparais beaucoup, alors qu'au final, mon personnage est plutôt secondaire. Et puis, il y a cette séquence importante ou je coupe les cheveux de Karina, qui est une scène charnière du film et qui donne de l'ampleur à mon rôle. Eva est un personnage très ambigu, elle assez imprévisible puisqu'on ne sait jamais quand elle va intervenir ou quand elle va s'effacer. Elle s'enferme dans un monde de poupées pour échapper à l'univers qui l'entoure. Heureusement, sinon elle péterait sûrement un câble ! Elle a quand même été kidnappée par cette famille de néo-nazis, puis complètement endoctrinée par leur idéologie. Enfin, elle a servi de mère porteuse. C'est un robot qui a vécu les pires atrocités, et qui trouve dans le personnage de Yasmine (Karina Testa) un allié, ou du moins quelqu'un qui se retrouve dans la même situation qu'elle.

C'était un film difficile à jouer pour vous ?
Oui, mais ce n'était pas le fait de jouer des atrocités qui me posait un problème. Pour être honnête, c'était la première fois qu'on m'offrait un vrai rôle de composition, et pas dans le sens « je me teint les cheveux en blond et voilà je suis quelqu'un d'autre » du terme (rires). J'ai vraiment créé le personnage d'Eva de A à Z, avec Xavier bien sûr. Pour commencer, je lui ai donné une façon de se tenir et une démarche qui lui sont propres. Pour cela, je me suis inspirée du personnage de Marge dans Fargo, joué par Frances Mc Dormand, et d'une petite vieille qui habite à côté de chez moi ! Ensuite j'ai retravaillé ma voix, et enfin, on a conçu mon costume. J'ai vraiment beaucoup travaillé sur ce personnage, pour faire en sorte qu'il soit crédible du début à la fin, qu'il reste en quelque sorte inscrit dans le quotidien, alors que le un film ne l'est pas du tout.

Vous pensez que Frontière(s) peut être un tremplin pour vous ?
Je ne sais pas du tout... C'est avant tout un film de réalisateur, et ensuite un film de comédiens. C'est plutôt une bonne carte de visite pour lui. Après, mon personnage est tellement spécifique, tellement étrange, tellement hors norme qu'il est difficile de savoir si en voyant ce film, d'autres metteurs en scène auront l'idée de me prendre pour jouer des rôles différents... C'est dommage car mon rêve serait de jouer une bimbo autour d'une piscine en maillot de bain ! (rires) En plus, je ne suis pas vraiment mise en valeur physiquement. Ca m'arrange bien, car du coup je peux continuer à me balader dans la rue sans que personne ne me reconnaisse ! Aujourd'hui c'est très difficile pour les comédiens d'être dans des longs-métrages. Il n'y a pas si longtemps, le choix des comédiens dépendait uniquement du réalisateur. Aujourd'hui, on doit être validé par le réalisateur, puis par le producteur, puis par le distributeur, puis par les chaînes de télévision ! Un jeune comédien peu connu doit franchir une succession de strates très difficiles à passer. Et ce n'est pas parce qu'on a fait un long qu'on est arrivé au but, loin de là !

Comment décririez-vous Frontière(s) ?
Quand Xavier m'a présenté mon personnage, il m'a dit que c'était sur lui que reposait l'humanité du film. Eva est la seule à rester en retrait par rapport à tout ce qu'il se passe, elle est donc l'identifiant principal du spectateur. Si je n'avais pas été convaincue de l'aspect humaniste du film, jamais je n'aurais réussi à jouer ce rôle... Pour moi, Frontière(s) n'est pas un film gore. C'est d'abord un film social, qui bascule dans un univers malsain, dérangeant ou tout ce que vous voulez ! À mes yeux, c'est un film humaniste. C'est de cette manière que j'essaye de le défendre. Mais si quand je dis ça, les gens rigolent souvent !

Quel genre de réalisateur est Xavier Gens ?
Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme lui. Souvent, les jeunes réalisateurs aiment juste se regarder filmer, mais Xavier n'est pas comme ça. Il est très prévenant avec ses comédiens, il est tout le temps à nos côtés, il sait comment on fonctionne, il nous met dans les meilleures conditions possibles pour jouer, il nous rassure. J'ai tourné deux fois avec lui (ndlr : Maud était déjà dans Fotografik, un épisode de la série Sable Noir réalisé par Gens) et je n'ai jamais eu ce genre de relation avec un autre réalisateur. J'ai beaucoup de respect et d'admiration pour lui et j'espère qu'il ira loin. On peut voir dans ses yeux qu'il aime ce qu'il fait.

Est ce que vous vous êtes plongée dans le cinéma de genre avant de faire le film ?
Pas vraiment, ce n'est pas trop mon style de film... En fait, mes parents regardaient pas mal de films de genre, mais moi, cela ne m'a jamais vraiment intéressée. Pour préparer Frontière(s), je me suis davantage inspirée du contexte néo-nazi que du cinéma de genre. Regarder des films traitant de ce sujet m'a beaucoup touchée, beaucoup plus que de regarder des films où l'on voit des membres arrachés. Mais c'est étrange parce que, maintenant que j'ai fait Frontière(s), je ne sais pas si j'aurai à nouveau envie de faire un film de ce style, ni même si j'aurai envie d'en regarder un. Etrangement, je ne vois pas du tout ce film comme un film de genre ! Je le vois comme un film qui peut toucher plusieurs cibles de spectateurs. Ceux qui aiment le gore auront leur part. Ceux qui aiment les films avec un sous texte sociopolitique aussi.

Auriez-vous été voir Frontière(s) si vous n'aviez pas joué dedans ?
(Moment de réflexion). C'est difficile à dire. En fait, tout dépend de la manière dont on m'aurait vendu le film. Si durant la promo on m'avait dit que ce n'était qu'un film gore de plus, avec des membres arrachés et des filles en sang, je pense que non. Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas le cinéma que j'aime. Maintenant, si au contraire j'avais su ce que j'ai appris en faisant le film, c'est-à-dire que Frontière(s) est bien plus qu'un film avec du sang, que c'est un film social mais aussi une lente descente aux enfers, un véritable périple moral, j'aurais très certainement foncé le voir !