Jean-Luc Godard : l'interview vérité ?
Le 25/05/2010 à 13:28Par La Rédaction
"Des choses" : c'est ce que promettait la bande-annonce et c'est ce qui en effet nous a été donné de voir à l'écran. Dans notre critique de Film Socialisme, nous émettions l'hypothèse que Godard essayait de s'exprimer, de dire quelque chose, d'adresser un message à travers cette compilation apparemment sans queue ni tête d'images amateur. Pour un journaliste souhaitant en savoir plus, il n'y avait qu'une solution : s'adresser directement à lui. Malheureusement l'homme n'aime pas la presse et bouda carrément le Festival de Cannes à cause d'un "problème de type grec" dont on cherche toujours l'exacte signification. Le dernier recours était donc le dossier de presse, outil servant généralement à éclaircir les intentions d'un réalisateur ou de ses acteurs pour ceux qui ne les comprendrait pas. L'interview ci-dessous est donc tirée du dossier de presse et confirme une fois de plus que Godard est une sorte de 2001 l'odyssée de l'espace vivant, ouvert à toutes les interprétations possibles et difficile à déchiffrer...
(Les légendes des photos sont écrites par Jean-Luc Godard lui-même)
Production, distribution, exploitation ?
Jean-Luc Godard : Depuis la fin des grands studios, après la der des der guerres mondiales, globales, cet ordre a été inversé, et la grande noblesse vient désormais en premier, le tiers état en dernier.
Cinéma et films, la différence ?
De même, le cinéma ne se trouve plus nécessairement dans les films.
Le 3D ?
Très vite, la dimension du temps a disparu et l'espace s'est aplati, cinémascope, seize neuvième.
De quoi, de quoi, la géométrie ?
Euclide comprenait la langue des Pyramides, pas Aristote.
Et le mot pourquoi ?
Freud n'a pas étudié à fond la naissance du mot après la naissance, lorsque l'enfant parle encore sans mots dire. Seuls les animaux en seront les gardiens.
A quand la paix au Moyen-Orient ?
Aussitôt qu'Israël et la Palestine introduiront six millions de chiens, et se promèneront avec eux en voisins qui ne parlent, qui ne parlent pas d'autre chose.
Tragédie et démocratie ?
Sans Sophocle, pas de Pericles.
Et le droit d'auteur ?
On oublie le réel problème de Beaumarchais, non pas détenir la propriété du " Mariage
de Figaro ", mais simplement partager les recettes.
Quesaco nos humanités ?
Dans les lycées français, autrefois, le grec et le latin s'identifiaient ainsi. On peut définir l'humanité comme une courbe infinie en tous ses points, sauf en un où elle est nulle (cf. L.Schwarz).
L'Europe heureuse ?
Loin des croyances historiques, on ferait mieux de voir que ce sont les princes allemands qui ont créé notre Europe en faisant leur unité. Et donc qu'aujourd'hui France, Pologne, Hongrie, ne sont que des " Länder ". De son côté, en désirant " fara da se ", l'Italie
présupposait déjà des forces futures de l'Axe.
Démocratie et tragédie sont nées à Athènes
Faire rimer égalité et merde ?
Notre "?" en est le signe. Seule attitude par laquelle animaux et humains sont en
égalité - pot, siège, chaises, etc.
Que des plans fixes ?
Devant le microscope, le chimiste ne fait pas de travellings, ni les compagnies pétrolières quand elles forent jusqu'aux fonds des mers.
Et le visage de l'autre ?
Hélas pour lui, le philosophe Levinas ne s'était pas promené sur les champs de bataille avec un caméscope et son miroir inversable.
Blogs et SMS ?
D'une certaine façon, derrière cette jeune pensée semblable à un ver de terre, une seule chose importe à tous ces ardents Phoenix : survivre et trouver au fond du chaos une chance
de ressusciter (cf. Prigogine).
Encore de la politique ?
Oui, car les démocraties modernes, en faisant de la politique un domaine de pensée séparé, prédisposent au totalitarisme.
ixe plus trois égale un ?
Pas une formule style Einstein, une métaphore au sommet et à la base de tout montage. Si celui-ci est financier par exemple, cela permet de rapprocher la dette actuelle de la Grèce
avec les hordes de touristes germaniques, ou d'entendre la phrase de Montesquieu : quand les finances sont honorées, l'Etat est perdu.
Et les images ?
Le vieux mage Bachelard parlait d'image implicite et d'image explicite. Citons Jules Renard avec son image du silence : de la neige sur de l'eau.
Vision de l'avenir ?
Même sur Final Cut, la plus humble ou arrogante des monteuses est en prison arrimée au passé comme au futur, et doit faire avec pour le présent. Seul le cinéma reproduit ce travail humain.
Un dernier film ?
Rien qu'un titre : " Adieu au Langage "
Propos recueillis par Renaud Deflins