3h10 Pour Yuma
Le 27/03/2008 à 15:40Par Maxime Chevalier
L'insaisissable James Mangold revient avec un western solide, aux ficelles classiques mais pas caduques, porté par deux acteurs formidables : Russell Crowe et Christian Bale.
On le sait depuis maintenant quelques années, James Mangold est un touche-à-tout doué qui à défaut d'avoir réalisé un chef-d'œuvre mémorable propose toujours des films éclectiques. Avec lui, le spectateur en a pour son argent. Capable de réaliser un biopic élégant quoiqu'un tantinet lisse (Walk the Line, sur Johnny Cash), de construire un puzzle fantastique riche en twists inattendus (Identity), de montrer le meilleur de Stallone au cinéma (Copland) ou de raconter le triste cheminement existentiel de demoiselles fâchées avec l'existence (Une vie volée, que l'on préférera sous son titre US : Girls Interrupted), le cinéaste réussit à brouiller les pistes et œuvre dans tous les registres en remplissant toutes les missions de cahiers des charges bien remplis. Ne pas conclure qu'il s'agit d'un énième cinéaste impersonnel à la Ron Howard pressé d'encaisser son chèque ou de décrocher la statuette dorée: Mangold est juste un artisan avisé qui aime le cinéma dans toute sa diversité et ne porte aucun préjugé sur les sujets qu'il traite.
Avant de réaliser prochainement une œuvre de science-fiction (on l'attend déjà!), il propose présentement 3h10 pour Yuma, un western qui est bien le remake respectueux d'un film du même nom signé à la fin des années 50 par Delmer Daves. Pour ceux qui connaissent déjà l'original, il en reprend grosso modo les grandes lignes narratives. A quelques différences notables. Les deux acteurs principaux, Christian Bale et Russell Crowe, excellents comme d'habitude, remplacent Van Heflin et Glenn Ford et se livrent au même duel physique. Comme Daves, Mangold a la bonne idée de briser le manichéisme de base pour donner à voir les ambiguïtés de la limite ténue entre le bien et le mal et donne autant d'importance psychologique aux personnages masculins - qui ont du mal avec les codes virils - et féminins - qui n'ont pas envie de rester au statut de potiche domestique.
La vraie différence, c'est que la nouvelle version de 3h10 pour Yuma sort en pleine période de «Nouveau Western», genre remis au goût du jour par Kevin Costner (Open Range) et modelé par quelques stimulantes variations à l'instar de Trois enterrements (Tommy Lee Jones), Le secret de Brokeback Mountain (Ang Lee) et très récemment L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik). Alors que les cinéastes actuels essayent de réaliser des pastiches pour gratter le vernis des apparences ou de décortiquer des conventions tenaces pour les mettre à mal, Mangold, lui, répond par le classicisme. Pas un classicisme à la John Ford mais plus dans le sillage des westerns des années 50 à la Robert Aldrich (Vera Cruz) et Fred Zinnermann (Le train sifflera trois fois). Des fictions qui essayaient de concilier séquences spectaculaires et traitement subtil des personnages afin de toucher un public plus large et donc pas exclusivement masculin.
La question que pose Mangold est simple: est-il possible de réaliser un western dans cette tradition presque naïve en échappant au cynisme actuellement en vigueur? La réponse est oui si l'on en juge l'étonnante réussite de son opus qui ne méprise pas ses personnages, encore moins ses spectateurs. Ce souffle revigorant est accentué par les interprètes trop heureux d'endosser des contre-emplois, même si Russell a déjà prouvé par le passé qu'il aimait le genre (Mort ou vif, de Sam Raimi, film incroyablement sous-estimé). Les personnages secondaires, plus ou moins crapuleux, sont endossés par de sacrées trognes de cinéma. Parmi eux, il y a Ben Foster, remarqué dans la série Six Feet Under, qui réussit une fois de plus à jouer les méchants qui portent le mal sur leur visage. L'acteur pousse l'exercice si loin que certains n'hésiteront pas à le trouver presque cabotin. On répliquera qu'il est dans la démesure que réclame un tel personnage.
Mais, au-delà des lignes évidentes, Mangold qui a découvert le film original à l'âge de 5 ans et s'en est déjà servi d'inspiration pour réaliser son Copland, livre une réflexion extrêmement ambiguë sur l'héroïsme qui sied si mal à l'esprit US du moment où l'on a tant besoin d'icônes. C'est là que 3h10 pour Yuma révèle finalement sa vraie nature: faire d'un spectacle a priori conventionnel un objet moins lisse que prévu. Accessoirement, la forme fonctionne avec le fond. Et sur ce plan, on dira merci au chef-opérateur Phedon Papamichael et au compositeur Marco Beltrami qui donnent une fière allure au beau Scope de tonton Mangold. De quoi rassurer ceux qui pensaient que Impitoyable - qui date d'il y a près de quinze ans - avait sonné le glas d'un genre tombé en désuétude. Bien sûr, Clint a livré un chef-d'œuvre ultime mais ce n'est pas une raison suffisante pour oublier ce que ces disciples ont envie de proposer. Ici, il y a un tel plaisir de filmer et de tordre un genre qu'on ne peut pas jouer les puristes intraitables. En plus, vu la pauvreté actuelle de la production cinématographique, 3h10 pour Yuma ne démérite en rien. Au contraire: plus on y repense, plus il gagne en profondeur.