Balada Triste
Le 21/06/2011 à 09:56Par Aurélie Vautrin
"Un conte espagnol sur l'amour, le désir et la mort. Une métaphore de l'Espagne, pays profondément marqué par son histoire où la tragédie se confond avec l'humour". Voilà comme Alex de la Iglesia résume son dernier bébé sanguinolent. Un conte, d'accord, mais un conte pour adultes consentants. Une énorme claque dans tous les sens du terme. Esthétiquement magnifique, mise en lumière par le directeur photo de Crimes à Oxford, qui pousse une nouvelle fois les contrastes à fond et procure à l'ensemble une atmosphère à la fois fantomatique et douloureusement ancrée dans le réel. Car Balada Triste est à la fois sadique, cruel, délicieusement drôle. Brouillon aussi, sans aucun doute. Parfois sans queue ni tête, parfois sans fil rouge mais en roue libre. Qu'importe, Balada Triste réussit la gageure de marquer au fer rouge. Et de galvaniser les peurs les plus primaires, avec ces trois freaks aux sourires à glacer le sang. Vous aviez peur des clowns, de leur maquillage blanc acier et de leurs lèvres rouge sang ? Ca ne va pas s'arranger. Dès la première séquence, qui emprunte autant à Inglourious Basterds qu'à Machete version clown vengeur, on sait qu'Alex de la Iglesia ne nous épargnera rien. Comment, en une phrase malheureuse et un regard chargé de folie, un gamin sans enfance va voir son existence exploser en petits morceaux. Comment, en chacun de nous, sommeille un être fait de violence, une bête de foire qui n'a plus d'humain que l'apparence. Et Alex de la Iglesia a appliqué sa constatation sur tous ses personnages, les deux clowns, la trapéziste, la dresseuse de toutous, le dompteur d'éléphant malheureux, le gamin perché qui pense qu'il va voler. Le bel ange blond est finalement maso, le clown alcoolique et violent, notre héros n'est qu'une bête en mal d'amour qui basculera dans le néant en un quart de seconde. Dès lors, Alex de la Iglesia n'épargne personne, et offre une vision tout bonnement sans espoir de la nature humaine à des spectateurs secoués comme dans un grand 8.
Pourtant, dans cette fable grotesque parsemée d'hommages au surréalisme, Alex de la Iglesia tente de revenir sur le passé de son pays, se servant de la petite histoire pour raconter la grande. Il mêle alors images d'archives et extraits de films, le visage de Boris Karloff à des événements historiques. Difficile de démêler le vrai du faux, de savoir où s'arrête le spectacle et où commence le témoignage, difficile même de se situer dans le temps. Mais Alex de la Iglesia s'en contrefiche comme de sa première coupure, et finit par passer son histoire et ses personnages dans un shacker. Séquences trash et scènes de sexe très crues s'accumulent à une vitesse vertigineuse, et le sourire a disparu des visages des spectateurs pour laisser place, de temps en temps, un petit rire nerveux pour expliquer pourquoi ils ont détourné les yeux de l'écran. Et comme si ça ne suffisait pas, au paroxysme de la folie, Alex de la Iglesia en rajoute dans la démesure et le burlesque, sans souci de vraisemblance, de logique ou de vérité. Jusqu'à cette séquence finale baignée d'émotion, poignante, presque inattendue après son festival à la boucherie de l'asile du coin. Balade Triste, c'est un vrai bordel, cruel, brutal, l’addition improbable des Nerfs à Vif + La Mort aux Trousses + Machete + De l'eau pour les éléphants mixés à l'ambiance Un chien Andalou. Un film profond et profondément original, dans lequel le cinéaste démontre à la fois son génie de réalisateur et de metteur en scène, et son mépris total des conventions et de la bonne morale. Un film complètement fou. Mais que c'est bon, parfois, un peu de folie dans ce monde de brutes.
Critique de Balada Triste publiée le 10 juin 2011.