Adoration
Le 15/04/2009 à 20:09Par Elodie Leroy
Tout commence par une énigme, celle de Simon (Devon Bostick), un lycéen orphelin qui vit seul avec son oncle (Scott Speedman). Suite à des propos accusateurs tenus devant sa caméra par son grand-père à l'égard de son père, Simon invente sur Internet un passé sulfureux à ses parents, racontant que son père était un terroriste qui a envoyé sa mère dans l'avion avec une bombe placée à son insu dans son bagage à main. En un temps record, la communauté du chat on-line que Simon fréquente quotidiennement s'empare de l'histoire, témoignant au garçon son soutien, émettant des théories sur les motivations et la moralité du père, tandis que certains se prétendent survivants traumatisés d'un attentat qui ne s'est jamais produit. Le père de Simon était-il un monstre et sa mère une victime ? Faisant l'effet d'une bombe à retardement, son mensonge va faire basculer sa vie et celle de ses proches. Et peut-être faire émerger la vérité sur son passé familial.
Si les personnages d'Adoration possèdent tous un objet de fascination, le film, lui, nous capture dans ses filets dès ses premières notes de violon. A la manière d'un puzzle, le récit se tisse peu à peu en alternant le présent et les flash-backs, réels ou imaginés, jouant habilement sur les ellipses et les faux semblants pour entretenir un véritable mystère. Plus que jamais observateur du monde, Egoyan met en perspective l'histoire personnelle de Simon avec une réflexion pertinente sur les enjeux liés à l'Internet, en termes de communication comme de diffusion des idées ou des images. La démarche, guidée par un point de vue foncièrement moderne, ne cède en rien au simplisme ou à la diabolisation des communautés en ligne mais en décortique de manière expérimentale les mécanismes. Le débat idéologique des intervenants atteint à ce titre le mélange paradoxal d'extrême liberté d'expression et d'obsession du regard des autres qui caractérise ces espaces virtuels. Au coeur de l'histoire se trouve cependant la quête identitaire de Simon, adolescent intrigant par son besoin de se définir à travers un drame créé de toute pièce, touchant par sa soif de découvrir la vérité intime de ses parents. A travers le cheminement émotionnel du garçon, Atom Egoyan soulève la question de l'impact mystérieux du passé familial sur la construction de l'individu. A mesure que le noeud de l'intrigue se démêle, le jeu de rôles se confond avec la réalité et les failles des personnages se dévoilent au grand jour, qu'il s'agisse de Simon, de son oncle qui ne lui a peut-être pas tout dit, ou même de sa professeur (Arsinée Khanjian), femme espiègle que l'on devine elle aussi porteuse d'un lourd secret.
Une fois de plus, Atom Egoyan signe avec Adoration un film échappant à toute classification, imprévisible mais rigoureusement pensé. On y trouve un plaisir hypnotique similaire à celui que l'on pouvait ressentir devant Exotica, à savoir se laisser captiver par l'atmosphère envoûtante d'un film porté par une musicalité à fleur de peau, tout en reconstituant par-delà les notions du temps et de l'espace le puzzle de la vie et des émotions. Cinéaste indépendant et international s'il en est, Atom Egoyan prouve qu'il a su conserver une intégrité artistique inébranlable tout en délivrant une oeuvre résolument ancrée dans son époque. Entre onirisme et réalisme, Adoration déroute, fascine, éblouit par son intensité émotionnelle, suscitant chez le spectateur une implication croissante et une véritable curiosité de découvrir les zones d'ombre qui entourent les différents acteurs du drame. Des protagonistes interprétés par un ensemble de comédiens remarquables, entre Devon Bostick (Land of the Dead), innocent et énigmatique, Arsinée Khanjian (Exotica, Ararat), d'une authenticité bouleversante, ou encore Scott Speedman (Underworld), étonnamment attachant. Une oeuvre complexe et envoûtante signée par un cinéaste décidément grand.