Burn After Reading
Le 09/12/2008 à 12:42Par Yann Rutledge
Notre avis
Sans prendre de détour, la dernière cuvée des frères Coen Burn after reading est une déception. Déception du point de vue de ce que nous étions en droit d'attendre de la part des frangins qui nous ont offert (le grandiose !) Fargo ou Intolérable Cruauté (exercice de style de screwball comedy mineur mais parfaitement maîtrisé), déception parce que le très noir et remarquable No Country for Old Men laissait présager un retour très inspiré après un Ladykillers de triste mémoire et un segment pour Paris, je t'aime oubliable. Ecrit à peu de chose près en même temps que No Country for Old Men, tourné dans la foulée de ce dernier, Burn after reading est l'occasion pour les Coen de s'entourer d'une sacrée brochette d'acteurs dont l'habituelle Frances McDormand (épouse de Joel Coen pour rappel), leur copain George Clooney et des nouveaux venus tels que Brad Pitt, John Malkovich, Tilda Swinton, Richard Jenkins et J.K. Simmons. Un casting à donner le tournis mais qui ne peut s'empêcher de surjouer et d'en faire des caisses pour souligner le décalage du film, mais qui pêche à véritablement susciter l'empathie.
Remercié à cause de son problème de boisson, Osborne Cox (John Malkovich qu'on a rarement connu aussi survolté) décide d'écrire ses mémoires d'ex-analyste de la CIA. Excédée par son mari maintenant sans emploi, Katie (l'inflexible Tilda Swinton) divorce dans l'espoir d'officialiser sa liaison extra-conjugale avec Harry Pfarrer (George Clooney) un marshal fédéral marié. De son côté, Linda Litzke (Frances McDormand) une employée de club de remise en forme n'a que deux choses en tête : s'offrir une chirurgie esthétique et trouver son prince charmant. Elle passe des annonces sur Internet sans réaliser qu'à ses côtés le gentil Ted Treffon (Richard Jenkins) est fou amoureux d'elle. Lorsqu'un CD contenant des informations destinées au livre de Cox tombe accidentellement entre les mains de Linda et de son collègue Chad Feldheimer (Brad Pitt, déjanté), tous deux décident de tirer parti de cette aubaine. Tel est le point de départ d'une série de quiproquos, d'événements malheureux et incontrôlés où se croiseront tous ces personnages qui frôlent chacun à leur façon la stupidité.
Burn after reading forme le troisième volet d'une collaboration avec Clooney commencée en 2000 avec O'Brother et suivie en 2003 d'Intolérable Cruauté, que les deux frangins intitulent la Trilogie des idiots. Le premier était l'occasion de se rapproprier l'Odyssée d'Ulysse dans l'Amérique de la Grande Dépression et le second de contemporaniser les codes de la screwball comedy à la Capra (les années 30 encore), le décalage qui s'opérait dans ces deux films permettait finalement d'adhérer sans trop de soucis aux univers proposés sans que le jusqu'au-boutisme des situations ne nous perturbe. Burn after reading ne se pose en revanche ni en hommage ou en réappropriation d'aucune légende ou genre cinématographique. En soit c'est plutôt une bonne nouvelle, celui-ci ne pouvant en fin de compte que ressembler à Fargo ou à The Big Lebowki de part leur capacité à détourner par l'absurde un univers pourtant réaliste. Et pourtant, les deux frangins ne parviennent jamais à atteindre les réussites ci-dessous. Sans doute parce qu'ils ne savent sur quel pied danser : l'humour noir de Fargo ou le délire de Big Lebowski ?
Conséquence directe : pas une seule seconde nous n'adhérons à l'absurdité des personnages. On se délecte certes dans un premier temps d'un Brad Pitt surexcité dans son short en lycra, d'un Malkovich ponctuant chacune de ses phrases d'un Fuck ou d'un Clooney plus beauf que beauf (chaîne en or qui brille en évidence), mais l'absence de profondeur ou d'une once d'humanité empêche finalement d'adhérer à leurs rocambolesques tribulations. William H. Macy dans Fargo ou John Goodman dans The Big Lebowski n'en étaient pas exempts et pourtant s'avéraient tout aussi absurdes. Seul le personnage campé par Richard Jenkins échappe à cette extravagance et est paradoxalement le plus sommairement dessiné, comme s'il avait été abandonné en cours de route par les frères Coen.
Trop bavard, Burn after reading donne l'impression jusqu'à sa dernière minute de n'être qu'une introduction avant un final qui devrait forcément être explosif. Or le film se conclu sur un queue de poisson nous laissant un goût amer dans la bouche et très peu de séquences mémorables (à part celle surprenante du duo Clooney/Pitt dans la penderie). Comme si exténués d'écrire le réflexif No Country for Old Men (sur l'absurdité et les paradoxes de la nature humaine), Joel et Ethan Coen avaient écrit Burn after reading pour se vider l'esprit. Ce sentiment de désinvolture s'en ressent jusque dans la photographie habituellement maîtrisée chez les frangins, Roger Deakins (leur chef op habituel depuis Barton Fink) trop occupé sur Revolutionary Road de Sam Mendes étant remplacé par le talentueux Emmanuel Lubezki (Ali, Les Fils de l'Homme) qui n'assure malheureusement que le minimum syndical.
Burn after reading : une fausse note pour mieux rebondir par la suite ? On y croit vraiment et pour cause puisque les frangins Coen s'éloigneront du gratin hollywoodien pour leur prochaine comédie (A Serious Man) et s'entoureront de comédiens venus du théâtre (Michael Stuhlbarg) et d'éternels seconds couteaux (Richard Kind, Adam Arkin, Fyvush Finkel). L'occasion rêvée pour un nouveau souffle, non ?