John Woo parle des Trois Royaumes
Le 28/03/2009 à 09:37Par Elodie Leroy
Si Les Trois Royaumes continue de faire polémique au sein de la rédaction, cette fresque épique ambitieuse marque tout de même le grand retour de John Woo en Chine, et qui plus est dans un genre emblématique de l'industrie locale. C'est pourquoi nous sommes allés à la rencontre de John Woo qui s'est rendu à Paris le mois dernier pour une conférence de presse à La Pagode. Car enfin, comment passer à côté de la visite d'un cinéaste aussi mythique ? Il s'agit tout de même de l'homme qui a redéfini il y a une vingtaine d'années toute l'esthétique du cinéma d'action, et qui continue encore à l'heure actuelle d'inspirer nombre de cinéastes. Nous ne cacherons pas que nous avons ressenti une certaine émotion lors de son arrivée dans la petite salle de conférence. Avec son calme et son humilité légendaires, John Woo a répondu de bon coeur aux questions des journalistes.
La question des deux montages est bien entendu rapidement arrivée sur le tapis. Pour rappel, Les Trois Royaumes est sorti dans les salles asiatiques sous la forme d'un diptyque s'étalant sur une durée de plus de 4h. A l'arrivée, comme nous l'avions soulevé dans notre critique Pour/Contre, le public occidental se retrouve lésé, ne se voyant offrir qu'une version condensée sur 2h25. Une coupe que l'on peut qualifier de radicale et qui semble s'expliquer par une volonté de transformer Les Trois Royaumes en pur spectacle de divertissement : "Quand j'ai fait cette version pour l'Occident, je ne voulais pas qu'elle soit trop longue", commente John Woo. "L'essentiel était de garder l'esprit du film et je trouve que le monteur [le cinéaste parle du monteur américain, Robert A. Ferretti], qui connaît bien le goût du public, a fait du bon travail. Les scènes enlevées consistent surtout en de petits épisodes étoffant les personnages. Nous nous sommes concentrés sur les scènes de bataille mais l'histoire conserve son unité." Oui, mais le résultat est que toutes les problématiques reliées à l'Histoire de la Chine, qui constituent selon la critique chinoise l'intérêt majeur de Red Cliff I et II, ont tout bonnement été évacuées, à l'instar du développement des nombreux protagonistes. "Dans cette version, j'ai enlevé les personnages les moins importants parce que selon moi, le public occidental ne comprend pas très bien cette épopée des Trois Royaumes." Le cinéaste serait-il à ce point désabusé sur le public "occidental", ou s'agit-il d'un argument lancé pour éviter d'évoquer la pression des investisseurs ? Le réalisateur ne s'étendra pas plus sur le sujet. Et il nous laissera perplexes.
Cela dit, John Woo ne cache pas les objectifs commerciaux de son film et revendique clairement Les Trois Royaumes comme une superproduction destinée au marché mondial. "J'avais l'impression que l'Occident ne connaissait la culture chinoise qu'à travers les wu xia pian et les films d'action avec des armes à feu. Je trouve qu'il faut montrer une plus grande variété de choses afin que l'Occident comprenne mieux notre culture." Un objectif louable qui semble avoir conditionné non seulement le montage mais aussi certains choix artistiques, notamment la musique : "Un film sur l'Histoire de la Chine avec de la musique classique chinoise aurait été très lourd, d'autant que les émotions qui émanent de ce genre de films sont monotones", explique-t-il. "Personnellement, j'apprécie beaucoup la musique d'Ennio Morricone et c'est pourquoi j'ai choisi une composition qui parle à un public international et utilise des styles provenant de différentes parties du monde. J'ai donc fait appel à Tarô Iwashiro qui est un musicien japonais. Notre point commun est que nous sommes asiatiques mais en même temps, c'est un musicien qui a un message à faire porter au monde et qui utilise donc une musique universelle".
Une démarche qui n'empêche nullement l'auteur d'employer à travers son œuvre une symbolique très chinoise, notamment à travers la fameuse séquence de bataille utilisant les trigrammes, une référence au Yi King, que l'on peut traduire par "Livre des Mutations" et dont l'existence remonte au début du premier millénaire avec J. C., à l'époque des Zhou Occidentaux. "Je voulais montrer cela au public. Dans le film, cette tactique représente l'intelligence des hommes du passé. Mais il était très difficile de mettre en scène le fonctionnement de cette formation et j'ai investi beaucoup d'efforts dans cette séquence. [...] On peut trouver ce genre de scène dans la littérature mais cela n'a jamais été réalisé en film". Et le cinéaste de réaffirmer son goût pour la mise en avant du sens de l'honneur, un thème récurrent dans ses polars que l'on retrouve dans Les Trois Royaumes. "A l'époque, on parlait encore de l'honneur. Pendant la guerre, il n'y avait pas de ruse et il fallait se battre en gentlemen. D'autre part, alors que la plupart des films de guerre sont envahis par les effets spéciaux, j'ai voulu mettre l'accent sur la manière dont se battent les guerriers. Bien sûr, je suis personnellement contre la guerre."
Sur le plan formel, John Woo ne désirait pas faire des Trois Royaumes un pur film de genre. C'est ce qui distingue ce dernier du récent Peter Chan, Les Seigneurs de la Guerre, œuvre presque nihiliste qui mettait l'emphase sur l'horreur vécue par les combattants comme par les civils en temps de guerre. L'approche de John Woo s'intéresse davantage à l'art même de la guerre tout en véhiculant un message de paix. "En ce qui concerne le choix des couleurs, j'ai mis beaucoup plus de vert pour accentuer les sentiments, afin que l'image apparaisse plus douce dans les scènes d'émotion. Au contraire, dans la grande bataille finale qui est marquée par le feu, c'est le rouge qui domine. Le rouge symbolise l'enfer. Je voulais signifier que la guerre est un lieu infernal et j'ai contrebalancé le rouge avec des couleurs sombres.". Mais le vrai message de paix nous est en réalité délivré par le biais d'un seul plan, le survol du paysage montagneux par une colombe qui se déplace de la falaise rouge à la forêt où se cache l'ennemi. Loin d'être une simple référence à The Killer, cette séquence pleine de poésie apporte un espoir de réconciliation entre les deux camps.
Sur son expérience américaine, John Woo reste fidèle à son discours. Le cinéaste reconnaît avec humilité qu'Hollywood demeure un excellent lieu d'apprentissage mais déplore la lourdeur d'un fonctionnement trop bureaucratique. "Hollywood est un système très ouvert et qui possède beaucoup de talents. J'y ai appris comment produire des films très complexes avec des effets spéciaux", commente-t-il. "Les collaborateurs sont très professionnels tout en ayant beaucoup d'humour. C'est quelque chose qui m'a plu là-bas. Le seul bémol, c'est l'aspect politique des choses. A la moindre décision, il faut faire un grand nombre de réunions, où trop de gens sont impliqués et cherchent à vous imposer leurs idées. Il arrive que l'on se sente cassé par ces professionnels." Si l'on se demandait encore quelle était la production américaine dont Woo demeure le plus fier, la réponse est immédiate : Volte/Face. Les fans ne seront guère surpris puisqu'il s'agit du film le plus fidèle à son cinéma, sur le plan formel comme thématique.
A propos de fidélité, Les Trois Royaumes entérine certes le renouvellement des visages dans le cinéma chinois/hongkongais à travers la présence de quelques figures phares de la génération des trentenaires (Takeshi Kaneshiro, Chang Chen, Vicky Zhao), mais le film est aussi l'occasion pour John Woo de retrouver un comédien qui trouva grâce à lui deux de ses plus beaux rôles. Il s'agit bien sûr de Tony Leung Chiu-Wai, héros du bouleversant Une Balle dans la Tête et flic tourmenté dans l'anthologique A Toute Epreuve. John Woo ne tarit pas d'éloges : "Tony Leung Chiu-Wai et moi nous connaissons depuis très longtemps. C'est quelqu'un pour qui l'amitié est très importante. Nous comprenons chacun le travail de l'autre et j'apprécie particulièrement son jeu d'acteur. Nous nous sommes retrouvés comme de vieux amis et je suis vraiment reconnaissant qu'il ait accepté de faire le film parce qu'à l'époque, j'avais de gros problèmes avec le casting. Son attitude envers l'honneur ou l'amitié imprègne son jeu d'acteur et il a énormément de charisme dans ce rôle."
Et nous de regretter d'autant plus de ne pouvoir bénéficier de la version chinoise, dans laquelle les personnages devraient prendre toute l'ampleur dont le cinéaste est capable. Peut-on espérer deux éditions DVD et blu-ray pour la France ?