Méandre : "On vit une période excitante pour le cinéma de genre français" Mathieu Turi en interview
Le 26/05/2021 à 19:19Par Olivier Portnoi
Trois ans après le prometteur Hostile, Mathieu Turi revient avec Méandre, un huit clos angoissant dans lequel une jeune femme (Gaia Weiss, vue dans Vikings) se réveille prisonnière d'un tube rempli de pièges. Qui l'a mise ici ? Comment s'en sortir ? Sa seule chance de survivre est d'avancer et de ramper.
Série B fantastique et haletante, Méandre est une expérience de cinéma dont on ne sort pas indemne. Filmsactu a pu discuter avec le réalisateur cannois de ses inspirations, du cinéma de genre qu'il aime, du statut du cinéma de genre en France, du marché international, de Cube et de James Cameron... Résumé d'une conversation passionnante avec un passionné.
"Je savais que l’on allait être comparé à Cube pour le concept. Avec des pièges dans un espace clos, des tons bleus et un aspect futuriste, c’était inévitable." Mathieu Turi
Je te voyais regarder l’affiche géante de Méandre à côté de nous. Tu es très attentif à la création des affiches de tes films ?
Mathieu Turi : Oui bien sûr. L’affiche, c’est important. C’est le premier rapport avec le spectateur. Alba Films (distributeur de Méandre) a effectué un énorme travail sur l’affiche française du film. Plusieurs propositions ont fait débat entre nous avant que l’on tombe tous d’accord sur celle-ci que j’adore.
Quelles sont les affiches qui toi t’ont marqué ?
Le premier film que j’ai vu de ma vie était The Thing de John Carpenter. J’avais 6 ans. Je n’avais absolument pas l’âge de le voir. Je l’ai vu caché derrière le canapé. J’en garde des images très fortes, ce qui explique peut-être pourquoi je fais des films de genre aujourd’hui. Je me souviens très bien de la jaquette de la VHS française sur fond blanc un peu laiteux avec ces deux visages mélangés et étirés.
Mais l’affiche culte dont on ne parle pas assez est l’affiche de Jurassic Park.
J’ai vraiment été agréablement surpris par Méandre. Pour être franc, au vu de la bande-annonce, je m’attendais à un ersatz de Cube made in France. Mais c’est bien autre chose que l'on découvre. Tu t’attendais néanmoins à cette comparaison ?
Oui. Je savais que l’on allait être comparé à Cube pour le concept. Avec des pièges dans un espace clos, des tons bleus et un aspect futuriste, c’était inévitable. Puis j’adore le travail de Vincenzo Natali (réalisateur de Cube). Ce film a été déclencheur et a notamment inspiré Saw. Ce que je voulais vraiment faire et qui me démarquait de Cube et d’autres films du genre, c’était de mettre le spectateur à la place du personnage. On n'évolue pas ici en voyeur. Dans Cube ou Saw, on est au dessus des personnages et on prend du plaisir à les voir souffrir. Ce n’était pas mon idée. Je voulais que le spectateur soit à la place de mon héroïne, ressente ce qu’elle ressente et qu'il désire ne pas la voir souffrir. On est presque dans l’interactif et dans le jeu vidéo. A l’arrivée, c’est aussi un film beaucoup plus compliqué que ne le laisse paraître la bande-annonce ou le pitch très simple de départ. Mais je savais que la comparaison viendrait. Heureusement que l’on n'a pas appelé le film Tube...
Oxygène est sorti il y a peu avec Mélanie Laurent coincée dans un caisson. Comment as-tu réagi en découvrant le film d’Alexandre Aja ?
Un film sur une blonde coincée dans un tube futuriste ? Par Alexandre Aja, quelqu’un qui a un vrai talent ? aïe… Quel timing (rires). Au départ, Méandre était supposé sortir en février. Puis en avril. Dans les deux cas, on sortait avant Oxygène. Là on sort à deux semaines d'écart le même mois. C’est comme ça malheureusement. Sur ce, j’ai adoré Oxygène. Il y a une vraie relecture d’un certain cinéma claustro. Le film raconte quelque chose et Mélanie Laurent est géniale dedans. On ne la voit pas souvent dans ces rôles là. Puis Alexandre Aja reste un réalisateur hors pair. Les deux films peuvent faire penser l’un à l’autre sur le pitch de départ mais ils se démarquent très vite. Mais heureusement qu’Oxygène est sur Netflix. Si on avait été projeté au cinéma en même temps, oui j’aurais vraiment eu les boules. Mais là cela crée un échange. Alexandre Aja est un ancien dans ce cinéma de genre par rapport à moi qui n’en suis qu’à mon deuxième film. C’est génial d’être en parallèle avec lui.
Alexandre Aja est un exemple pour toi ? Il a été un des premiers réalisateurs de cinéma de genre français à réussir à s’imposer aux Etats-Unis là où les autres se sont tous faits bouffer.
Oui. C'est clairement une référence et quelqu'un de très doué et très intelligent. S'il a réussi aux Etats-Unis, ce n'est pas par hasard. Beaucoup pensent qu'Alexandre Aja s'est simplement fait embaucher aux Etats-Unis. C’est complètement faux. Il a su garder sa légitimité parce qu’il est allé tourner son film aux Etats-Unis (La Colline a des yeux -ndr) et s’est battu avec Wes Craven pour garder le contrôle. On ne l’a pas appelé. Il s’est battu pour faire ce film. C’est brillant.
"Au cinéma en France, le film de genre c’est pour l’instant risqué. Si on arrive à faire 100 000 entrées, c’est champagne. Méandre est le genre de film qui a une carrière en vidéo derrière et qui marche à l’international."
Hostile et Méandre ont tous les deux été tournés en anglais. Pourquoi ce choix ?
Méandre a été tourné à moitié en français et à moitié en anglais. En français pour des raisons de financement et en anglais pour qu’il puisse mieux se vendre à l’étranger. Du moment que j’ai pu le justifier dans mon scénario, cela ne me posait aucun problème. Hostile par contre était un film entièrement en anglais et indépendant là où Méandre a été fait dans le système français avec OSC, des crédits d’impôts français. Tout a été tourné en France. Hostile était à peine à un million d’euros de budget avec un tournage sur trois continents tandis que Méandre en a coûté 2,6 millions.
Il est essentiel pour toi que le cinéma de genre français puisse s'exporter ?
Pour moi le cinéma n’a pas de frontière. Il n’a que des racines. Au départ Hostile ne devait pas sortir en France. Au final, on a pu le faire grâce à un petit distributeur une fois qu’il a été distribué dans le reste du monde. On a fait 4000 entrées pour trois, quatre copies. C'est rien mais cela a permis à ceux qui le voulaient de le voir sur grand écran en France. En Russie, Hostile a été proposé sur 500 copies. On l’a vendu dans 50 pays, Sony l’a acheté aux Etats-Unis pour la sortie vidéo. Il a eu une vraie carrière internationale. Pour Méandre, c’est pareil. Il a été vendu partout. J’ai toujours voulu faire des films pour parler au monde entier. C’est peut-être pour cela que je me suis tourné vers le cinéma de genre. Faire un film juste pour la France, c’est risqué financièrement et le film de genre au cinéma chez nous c’est pour l’instant risqué et compliqué. Si on arrive à faire 100 000 entrées, c’est champagne. Méandre est le genre de film qui a une carrière en vidéo derrière et qui marche à l’international. Il va sortir le 9 juillet aux Etats-Unis en salles puis en VOD. On aura aussi une sortie en Russie, au Japon, en Chine, en Italie, en Espagne… C’est important de ne pas se limiter à un pays. Ce n’est pas un blockbuster, mais c’est important qu’il puisse s’exporter et ce cinéma de genre est ce qui s’exporte le mieux en France. Pour reparler d’Alexandre Aja, Haute Tension est resté pendant des années le n°1 des ventes vidéo d’un film français dans le monde.
Tu t’es fait démarcher par des producteurs américains ? On sait qu’ils aiment caster des nouveaux talents pour leur reboot et leur remake de films fantastiques.
C’est moins la mode qu’il y a quelques années. Dans les années 2000, certains producteurs avaient la main dans les studios pour monter des projets à 10, 15 millions de dollars. Aujourd’hui, il reste Jason Blum qui a ce talent de faire des films à 5 millions en prenant des réalisateurs un peu partout. C’est cependant moins qu’à une époque. Mais oui, j’ai eu ces appels du pied. Encore plus avec Méandre. Pour l’instant, je sais que si je vais faire un film aux Etats-Unis, je n’aurais pas la même liberté. Je ne suis ni tombé sur le producteur ou le scénario qui me donne envie de le faire mais je reste ouvert. Et pas qu’aux Etats-Unis. Il faut savoir qu’un remake d’Hostile est en train de se préparer en Corée. Quand on m’a appelé pour me dire ça, je me suis dit que c’était dingue. Peut-être qu’après il y a un remake américain du remake coréen (rires).
"L’idée est de faire des films qui ont le plus de gueule possible et que l’on en ait pour son argent. Au cinéma, c’est le même prix pour aller voir Avengers que Méandre."
Malgré tes budgets modestes, il n’y a jamais cette sensation de film cheap quand on regarde Méandre ou Hostile.
Je suis tombé chez FullTime sur des producteurs qui sont dans le même esprit que moi et qui ont cette idée de mettre tout à l’image. Pour Hostile, ils n’ont pas touché un centime. Même leurs salaires a été mis dans le film. J’y ai mis une partie du mien aussi. Le film n’a été fait que par des passionnés qui ont demandé le minimum. Il y a un million de budget mais presque tout a été mis à l’image. Sur Méandre, pareil. L’idée n’a pas été de dire "on a un budget, faisons un film", mais plutôt "combien faut-il pour faire le film que l’on a envie de faire puis ensuite allons chercher ce budget". J’adore cette phrase de Guillermo del Toro qui a dit "c’est votre job en tant que réalisateur d’être over budget". C’est à dire que vous êtes ambitieux et que vous voulez emmener votre film. Mais c’est le rôle du producteur de ramener votre ambition à une réalité économique. Les budgets c’est toujours compliqué. 2,6 millions d'euros, ce qu'a coûté Méandre, c’est une petite somme au cinéma. Mais dans le monde réel, c’est une somme énorme. De temps en temps je fais un petit pas en arrière et je me rends compte qu’après deux films, je fais ce que je faisais avec mes figurines dans ma chambre gamin sauf que là j’ai des millions d’euros. L’idée est de faire des films qui ont le plus de gueule possible et que l’on en ait pour son argent. Au cinéma, c’est le même prix pour aller voir Avengers que Méandre.
Méandre a donc été entièrement tourné en France. Qu’est ce qui a été réellement construit de ce fameux labyrinthe qui parait sans fin à l’écran ?
On a peu triché. On réutilise peu de décors. On avait un studio de 1000m2 qui était trop petit car on avait énormément de décor. Tous les tronçons étaient surélevés à 1m50 pour que l’on puisse travailler. On avait un tube de 12 mètres de long pour les scènes où Gaia avance mais chaque piège est un décor entier. Les décorateurs travaillaient la nuit pour remettre en place, comme avec des legos, ce dont on avait besoin le lendemain. Pendant 33 jours, cela a été sport. J’ai voulu au maximum donner l’impression que Lisa, le personnage du film, soit enfermée et ne pas tricher en le faisant. Notre chef machino a créé un système spécial pour placer notre caméra face à elle dans les longues séquences de mouvement. Puis ce que je tiens à faire, c’est filmé tout en live. Que cela les créatures, les animatroniques, le feu. Les VFX sont venus après surtout pour effacer certaines choses. Mais pour le feu, on a vraiment foutu le feu au tube. Je veux des créatures qui soient vraiment là, façon années 80. Même si c’est moins fluide, c’est là, on peut les voir et cela donne un style.
Les avancées dans les tubes font forcément penser à Aliens et à cette scène où Bishop doit ramper des centaines de mètres pour rallumer une antenne alors que les aliens rôdent.
C’est la référence. Cette séquence de Bishop dans le tube m’avait terrifié. Quand j’ai cherché à faire un film concept en huit clos, elle m’est revenue à l’esprit. Je suis un gros fan de James Cameron et un gros fan d’Aliens et d’Alien. Ce qui est génial d’ailleurs c’est qu’Aliens ne copie pas Alien. Même s’il étend la mythologie et reprend le principe de la reine pompeuse.
Tu attends Avatar 2 ou tu t’en fous ?
Les meilleures suites de tous les temps pour moi sont Aliens et Terminator 2. J’ai donc tellement hâte de voir Avatar 2. Cameron m’a vraiment marqué. A une époque, je faisais des courts-métrages comme on fait quand on veut être réal. Je cherchais mon style. J'étais dans le sous Tarantino. Je me souviens être sorti de l’Avatar Day, le 21 août 2009, à Gaumont Disney Village et m'être demandé "qu’est ce que j’aime faire ? ". J’ai établi mon top 12 des films les plus importants dans ma vie et les 3/4 étaient de la SF ou du genre. Ce qui me plaisait c’était de créer un univers qui n’existe pas et de raconter quelque chose à travers cet univers. J’ai fait mon premier vrai court-métrage Sons Of Chaos par la suite en 2010. Tout ça grâce à James Cameron.
"Je pense que l’on vit une des meilleures périodes pour le cinéma de genre français."
A un moment, tu as donc travaillé sur des plateaux de gros films américains en France ?
Je suis né à Cannes. Je suis monté à Paris en 2005 à 18 ans. En sortant de mon école (de cinéma) en 2008, j’ai commencé à travailler sur G.I Joe qui tournait des séquences à Paris. J’étais set production assistant. En gros tu bloques les portes et tu bloques les gens. C’était déjà un petit aperçu de ce qu’il se passe derrière la barrière. 6 mois plus tard j’ai pu me faire embaucher sur Inglorious Basterds. Et là on était vraiment avec Tarantino. C’est la meilleure école du monde. D'un coup, tu vois les types dont tu adores les films travailler de près. J’ai aussi fait Sherlock Holmes de Guy Ritchie. Puis je me suis retrouvé à gérer de grosses figurations et à être 3ème assistant. Tu montes les échelons. Mais comme je voulais faire de la réal, j’ai arrêté.
Vous vous parlez entre réalisateurs français de films de genre ?
On se connait tous de près ou de loin. Xavier Gens, Julien Seri, Zoé Wittock, Coralie Fargeat, Alex Bustillo et Julien Maury, qui eux ont tellement plus d’expérience que nous et sont de la première vague de french frayeur comme Xavier Gens... on échange tous ensemble. Et on se parle aussi via les réseaux avec ceux que l’on connait moins. C’est très dur de faire des films. Des films de genre encore plus. Alors on se soutient tous de loin ou de près. On se respecte tous car on sait la galère que c’est de mener son projet jusqu’au bout.
On a l’impression que l’arrivée de plateforme comme Netflix aide à développer le cinéma de genre. Je pense notamment à Balle Perdue qui n’aura peut-être pas connu le même engouement avec une sortie cinéma.
J’aurais pu citer Guillaume Pierret que j’admire aussi beaucoup. On dit souvent que le public français n’aime pas le cinéma de genre, ce qui est faux, les films américains cartonnent. On dit aussi qu'ils n’aiment pas les films français. Ce n’est pas vrai. Le chant du loup a cartonné. C’est une question de quantité. Si on a d’excellentes comédies en France, c’est que l’on produit beaucoup de comédies. Sur le haut du panier, il y a quelques chef-d’oeuvres, en dessous quelques films sympas puis énormément de bouses. Mais c’est comme cela que ça marche. Là on va avoir quasiment 10 films de genre français au cinéma. C’est du jamais vu depuis des années. On fera un bilan par la suite.
Pourquoi cet engouement soudain des producteurs pour le cinéma de genre ?
Il y a d’abord l’arrivée des plateformes comme tu le disais. Netflix finance Balle Perdue, Netflix finance la série Marianne, des projets qui n’auraient pas vu le jour de cette manière sans son investissement. C’est génial. Cela a permis à ces réalisateurs et scénaristes de s’exprimer. Même s’il n’y a pas de saison 2 de Marianne, Samuel Bodin est en train de tourner un film pour Lionsgate et Stephen King a adoré Marianne. Cette ouverture à l’international permet de lancer des carrières. C’est la conséquence directe. La conséquence indirecte c’est que l’arrivée des plateformes fout un tel bordel, elles font peur à tout le monde, que la concurrence est plus présente. Or on sait tous que la concurrence est ce qu’il y a de meilleur pour le public et les créateurs car les financements se débloquent. Puis il y a l'arrivée d'une nouvelle génération de producteurs et de financiers qui ont aussi grandi avec Spielberg et James Cameron et qui ont les mêmes références que nous. Enfin Grave a déclenché quelque chose. Le film de Julia Ducournau a changé le regard des professionnels. Le mot genre est entré dans l’oreille de beaucoup plus de monde grâce à lui. Ce qui arrive à point car notre génération pousse la porte depuis un moment avec des envies de cinéma. Tout ce mélange fait que quelque chose est en train de se passer. Je pense que l’on vit une des meilleures périodes pour le cinéma de genre français.
Méandre, actuellement au cinéma.