Coffret Jacques Demy
Le 25/11/2008 à 12:02Par Sabrina Piazzi
Coloré, intense, dynamique, bouleversant, le cinéma de Jacques Demy demeure unique dans l'Histoire du cinéma français comme une partition, un opéra où chaque acte serait caractérisé par un long métrage.
Lola (1960) 17/20
« Ca me plaisait beaucoup de faire quelque chose sur la fidélité, la fidélité à un souvenir et d'y mêler mes souvenirs de Nantes » Jacques Demy
Dès les premières images, Jacques Demy affiche ses références. Max Ophüls, Luchino Visconti et Robert Bresson. Le budget qui lui est alloué pour ce premier film ne lui permet pas de tourner en couleurs comme il le désirait. Le chef opérateur Raoul Coutard traite le N&B comme Luchino Visconti pour Les Amants diaboliques. Porté par l'émergence de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard présente Jacques Demy à Georges de Beauregard qui accepte de produire son premier long métrage. Ayant rêvé d'user de la couleur, du format 2.35 et de diriger des numéros dansés, il est obligé de revoir ses ambitions. Pour la musique il rêve que Quincy Jones participe à l'aventure mais une fois encore il doit se tourner vers un autre compositeur. Il fait appel à un jeune musicien débutant qui n'est autre que Michel Legrand qui deviendra son fidèle complice.
Lola est un portrait double. Celui de Jacques Demy lui-même à travers le personnage de Roland qui rêve d'aller tenter sa chance ailleurs (Demy rêvait, lui, de quitter Nantes pour Paris afin de se lancer dans le cinéma). Mais c'est surtout celui de Lola dont le portrait est dressé à travers trois personnages distincts. Celui de l'adolescente, de la jeune mère et celui de la mère de l'adolescente. Les femmes se fondent les unes dans les autres pour ne faire qu'une, Lola. Anouk Aimée est Lola, un corps gracieux et désirable dont le mari et père de son enfant est parti depuis sept ans. Tous les personnages vont se croiser et se retrouver confrontés au passé ou devant une situation décisive. Premier coup d'essai et surtout coup de maître pour Jacques Demy qui impose un univers poétique singulier teinté d'amertume, de rêves brisés, de coïncidences, d'amours contrariées où les hommes sont absents et les femmes livrées à elles-mêmes. Pour la petite anecdote, le personnage de Roland Cassard reviendra dans Les Parapluies de Cherbourg, toujours interprété par Marc Michel, qui raconte dans une des chansons du film avoir aimé une femme qui s'appelait Lola.
La Baie des anges (1962) 17/20
« J'ai voulu démonter et démontrer le mécanisme d'une passion. Cela pouvait être aussi bien l'alcool que la drogue, par exemple. Ce n'était pas le jeu en soi. »
Pour son deuxième long métrage, Jacques Demy adapte un roman de Max Gallo. Le cinéaste est ici très influencé par un de ses maîtres, Robert Bresson, mais le film a été quelque peu boudé par la critique après le succès de Lola. On est certes loin des rêveries colorées qu'il réalisera par la suite mais La Baie des anges s'impose comme l'un des plus beaux films de son auteur. Ce second long métrage est passionnant, d'une beauté plastique hallucinante et Jeanne Moreau est éblouissante. Demy explore ici la passion, celle du jeu et de l'amour, ainsi que la perte de l'innocence à travers une éducation sentimentale ardente. Comme souvent dans son cinéma, le réalisateur explore également le désir de changer de vie, de s'évader pour mieux apprendre à vivre et à aimer. Etonnamment, La Baie des anges demeure aujourd'hui méconnu.
Les Parapluies de Cherbourg (1963) 18/20
« Les Parapluies, c'est un film contre la guerre, contre l'absence, contre tout ce qu'on déteste et qui brise un bonheur ».
Les Parapluies de Cherbourg fait partie des Palmes d'or les plus controversées de l'histoire du Festival de Cannes. Sélectionné dans cinq catégories aux Oscars, Prix Louis Delluc en 1964, Prix Méliès du meilleur film du Syndicat français des critiques de cinéma en 1965, le film de Jacques Demy divise la critique mais le public du monde entier lui fait un triomphe. Mis en musique par Michel Legrand, « mis en couleurs d'origine » (le premier film en couleurs de Jacques Demy) comme l'indique le carton introductif, Les Parapluies de Cherbourg est l'un des plus beaux films du metteur en scène, un plaisir de tous les instants, un festival de couleurs et d'émotions. Jacques Demy crée un nouveau genre, la comédie « en chanté », tous les dialogues étant intégralement chantés par les personnages.
En mettant à bas les conventions de la comédie musicale, le réalisateur sait à quoi il risque d'être exposé mais ira jusqu'au bout de son entreprise malgré une production difficile. Refusant catégoriquement de tourner en studio, il filme dans certains quartiers de Cherbourg dont il a fait repeindre quelques façades où les costumes des personnages se fondent y compris dans les papiers peints. Michel Legrand signe une de ses plus grandes partitions (magnifique Non, je ne pourrai pas vivre sans toi), indissociable des images de Jacques Demy. Les acteurs, de Catherine Deneuve en passant par Nino Castelnuovo, Marc Michel (le personnage de Roland, revenu de Lola), bien qu'ils ne chantent pas avec leurs véritables voix, sont aussi magnifiques que bouleversants.
Aujourd'hui, ce film fait office de précurseur dans sa forme mais également par son sujet car il aborde de front la guerre d'Algérie et ses conséquences physiques et morales. Comme on dit souvent, les préjugés sont les pires ennemis au cinéma alors laissez les de côté avant de (re)voir ce film qui continue de transporter les spectateurs d'hier et d'aujourd'hui. Une véritable symphonie (le film est divisé en trois parties distinctes) magique et inclassable. D'une virtuosité technique bluffante, Les Parapluies de Cherbourg demeure un monument du genre.
Les Demoiselles de Rochefort (1966) 20/20
« Faire un film dont le sentiment serait joyeux, faire en sorte que le spectateur soit, après la projection, mois maussade qu'il ne l'était en entrant dans la salle ».
Le triomphe des Parapluies de Cherbourg permet à Jacques Demy de pouvoir enfin réaliser la comédie musicale à l'américaine dont il a toujours rêvé. Les Demoiselles de Rochefort se fera en 2.35, avec de magnifiques couleurs, de splendides chansons et des numéros musicaux composés par Michel Legrand. Gene Kelly (s'exprimant dans la langue de Molière) et George Chakiris (sorti de West Side Story) sont également de la partie. Catherine Deneuve partage l'affiche avec sa sœur Françoise Dorléac, le duo donnant la réplique à Michel Piccoli, Jacques Perrin et Danielle Darrieux. Un casting quatre étoiles pour un voyage au pays des couleurs, des chansons enivrantes, d'amour, du hasard et des coïncidences.
D'une part Jacques Demy retrouve son thème de prédilection, la relation mère/fille(s) en l'absence du père où, sous le bonheur bigarré, pointe l'amertume. Jacques Demy parle de son histoire quand il raconte celle de ces deux sœurs qui souhaitent quitter Rochefort pour la capitale afin de tenter leur chance. D'autre part le casting est un des plus beaux jamais réuni dans le cinéma français. Les deux sœurs Dorléac illuminent la pellicule de leur beauté incomparable tandis que Gene Kelly fait ses claquettes sous l'œil ému de Jacques Demy et donne également la réplique à un Michel Piccoli bouleversant.
Le film continue d'engranger de véritables passions à travers le monde. Tourné à la fois en français et en anglais pour le marché international, Les Demoiselles de Rochefort demeure l'ultime prestation de Françoise Dorléac disparue tragiquement dans un accident de voiture trois mois après la sortie du film en France. Elle avait 25 ans. La mise en scène demeure un plaisir de tous les instants, une jouissance incomparable que seul le cinéma peut procurer. Chaque séquence culte se déguste avec les yeux, les oreilles et une seule envie nous prend, celle de danser, de sauter et de chanter. C'est ce qu'on appelle la magie et la poésie.
Model Shop (1968) 20/20
« Si on a vu Lola, c'est mieux, comme quelqu'un qu'on retrouve, qu'on rencontre comme ça, après une longue absence ».
Après le succès international des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort, les studios américains ouvrent leurs portes à Jacques Demy. Pour le compte de la Columbia, il réalise un film doux-amer nourri par ses observations d'une Amérique bouleversée par la guerre du Vietnam et le mouvement hippie. Les studios désiraient eux une comédie musicale. Model Shop est le résultat d'un voyage de deux ans aux Etats-Unis, le cinéaste étant littéralement tombé amoureux de Los Angeles. Sept ans après Lola, Jacques Demy retrouve Anouk Aimée et le personnage de son premier long métrage. Chef d'oeuvre d'émotion et de beauté plastique, Model Shop est d'une beauté plastique renversante. Demy filme les rues de la ville de jour comme de nuit, semble éblouit par les néons, les bars, les trottoirs, le visage de ses habitants. Il étire ses actions en temps réel au gré des pérégrinations de George (Gary Lockwood) au volant de sa voiture, son seul bien, puis la caméra le suit dans les dédales du model shop où il va voir Lola. Il n'est pas difficile d'assimiler George à Orphée, dont le film revisite le mythe, et Lola à Eurydice, pour laquelle il traversera les enfers du model shop afin de ramener celle qu'il aime à la lumière du jour.
Avec Lola, Jacques Demy crée également le lien qu'il désirait entre tous ses films. Ainsi, au cours d'une discussion, le spectateur apprend ce que sont devenus Jack le marin vu dans Lola, Michel le mari de cette dernière et Jackie de La Baie des anges. Un fil ténu qui tenait à coeur au réalisateur.
Anouk Aimée est une fois de plus sublime de pudeur, de sensibilité et d'érotisme tandis que Gary Lockwood (2001 : L'Odyssée de l'espace) incarne la jeunesse paumée, désenchantée et apeurée à l'idée de devoir partir au Vietnam.
Mal accueilli par le public américain, Lola demeure également assez peu connu en France. Suite à cet échec, les portes des studios américains se referment aussitôt pour Jacques Demy. Pour l'anecdote, ce dernier avait fait tous ses repérages avec un jeune acteur nommé Harrison Ford qu'il voulait absolument pour le rôle de George. La production en décida autrement, prétextant que cet acteur n'avait aucun avenir dans le cinéma...
Peau d'Ane (1970) 16/20
« Autrefois, avant, quand j'étais enfant, Peau d'âne me plaisait particulièrement. J'ai essayé de faire le film dans cette optique, par mes yeux, comme ça, quand j'avais sept ou huit ans ».
Model Shop est un échec commercial. Jacques Demy revient en France avec Peau d'âne. Depuis le début de sa carrière, il avait maintes fois tenté de le mettre en scène sans trouver les financements appropriés. Inspiré du conte homonyme de Charles Perrault paru en 1694, le film est un chef d'œuvre plastique inégalé et inégalable dans le cinéma français. Jacques Demy bénéficie d'un casting haut de gamme et retrouve pour une troisième fois Catherine Deneuve, princesse de référence, à laquelle les petites filles n'ont pas fini de s'identifier. Elle est absolument parfaite. Jacques Perrin campe le prince qui s'amourache de Peau d'âne, Jean Marais fait le lien avec l'univers de Jean Cocteau, grande référence pour le réalisateur, les hommages à La Belle et la Bête affluant même s'ils ne sont heureusement pas appuyés.
Delphine Seyrig incarne quant à elle la Fée des Lilas qui, si elle fera l'admiration des enfants, paraîtra cynique, arriviste et presque antipathique aux adultes. Si les chansons sont une fois de plus présentes dans la narration, les plus réfractaires seront peut-être plus indulgents que d'habitude puisque nous sommes ici dans le conte qui rappelle furieusement Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney, un des films de chevet de Jacques Demy.
De Chambord au Plessis-Bourré, le cinéaste profite des extérieurs et met en valeur tous les décors naturels aux couleurs pop art. L'humour et le second degré sont omniprésents mais le film traite aussi d'un sujet plus grave, l'inceste, thème récurrent dans le cinéma de Jacques Demy repris dans son ultime long métrage Trois places pour le 26.
Le Joueur de flûte (1971) 07/20
« Ce qui m'intéressait le plus dans cette histoire, c'était la possibilité, voire la nécessité, d'y faire cohabiter le réalisme et la magie ».
Film de commande destiné à mettre en valeur Donovan, une star de la chanson britannique, Le Joueur de flûte réunit un casting anglais, de John Hurt à Donald Pleasance. Après Peau d'âne, Jacques Demy revient au conte, en s'inspirant du Joueur de flûte de hamelin, une légende allemande et se réapproprie l'histoire pour y développer une variante du mythe d'Orphée caractérisée par un final pour le moins inhabituel.
Malheureusement, le film ne dépasse pas le stade de la rareté et on s'ennuie très souvent. Malgré une réalisation soignée avec des couleurs inspirées par les plus grands peintres, le propos s'enlise dans de longs dialogues pompeux et rébarbatifs sur les rapports sociaux.
L'Evènement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune (1973) 12/20
« C'est une rêverie bien sûr, mais c'est toujours basé sur des petites réalités ».
En 1971, Catherine Deneuve et Agnès Varda sont toutes les deux enceintes. L'occasion pour Marcello Mastroianni et Jacques Demy d'écouter leurs compagnes s'extasier devant leurs ventres arrondis et surtout de se demander comment eux en tant qu'hommes réagiraient si on leur annonçait qu'ils attendaient également un enfant. Il n'en fallait pas plus pour le cinéaste de se mettre à imaginer l'histoire de cet événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune. Jacques Demy dirige le couple Marcello Mastroianni / Catherine Deneuve dans une comédie originale bombardée de couleurs fluo, des costumes aux papiers peints.
On rit beaucoup dans la première partie qui amène son sujet progressivement grâce à l'énergie des comédiens. Mastroianni promène efficacement son œil ahuri et son ventre rebondi tandis que Catherine Deneuve, toujours excellente dans le registre de la comédie, compose son personnage avec délice et énergie. Les seconds rôles composés de Micheline Presle, Claude Melki, Maurice Biraud, Alice Sapritch et Raymond Gérôme apportent leur pierre à l'édifice avec malice. Il n'empêche que nous avons toujours l'impression que Jacques Demy ne pousse pas le bouchon aussi loin qu'il l'imaginait, comme s'il se sentait retenu par quelque chose. La dernière partie s'en trouve relativement ralentie, l'effet de surprise étant passé, le rythme s'essouffle, les situations s'enlisent jusqu'au final partant véritablement en eau de boudin. Dommage que la séquence de l'accouchement pourtant filmée et mixée ait disparu véritablement.
Lady Oscar (1978) 14/20
« Une bande-dessinée japonaise, des acteurs anglais et moi, français, c'était surréaliste, ça m'a plu... Une façon de raconter l'Histoire de France ».
Très rarement diffusé en France, Lady Oscar est d'une grande singularité. Pour la petite histoire, ce sont des producteurs japonais qui ont choisi Jacques Demy afin d'adapter un manga populaire intitulé La Rose de Versailles créé par Riyoko Ikeda en 1972. Acceptant de relever ce défi, Jacques Demy sait que la réalité historique ne prime pas et s'aligne sur l'idée que se font les Japonais sur l'Histoire de France. Si Jacques Demy avait d'abord pensé à Dominique Sanda pour le rôle titre, la firme de cosmétique japonaise Shiseido (coproductrice) refuse et désire un nouveau visage afin de lancer une nouvelle gamme de produits simultanément à la sortie du film. Suite à un casting, le cinéaste repère et engage Catriona MacColl dont les yeux lui rappellent ceux du personnage du manga. Elle illumine le film et incarne véritablement le personnage avec fougue et panache.
La crédibilité ne prime pas dans Lady Oscar et pourtant le film demeure très réussi. Jacques Demy se réapproprie le manga en y incluant ses thèmes de prédilection faits de hasards et de coïncidences, d'occasions manquées et d'amours dépitées. Même si les plus démunis apparaissent aussi propres et bien coiffés que les personnes de la Cour, il serait injuste de réduire le film à une simple transposition. Lady Oscar est divertissant, la mise en scène est soignée, les décors (de Bernard Evein) et les costumes également. Michel Legrand à la musique en profite pour changer de registre.
On ne s'ennuie pas une seconde et on suit les aventures personnelles de Lady Oscar sur fond historique de 1755 à 1789. Cette commande des Japonais, survenue après que tous les projets de Jacques Demy sont tombés à l'eau, a bénéficié d'un succès triomphal au Japon lors de sa sortie en mars 1979. Seules quelques petites salles françaises le diffusent en avril 1980 et il aura fallu attendre près de trente ans pour que Lady Oscar soit enfin disponible.
La Naissance du Jour (1980) 10/20
« Mon adaptation est d'une fidélité absolue, tous les mots sont de Colette. Le tournage a eu lieu par chance à la Treille Muscate, la villa de Saint-Tropez où elle se retirait de longs étés avant que la mode l'en chasse ».
En dépit d'une voix-off omniprésente reprenant chaque mot des écrits de Colette, La Naissance du Jour, seul téléfilm réalisé par Jacques Demy, est porté par la beauté et le talent de Danielle Delorme, fabuleuse dans le rôle de Colette. Le tournage s'est véritablement déroulé à La Treille Muscate, lieu de repos de l'écrivaine, que le cinéaste a partiellement redécoré afin de marquer cette adaptation de sa griffe inimitable. C'est sous la lourde assistance de la fille de Colette que Demy accepte d'adapter le roman La Naissance du Jour représente une gageure pour le réalisateur qui refusait alors de pratiquer cet exercice qu'il considérait comme contre-productif.
L'univers coloré de Jacques Demy a parfois du mal à illustrer les mots de Colette et le jeu monolithique de Dominique Sanda plombe quelque peu l'ensemble. En revanche, la délicate réalisation s'attarde sur les yeux de Danielle Delorme pris de passion pour un homme plus jeune qu'elle incarné par Jean Sorel. On peut penser que ce qui a finalement et surtout intéressé Jacques Demy sur La Naissance du Jour c'est cet arrêt sur la création, sur la passion des mots ainsi que le développement de ses thèmes de prédilection comme les occasions manquées et les amours contrariées.
Une chambre en ville (1982) 16/20
« Il y a peu de films que j'ai voulus comme celui-ci. Peu de films que j'ai rêvés comme celui-ci.»
« Police, milice ! Flicaille, racaille ! » Une chambre en ville est un projet que Jacques Demy porte alors depuis plusieurs années et qui résume en grande partie toute son oeuvre. Après avoir tenté d'adapter cette histoire en écrivant un roman puis en créant un opéra, le projet est sur le point de se concrétiser en 1976 avec Gérard Depardieu, Catherine Deneuve et Simone Signoret mais l'entreprise tombe à l'eau. Quelques années plus tard, la production est enfin lancée. Désirant rompre avec les comédies musicales colorées qui ont fait son succès, Jacques Demy décide de se tourner vers un autre compositeur que Michel Legrand, jusqu'ici son fidèle comparse. Il choisit Michel Colombier qui composera le véritable opéra tragique que le cinéaste souhaite mettre en scène.
Comme pour Les Parapluies de Cherbourg, Une chambre en ville est un film entièrement chanté par les acteurs. En revoyant toute sa filmographie, ce long métrage est sans nul doute le plus noir, le plus désespéré de son auteur. Etrangement, il paraît malheureusement un peu oublié. En effet, la polémique ayant accompagné le film lors de sa sortie est plus connue que l'œuvre elle-même. A l'époque, L'As des As de Gérard Oury est également sur les écrans et remporte un succès phénoménal. La critique prend alors les choses en main et achète un encart dans un quotidien afin de défendre le film de Jacques Demy qui n'attire pas grand monde et accuse par la même occasion Jean-Paul Belmondo de « voler » les spectateurs. La guerre du film commercial contre le film d'auteur en somme. Une histoire qui fera date dans l'histoire du cinéma français du début des années 80 !
Une chambre en ville est un film social et vindicatif dans lequel l'utilisation du chant ne fait que renforcer l'ironie des rapports et des confrontations de classes sociales. Il est certain que la forme pourra en rebuter plus d'un, mais une fois conditionné, le spectateur ne se rendra pour ainsi dire même plus compte des paroles chantées car l'émotion pointe petit à petit jusqu'au final bouleversant. Les acteurs s'accordent entre eux comme de véritables instruments issus d'un orchestre formidablement bien dirigé. Une fois encore, les histoires individuelles s'entrecroisent sur fond d'histoire s'inspirant des luttes ouvrières du père de Jacques Demy. Dans un autre contexte, le cinéaste qui s'est approché le plus d'un tel résultat demeure Baz Luhrmann avec son Moulin Rouge.
Une chambre en ville est un film précurseur, digne descendant de Roméo et Juliette de Shakespeare qui continue d'inspirer de nouvelles comédies musicales aujourd'hui.
Parking (1985) 8/20
« C'est un conte de fées où il n'y a pas de fées. C'est l'histoire d'Orphée et d'Eurydice... »
Le mythe d'Orphée et d'Eurydice a accompagné Jacques Demy tout au long de sa vie et de son œuvre. C'est une fois de plus le cas pour Parking, son plus mauvais film. D'emblée ce qui frappe, c'est l'interprétation outrancière et involontairement jubilatoire de Francis Huster, ridicule dans le rôle d'Orphée, chanteur-star remplissant le tout nouveau Palais Omnisports de Paris-Bercy avec des fans qui exultent de joie. Poussant lui-même la chansonnette comme le plus mauvais candidat d'une émission de téléréalité (Orphée vit d'ailleurs dans un château en banlieue parisienne...), Francis Huster livre une prestation à inscrire au Panthéon du genre, on peut le dire du nanar.
Mise à part son comédien principal, Parking ne manque pas d'intérêt puisque Jacques Demy dirige à nouveau Jean Marais. Il est Hadès, maître des Enfers. Ce rôle fait le lien direct avec les films de Jean Cocteau (à qui le film est dédié) qui n'ont cessé d'inspirer le cinéaste depuis des années. Parking est une œuvre marquée par les années 80 dans sa musique (pathétique), ses costumes (mention spéciale au bandeau à diodes rouge clignotantes d'Orphée) et l'univers visuel post Tron qui caractérise les Enfers. Ce qu'il y a d'étonnant et probablement de plus réussi dans ce film, c'est la façon dont le cinéaste crée ce monde souterrain rappelant fortement celui de Tim Burton dans Beetlejuice où les morts sont obligés de faire la queue pour s'entretenir avec des fonctionnaires !
Techniquement intéressant mais raté la plupart du temps avec des séquences kitsch plombées par son acteur principal et de mauvais playback, Parking se suit finalement sans déplaisir puisque de nombreuses idées visuelles parsèment le film. Finalement on a plus l'impression de se retrouver devant un mauvais Lelouch ou un clip de Gilles Gabriel...
Trois places pour le 26 (1988) 12/20
« On part en chantant sur les escaliers, c'est joyeux, et au et à mesure que le film avance, la comédie s'éloigne ».
Spécialement écrit pour Yves Montand en 1975, Trois places pour le 26 nécessitait un budget conséquent que Jacques Demy ne parvenait pas à trouver d'autant plus qu'il désirait engager Delphine Seyrig et Isabelle Adjani. Il faudra attendre l'immense succès de Jean de Florette en 1986 pour qu'Yves Montand parle de ce projet à Claude Berri qui accepte finalement de financer le film de Jacques Demy. Dans cet ultime long métrage du cinéaste, les éléments autobiographiques de la vie d'Yves Montand s'imbriquent dans l'univers du metteur en scène. Jamais l'acteur n'avait alors dansé et chanté dans un musical au cinéma. On le sent d'ailleurs prendre un immense plaisir devant la caméra de Jacques Demy et s'y livre comme rarement. Dommage que la musique ait pris un sacré coup de vieux (les thèmes au synthétiseur concoctés par Michel Legrand). Les chorégraphies apparaissent peu inspirées, Mathilda May chante comme une casserole.
Trois places pour le 26 a connu un bide retentissant lors de sa sortie en 1988. Cela est bien dommage car les décors de Bernard Evein ne manquent pas d'imagination, les chansons signées Jacques Demy retrouvent parfois la magie des mots d'antan et l'ensemble, même si imparfait, demeure divertissant.