Interview de Oliver Stone (Wall Street : l'argent ne dort jamais)

Quand avez-vous décidé de tourner la suite de WALL STREET ?

Oliver Stone: L'année dernière j'ai lu un scénario d'Allan Loeb qui abordait la question de la crise financière de 2008 et qui démarrait avec la sortie de prison de Gordon Gekko ce qui m'a semblé être une excellente accroche. Depuis nous avons beaucoup travaillé sur le scénario. Nous avons essayé de le rendre le plus pertinent et le plus actuel possible.. C'est arrivé très vite. Je n'avais pas l'intention de faire une suite juste après la crise. C'est le scénario d'Allan qui m'en a donné l'envie.

Michael Douglas a-t-il été tout de suite enthousiaste pour tourner une suite ?

C'est Michael Douglas, en tant que producteur du premier film qui est venu vers moi en me demandant de le faire. Il y a des années, nous avions déjà évoqué l'idée de faire une suite mais je n'étais pas très emballé. Puis le Krach boursier s'est produit et j'ai changé d'avis.

Qu'est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans cette histoire ?

C'est une histoire fascinante à bien des égards, elle est déjà tri-générationnelle. Il y a Gordon Gekko dans la soixantaine, le personnage de Josh Brolin qui est dans la quarantaine et Shia dans la vingtaine. Vous verrez comment ils essaient de se partager le gâteau et de l'autre côté il y a Carey Mulligan qui joue la fiancé de Shia et est aussi la fille de Gordon. Elle est le fil rouge du film. Mais aussi, on pose une question intrigante : comment Gordon, en tant qu'ex-taulard va-t-il revenir dans la partie ? C'est une question difficile et épineuse à laquelle répondre mais sa résolution est surprenante.

Dans quelle mesure le personnage joué par Josh Brolin est-il inspiré par des personnages réels ?

Les gens comme Josh Brolin, qui incarne Bretton James à l'écran, font partie d'une nouvelle sorte de créatures en vogue à Wall Street. Gekko est un peu hors du coup, bien que je doive avouer qu'il soit très intelligent. Gekko n'abandonne jamais.

Charlie Sheen fait également une apparition dans le film ?

Oui, il y fait un caméo en tant que Bud Fox. C'était intéressant de voir ce qu'il était devenu quelques années plus tard. Bud a fait un passage éclair en prison. Il y a fait un petit temps assez court. Gekko a été incarcéré pour bien d'autres raisons que le simple délit d'initié. Donc à sa sortie de prison le personnage de Charlie est revenu dans les affaires et comme le vrai Charlie Sheen, il s'en est très bien sorti.

Vous travaillez beaucoup sur le passé et la biographie de chaque personnage ?

Bien sûr, vous savez ça fait partie de notre travail. Nous devons écrire l'histoire de chaque personnage. Cette fois-ci, bien que ce ne soit pas l'histoire de Charlie Sheen, Shia est en quelque sorte un nouveau Charlie Sheen à un niveau plus élevé de la bulle financière. Dans les années 80, les gens gagnaient des millions de dollars, ici on parle de milliards ou de centaines de millions. Charlie Sheen était courtier en bourse, Shia est trader dans une banque d'investissement.

Pensez-vous que les choses aient fondamentalement changé depuis les vingt dernières années ?

Wall Street a toujours été un jeu d'initié. Il y a toujours eu des placements d'initiés. Les informations privilégiées confèrent la puissance et les gens partagent l'information. C'est la loi du jeu. Mais oui c'était différent en 1987. Maintenant c'est un toute autre partie avec des enjeux plus importants. Et il y a beaucoup d'argent en jeu sur la table.

Après le premier film, les gens ont idolâtré Gordon Gekko. Pensez-vous que ce film va provoquer le même genre de réaction ou les gens sont-ils trop en colère après ce qu'il s'est passé pour réagir de la sorte ?

C'est une bonne question. Je n'ai pas cherché à faire un documentaire. Et en dehors de l'avidité, c'est évidemment une situation scandaleuse. En même temps, je pense qu'on peut rire de ce monde relativement fou. Ces couvertures de défaillance de crédit ont été vendues de manière globale, les financiers ont fait de l'émission de dette une machine à faire de l'argent. Ils ont créé cette dette, à partir de laquelle ils se sont ensuite fait de l'argent d'une manière qui frôlait l'usure. Ils n'utilisent plus cette expression à présent. Les gens ont fait des fortunes en vendant les pires dettes toxiques. On ne peut pas faire de l'argent sur tout. A un certain degré, l'esprit qui règne à Wall Street est un peu devenu semblable à celui d'un casino. On prêtait et empruntait au maximum, en tirant le plus profit de la dette et achetant une seconde résidence le moins cher possible. Vous devez vous demander si Wall Street est un engin de destruction. C'est une question valable.

Pensez-vous que votre père serait choqué de voir comment Wall Street fonctionne aujourd'hui ?

Oui c'est certain. Mon père était courtier des années 30 aux années 60. S'il faisait cent mille dollars c'était une très bonne année. C'est devenu incontrôlable dans les années 80. Après cela je pensais que c'était terminé. Mais ça a continué dans les années 80, 90 et 2000 avec l'inflation. Tout à coup, les millions sont devenus des milliards. Les gens se sont mis à parler en milliards de dollars. Et un milliard c'est mille millions. C'est une quantité hallucinante d'argent. C'est au-delà de l'excès.

En résumé, qu'est-il arrivé ?

Nous sommes tombés amoureux de l'avidité, comme Gekko le dit dans le film « J'ai toujours dit que l'avidité était une bonne chose, maintenant elle est légale ». C'est vraiment ça l'idée, l'avidité est devenue chic.

Il y avait tout de même des gens avec un bon fond dans le premier WALL STREET comme le personnage joué par Martin Sheen.

Il représentait l'ancienne génération dans le premier film, elle a disparue à présent. Il y a toujours des bonnes personnes dans les environs, beaucoup de gens très bien. Je ne dis pas qu'il n'y a que des escrocs à Wall Street. Non, il y a beaucoup de personnes très bien et j'en ai rencontré mais les Gordon Gekko représentent aussi l'ancienne génération. Ce sont plutôt ceux dans la quarantaine comme Josh Brolin qui sont les requins. Ceux dans la vingtaine sont aussi des requins. Le film parle d'un aquarium de requins où tout le monde trahit tout le monde. Quand vous avez de l'argent en jeu à ce niveau-là, la loyauté est jetée par la fenêtre. Et l'honnêteté est aussi souvent jetée par la fenêtre.

WALL STREET est devenu un film culte. Vous vous attendiez à cela ?

Non, mais j'étais très fier du film. Je savais que Michael avait fait un boulot génial. C'était un personnage emblématique. Tellement de jeunes gens sont venus me voir après le film pour me dire qu'ils étaient partis travailler à Wall Street suite au film. Maintenant ils ont dans la quarantaine et bon nombre d'entre eux sont milliardaires. Donc c'est assez drôle parce que je suis toujours en train de me démener pour faire des films et j'ai ces milliardaires qui viennent me voir pour me dire « Je n'aurais jamais travaillé à Wall Street si je n'avais pas vu le film ». C'est une étrange et profonde ironie.