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Interview : Atom Egoyan

Le 16/04/2009 à 23:58
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Interview : Atom Egoyan Dans les salles depuis le 15 avril, Adoration est le nouveau film d'Atom Egoyan, auteur d'Exotica, De Beaux Lendemains ou encore La Vérité Nue. Revenant vers un style plus proche de ses premiers films, Adoration tisse un récit complexe qui navigue entre différentes époques et points de vue pour se pencher sur la quête identitaire d'un adolescent qui cherche à comprendre son passé familial. Imprégné d'une atmosphère envoûtante, le film navigue entre onirisme et réalisme pour se doter d'une grande charge émotionnelle tout en portant un regard pertinent sur le monde d'aujourd'hui, envahi par l'Internet et ses extraordinaires moyens de communication.
De passage à Paris en mars dernier, Atom Egoyan a accepté de répondre à nos questions sur les motivations mystérieuses qui animent ses personnages, sa perception des nouvelles technologies, sa conception du cinéma.

Interview : Atom Egoyan

Filmsactu : D'où est partie cette histoire ?

Atom Egoyan : Je suppose que l'histoire vient de Simon. J'ai commencé à penser à Simon, à ce qu'il imaginait sur ses parents, à ce que j'étais à son âge, à ce que c'était de commencer à écrire des pièces avec une enseignante très encourageante. Alors que différentes choses émergeaient en moi, je suis tombé sur l'histoire de cet homme qui a mis une bombe dans le bagage à main de sa femme enceinte. Cette histoire est extrême. Tout cela a ensuite évolué dans ma tête. Mais j'ai aussi été très inspiré par ces jeunes qui ressentent le besoin de mettre en scène leur propre vie pour découvrir qui ils sont. Simon emprunte un chemin très curieux pour y arriver parce que son grand-père lui a en quelque sorte bloqué l'accès à son propre passé.

 

Imaginer son père en terroriste est une condamnation très forte...

L'opportunité lui est venue d'elle-même. Il a entendu parler de cette histoire et a soudainement eu cette idée. Or il se trouve que son enseignante comprend pourquoi. Il ne sait pas comment elle sait mais il commence à se sentir inspiré par elle. Il est probable que tout ce qui suit ne se serait pas produit si la professeur ne l'avait pas encouragé. C'est ce genre de moments dans la vie où les choses se passent pour des raisons que vous ne saisissez pas vraiment.

 

Les personnages semblent étrangement chercher la vérité à travers le mensonge. Comment expliquez-vous cela ?

Je ne parlerais pas de mensonge mais plutôt de duplicité, envers soi-même ou envers les autres. En fin de compte, comment gagner l'accès à certaines choses que ne sommes pas censés atteindre ? Il arrive qu'il ne soit pas suffisant d'être honnête. Il faut parfois se créer un camouflage ou un personnage. C'est peut-être une attitude ambiguë mais l'être humain a des besoins importants, et le plus important d'entre eux est de se connaître et de comprendre sa propre histoire. Sabine a une histoire très forte reliée à cet homme (NDLR : Tom, l'oncle de Simon) et elle veut avoir accès à lui, même si tout s'est produit il y a des années. C'est pourquoi, quand elle voit le garçon prendre conscience du caractère de cet homme, elle s'en mêle et commence elle aussi à se transformer, à se créer un personnage. Encore une fois, ce qu'elle fait est bien sûr très ambigu. Mais elle est perturbée et je ne pense pas que cette réaction soit irréaliste.

 

Interview : Atom Egoyan

 

Lorsqu'elle lui rend visite, elle apparaît masquée dans une tenue qui l'identifie culturellement. Peut-on rapprocher cette démarche de celle des internautes qui se créent des pseudonymes censés les associer à un groupe ?

C'est une très bonne remarque. Elle travaille cachée derrière cet anonymat et sa tenue devient effectivement une sorte d'avatar. Ce masque, qui est bien sûr purement décoratif, lui permet de se créer un camouflage et d'accéder à un espace dans lequel elle n'aurait jamais pu entrer autrement.

 

Pourquoi avez-vous appelé le film Adoration ?

C'est un mot qui me parle beaucoup. Il renvoie tout d'abord à la notion de sacré, de signe religieux. Je pense aussi que plusieurs des personnages sont l'objet d'une adoration. Il y a d'abord le père de Simon, en tant père absent mais aussi en tant que mari absent de Sabine. Il y a bien sûr la mère qui est aussi la soeur de Tom. Ils sont présentés dans le film comme des objets d'adoration, parfois de manière irréaliste. Ensuite, il y les objets matériels comme le violon, le rouleau. Il y a quelque chose de fétichiste dans l'attitude des personnages.

 

Le film parle aussi beaucoup de communication. Pensez-vous que l'Internet favorise ou remet en question la communication ?

Il est absolument incontestable qu'Internet est le plus formidable outil de communication jamais conçu. La question est plutôt de savoir ce que vous recherchez, ce que vous espérez trouver quand vous vous connectez. Il ne s'agit donc pas seulement de se connecter mais d'avoir conscience que vous le faites, sinon cela envahit votre vie et vous distrait. Le problème de toute technologie qui promet plus de contacts est qu'elle crée du même coup plus d'attentes de contacts. Si ces attentes ne sont pas comblées, cela engendre des frustrations. Maintenant que nous avons à disposition cet accès instantané et constant aux personnes qui nous sont proches, nous ne nous sentons plus obligés d'entretenir ce contact. Certains en viennent donc à se sentir isolés, chose qu'ils n'auraient pas forcément ressentie autrement. C'est d'ailleurs cela qui est étrange avec la technologie : rien n'est jamais assez rapide. Plus la vitesse est élevée, plus vous voulez que tout s'accélère. C'est fou, mais c'est ce qui se produit de manière générale avec toutes les technologies, pas seulement Internet.

 

Interview : Atom Egoyan

 

Selon vous, l'Internet est-il dangereux ?

Internet en soi n'est pas dangereux. Ce qui est dangereux, c'est la manière dont on peut en abuser et échouer à en comprendre le potentiel. Mais en soi, ce n'est pas dangereux. C'est surtout un extraordinaire outil de démocratisation qui nous donne accès à des choses dont nous n'aurions jamais entendu parler. Donc oui, Simon se comporte de manière irresponsable. Mais en réalité, il se positionne avant tout comme quelqu'un qui veut amuser la galerie. Il ne cherche pas à changer le cours de l'Histoire, il ne menace personne. Il pourrait le faire et c'est pourquoi il faut garder un oeil sur ce genre de site (NDLR : le chat que fréquente Simon), mais je ne pense pas que les déséquilibrés soient engendrés par l'Internet. Nous sommes juste davantage conscients de leur existence.

 

Il y a un énorme gap entre ceux comme les jeunes qui font un usage frénétique d'Internet et certains politiciens qui diabolisent cet outil.

Cela ne rime à rien de diaboliser quelque chose qui fait aujourd'hui partie intégrante de notre quotidien. Avant, on diabolisait la télévision et de toute façon, on diabolise toujours les nouvelles technologies. Le mal ne provient pas de la technologie en elle-même mais de ceux qui l'utilisent à mauvais escient ou qui ne la comprennent pas.

 

Dans l'histoire, les internautes s'emparent de l'histoire de Simon à une vitesse fascinante...

Oui. Avec Internet, il se crée des communautés qui ne se seraient jamais fondées autrement. Dans la vie réelle, vous n'auriez jamais eu une communauté de gens pleurant une tragédie qui ne s'est jamais produite. Parce que si ces gens avaient dû prendre leur voiture pour se rendre à une réunion à ce sujet, ils auraient eu le temps de se rendre compte que l'idée était stupide. Mais sur Internet, parce que tout est instantané, parce qu'ils ont une réponse immédiate, les gens ne prennent pas toujours en considération le côté absurde des choses. Vous avez donc ce groupe qui ne va certainement pas perdurer plus d'une soirée, mais pendant cette soirée, ces personnes forment une communauté. Encore une fois, tout est une question de vitesse, un élément qui met les gens dans un état de griserie. L'un entend parler de cette histoire, l'autre était ou prétend qu'il était dans cet avion, un autre se prétend traumatisé par la découverte de cette bombe, etc. Certains utilisent cette histoire pour justifier leur propre malaise dans la vie. D'ailleurs, dès qu'il y a un potentiel de victimisation sur le Net, les gens le saisissent au vol et se font passer pour des victimes. Aux Etats-Unis, il y a eu le cas d'une fille qui a raconté qu'elle avait été violée. Les auteurs présumés ont finalement été innocentés mais elle est allée sur Internet et a supplié les gens de croire à son histoire. Elle a eu des réponses par milliers. Internet n'a rien changé dans sa vie mais pendant ce moment précis, elle a peut-être eu la sensation que justice lui était rendue. Cependant rien de tout cela n'est permanent, le côté éphémère est l'essence même de l'Internet. Pour en revenir à Simon, il ressent ce besoin de parler et pendant toute la période où les internautes débattent de son histoire, cela détourne son attention et il se sent très excité. Mais au final, cela ne résout en rien son problème. Il lui faudra faire un voyage physique pour y arriver.

 

Interview : Atom Egoyan

 

Pensez-vous qu'Internet redéfinit la notion d'identité culturelle ?

Oui, parce que tout devient plus fluide. Tout peut être partagé de différentes manières. On peut imaginer que cela menace certains types d'identité culturelle. Tout dépend de ce que vous entendez par le mot culture. On peut parler aussi de culture avec ce groupe de victimes, même si elle n'est pas durable. C'est une culture éphémère qui a noué ses propres liens et agit selon ses propres lois.

 

Un peu comme les groupes sur Facebook ?

Exactement.

 

Avez-vous personnellement l'expérience des chats et des forums ?

Oui mais ceux que j'ai expérimentés était sous forme de texte. Ce que j'ai imaginé dans le film (NRLD: des dizaines de personnes communiquant simultanément en vidéo) n'est probablement pas réalisable. A la limite avec huit ou neuf personnes, ce serait possible. Mais avec davantage d'intervenants, tout deviendrait très confus. Vous ne sauriez pas à qui donner la priorité. Donc ce que vous voyez dans le film est imaginaire, c'est une métaphore des chats écrits.

 

Comment avez-vous travaillé le personnage de Simon avec Devon Bostick ?

Devon n'est pas du tout comme son personnage. Dans la vie, il est plutôt timide. C'est une vraie performance qu'il fait. C'était une bénédiction de le trouver parce que j'avais des exigences précises sur ce à quoi il devait ressembler. Mais il a fait un énorme travail sur lui-même. Je me souviens qu'à Cannes, juste avant la conférence de presse, il s'est mis à pleurer. Je me suis dit que cela devait être difficile pour un garçon de cet âge d'avoir soudainement une telle pression sur le dos.

 

A-t-il eu besoin de préparer le rôle ?

Pas vraiment. Vous savez, Devon est un jeune de son époque. Il sait tout sur Internet et sur les chats. En fait, nous avons plutôt fait des expériences pratiques. Nous sommes allés dans son lycée pour organiser des chats entre étudiants et voir comment ils réagissaient. Ils se sont comportés de manière très naturelle. D'ailleurs, plusieurs des jeunes que vous voyez dans le film proviennent de ces classes. Devon en a aussi bénéficié, il est devenu encore plus à l'aise avec ce genre de conversations.

 

Interview : Atom Egoyan

 

Plusieurs histoires sont racontées en parallèle dans le film, dont la structure n'est pas linéaire. Ce procédé de narration est-il naturel pour vous ?

Absolument, surtout lorsqu'il s'agit d'aborder des périodes différentes de la vie des personnages. D'autant plus que l'on a affaire à un traumatisme, avec toutes les effets qui en découlent. Pour moi, c'est le moyen le plus fluide de raconter une histoire. C'est une construction qui me vient naturellement parce qu'elle a quelque chose d'organique. L'histoire ne me vient jamais de manière linéaire. Cette construction est aussi une manière d'entrer dans le subconscient du personnage, et donc du spectateur. Ici, une grande partie de l'histoire s'articule autour de l'imagination de Simon. Mais même dans mes films les plus ambitieux, comme De Beaux Lendemains, il s'agit toujours de fixer le temps. Je crois vraiment en la théorie de Tarkovski sur le cinéma qui serait une manière de sculpter le temps. Je pense que les scènes sont un peu comme des phrases musicales qui ne doivent pas nécessairement être présentées de manière séquentielle.

 

Vous n'utilisez pas de story-board ?

Non. Mis à part pour mon tout dernier film, Chloe, parce qu'il comporte des effets spéciaux et des scènes qui nécessitaient d'être composées en amont. En général, si une scène le nécessite vraiment, je fais éventuellement quelques croquis. Mais la plupart du temps, je ne fais pas de story-board. Tout se passe dans votre tête et si vous travaillez avec la même équipe, celle-ci vous connaît par coeur et peut anticiper ce qu'il faut filmer.

 

Est-il aujourd'hui plus difficile qu'avant de faire des films indépendants ?

Non, c'est même plus facile. La question est de savoir s'ils pourront être vus. Faire des films n'est pas un problème, il y a toujours des ressources. Et si vous ne le avez pas, vous pouvez toujours tourner en numérique et mettre le film sur Internet. Le plus difficile est d'attirer l'attention. Bien sûr, je ne parle pas de films à gros budget où il faut réunir un plateau, des décors, des costumes. Si vous faites un film à petit budget, vous pouvez faire appel à vos amis et à tous ceux qui peuvent participer autour de vous. Mais ensuite, même si le film est bon, il faut pouvoir le montrer en festival. Sur ce plan, la compétition est de plus en plus forte.

 

Interview : Atom Egoyan

 

Quels sont les réalisateurs qui vous ont inspiré ?

Bergman, Bresson, Buñuel, Kubrick, Cassavetes... Il y en a beaucoup.

 

Et parmi les réalisateurs actuels, y en a-t-il qui ont attiré votre attention ?

Il y en a plusieurs. J'adore les scénarios de Charlie Kauffman, comme Adaptation ou Dans la Peau de John Malkovich. Il vient de faire un film, Synecdoche New York, que j'ai beaucoup aimé.

 

Quels sont vos prochains projets ?

Je viens de finir de tourner mon nouveau film il y a tout juste trois jours. Il s'appelle Chloe et il sera prêt pour l'automne prochain. Le tournage s'est déroulé à Toronto et c'est la première fois que j'utilise un scénario que je n'ai pas écrit moi-même. C'était une expérience intéressante.

 

C'était un challenge ?

Oui. Surtout que j'utilise un langage cinématographique différent, avec un autre genre d'acteurs. C'est le remake d'un film français qui s'appelle Nathalie (NDLR : de Anne Fontaine, avec Emmanuelle Béart).

 

Propos recueillis par Elodie Leroy








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