Une Colonie : "on voulait faire un film d’adolescent honnête, loin des clichés - interview
Le 08/11/2019 à 11:29Par Olivier Portnoi
Une Colonie est une petite perle de cinéma. Un film honnête, tendre et touchant venant du Québec. C'est l'histoire de Mylia, 12 ans, enfant timide et farouche qui rentre au collège et laisse peu à peu son enfance derrière elle. Parfois de manière brutale.
La réalisatrice Geneviève Dulude-De Celles filme avec délicatesse ce passage si délicat de l'enfance à l'adolescence.
On a eu l'occasion d'en discuter avec elle et son actrice principale Emilie Bierre, 15 ans, de passage à Paris.
Dans combien de cinémas sort un film comme Une Colonie au Canada ?
Geneviève Dulude-De Celles : Il est très rare que les films québécois traversent les frontières québécoises. En Amérique du Nord, il y a moins cette tradition cinéphilique qu’en France et en Europe. Au départ, on était censé faire 5 salles au Québec. Au final, on a été programmé dans 12, 13 salles ce qui est énorme pour un film comme le nôtre. Ce n’est pas un film « commercial » même s’il s’adresse à mon sens à un large public. Mais il n’a pas été présenté de la sorte. Cependant notre distributeur est très heureux. Une Colonie est le deuxième meilleur box -office de son catalogue en terme de film d’ »auteur ».
Il est donc quasiment impossible d’être diffusé dans le reste du Canada quand on est un film québécois tourné en français ?
Geneviève : On a gagné les Canadian Screen Awards qui sont les équivalents des Césars (Une Colonie a obtenu l’award du meilleur film et de la meilleure actrice pour Emilie Bierre –ndr). Le Canada anglais s’y est intéressé suite à ça et un distributeur a pris le film. Il a eu quelques projections ponctuelles à différents endroits du pays où on venait le présenter. Mais cela reste très confidentiel. On vous envie beaucoup en Europe. Il est difficile d’amener les gens au cinéma voir autre chose que des grosses productions américaines.
Une Colonie traite entre autre de l’intimidation et du harcèlement à l’école. La projection du film en festivals a-t-elle provoqué le débat ? Des spectateurs sont-ils ensuite venus vous parler touchés par ce sujet ?
Emilie Bierre : Oui. Même à Berlin. Je sais que le film s’adresse à tout le monde mais je ne m’attendais pas à ce qu’il touche autant dans des pays différents. La réaction des gens est forte.
Geneviève : Je me suis retrouvée à écouter des gens en Corée du Sud qui me disaient se retrouver dans le personnage d’Emilie. Je me suis demandée comment quelqu’un en Corée pouvait s’identifier à cette jeune québécoise issue de la campagne. Les spectateurs s’accrochent sur des éléments différents du film. Des jeunes sont venus me voir pour me partager des expériences d’intimidation à l’école ou m’ont confié qu’ils avaient du mal à trouver leur place, à Berlin on a beaucoup parlé des cours d’histoire et la lecture euro-centriste de notre histoire nord-américaine qui occulte la place des indiens (Une Colonie aborde le sujet -ndr), cela les a beaucoup marqués. D’autres ont évoqué la séparation familiale, les liens entre les sœurs.
Emilie et Geneviève, vous vous souvenez de votre première rencontre ? Vous vous connaissiez avant le film ?
Emilie : Non. On s’est rencontrés lors de la première audition.
Geneviève : On avait peu de temps. On devait rencontrer plusieurs comédiennes. Mon copain, qui travaille aussi dans le cinéma, avait vu le premier ou deuxième long métrage d’Emilie alors qu’elle n’avait que cinq ans (Emilie Bierre a déjà 10 ans de carrière au Québec -ndr). J’étais déjà en train d’écrire Une Colonie et il m’a dit « cette actrice est incroyable ». Cela m’était restée en tête mais j’avais une autre actrice en vue pour le film. Finalement, elle s’est avérée trop âgée pour le rôle une fois que l'on a été en développement. Mais lors de l’audition, Emilie a réussi à me faire pleurer. En à peine 15 minutes. J’ai été touchée par son jeu.
C’est compliqué les auditions pour une actrice ?
Emilie : C’est tout le temps stressant. Tu répètes chez toi mais tu ne sais jamais ce que l’on attend de toi. Il faut savoir s’adapter. Mais ce jour-là, l’ambiance était très détendue. Je me suis sentie en confiance.
Geneviève, tous les acteurs d’Une Colonie sont très jeunes et pour beaucoup n’avaient aucune expérience au cinéma. Que recherchez-vous chez vos acteurs ?
Geneviève : J’avais déjà travaillé avec des ados par le passé. C’est quelque chose que j’aime. Ce qui est particulier avec Une Colonie, c’est que l’on a fait un casting sauvage en province québécoise. On a rencontré 200 à 300 jeunes afin de trouver chacun de nos personnages. Je recherchais des acteurs qui aient un caractère similaire aux personnages qu’ils devaient incarner. On a fait deux mois de répétition afin de les former au jeu d’acteur et de créer une vraie connexion entre eux. C’était un défi de former des non acteurs mais à l’arrivée c’est gratifiant car il y a une très belle spontanéité et une vraie fraîcheur qui se dégagent de leur jeu. Ils n’ont pas les automatismes des acteurs habitués par la télé. Je ne faisais pas le même travail avec Emilie, qui est chevronnée, qu’avec les autres.
Qu’est-ce qui vous fascine tant dans cette tranche d’âge 12, 13 ans ?
Geneviève : Au cinéma, on a beaucoup dépeint la transition entre l’adolescence et le monde adulte et peu entre l’enfance et l’adolescence que je considère comme une période charnière. On passe d’une période où l’on est sous l’égide de nos parents, on adhère à leurs croyances et leurs idéologies, pour un monde où l’on va développer un sens critique. Cette transition entre le primaire et le secondaire est marquante. D’autant plus que les jeunes sont aujourd’hui amenés à vieillir plus vite qu’avant. Quand on rentre au secondaire, il y a un contact avec les plus vieux, avec la sexualité qui peut-être violente. Je trouvais l’arrivée de ces premières bases qui jalonnent notre identité individuelle et collective intéressantes.
Une Colonie est un peu l’anti-teen movie tel que le conçoivent les américains avec votre approche de filmer inspiré du documentaire
Geneviève : Oui. On a présenté le projet en disant que l’on voulait faire un film d’adolescent honnête. J’ai la frustration en tant que cinéphile de voir cet âge souvent dépeint à l’américaine avec des acteurs de 20 ans qui incarnent des ados de 14, 15 ans. C’est un peu un monde idéalisé. Au cours du tournage, je cherchais à valider auprès des plus jeunes la réalité de notre langage et de ce que je racontais. Mon précèdent projet était un documentaire sur l’adolescence. Cela m’a permis de m’en inspirer.
Emilie, t’es-tu reconnue dans ce personnage de Mylia ?
Emilie : Oui. Tout de suite dès la lecture du scénario que j’ai trouvé bouleversant. Il ne tombait pas dans le cliché. Il était honnête. Je pense que tous les ados peuvent se retrouver dans au moins un des personnages.
Avez-vous des films fétiches sur l’adolescence ?
Geneviève : J’avais des références bien sûr. J’ai beaucoup aimé Une histoire d’amour suédoise, film suédois de Roy Andersson (1970). Il possède un regard tendre sur les jeunes qui se prennent pour des adultes. Entre les Murs de Laurent Cantet (2008) aussi. Dernièrement, j’ai vu Jeune Juliette, un autre film québécois sur l’adolescence que j’ai beaucoup aimé. La réalisatrice Anne Edmond a aussi cette volonté de sortir du cliché du teen movie à l’américaine. Il y a aussi Eigth Grade ( de Bob Burnham, 2018) qui est pertinent surtout dans le cadre américain.
Emilie, qu’aimes-tu comme genre de film ?
Emilie : Je regarde beaucoup de choses. Pas forcément avec des ados. Dernièrement, j’ai beaucoup aimé Call Me By Your Name.
Y a-t-il des acteurs ou des actrices qui t'inspirent ?
Emilie : De but en blanc, je dirais Timothée Chalamet, Natalie Portman. Marion Cotillard aussi.
De manière surprenante, il y a peu de téléphones portables dans Une Colonie ?
Geneviève : Je voulais brouiller la notion de temps pour ne pas forcément marquer le film comme datant de 2019. Puis, c’était logique avec personnage de Mylia et ses parents hippies. D’autant plus qu’elle n’a que 12 ans. Jacinthe qui vient d’un autre milieu a elle un portable elle. Mais honnêtement, le téléphone portable n’est tellement pas cinématographique.
Emilie, c’est troublant de découvrir un film fini et de se voir sur grand écran?
Emilie : On a beau connaître le film, il y a toujours une surprise. Au montage, l’ordre des scènes peut changer, des bouts d’une scène mis sur une autre. J’étais vraiment émue de découvrir le film d’autant plus que l’on m’a organisée une projection surprise pour mon anniversaire. J’étais toujours d’être le plus neutre possible quand je me vois sur l’écran.
Emilie, tu es porte-parole d’une fondation contre l’intimidation ?
Emilie : Oui. Je suis porte-parole de la fondation Jasmin-Roy. J’ai moi-même vécu une intimidation en étant plus jeune. En étant actrice, je me suis rendue compte que je commençais à avoir une voix, un visage que les gens reconnaissaient et j’ai voulu en profiter pour aider les autres et parler publiquement de ce que j’ai vécu et de ce que d’autres subissent et n’osent peut-être pas exprimer. C’est une façon de dire Vous n’êtes pas les seuls. Ensemble, dénonçons.