Le Petit Fugitif
Le 11/02/2009 à 11:23Par Sabrina Piazzi
Pierre fondatrice dit du cinéma vérité, Le Petit Fugitif renaît de ses cendres afin de marquer les nouveaux spectateurs, petits et grands. D'une folle modernité, ce film phare et emblématique ayant inspiré John Cassavetes, François Truffaut et Jean-Luc Godard, surprend par sa liberté de ton, sa beauté plastique, son noir et blanc tranché et la remarquable interprétation de Richie Andrusco alias Joey, le petit fugitif.
Plus de cinquante ans après, Le Petit Fugitif est de retour dans les salles. Emblématique, le film réalisé par Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley s'inscrit dans l'anthologie du cinéma au même titre que Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini pour le néoréalisme, Les 400 coups de François Truffaut et A bout de souffle de Jean-Luc Godard pour la Nouvelle Vague.
En cette année 1953, un vent nouveau souffle sur le cinéma. Tandis qu'Ingmar Bergman impose un style narratif épuré avec son chef d'œuvre Monika, un petit film est réalisé en totale indépendance à Coney Island par une équipe réduite, une caméra miniature 35 mm mise au point afin de faciliter les prises de vue, et un petit garçon de 7 ans qui en est le protagoniste. Ouvertement autobiographique, Le Petit Fugitif s'inspire des souvenirs d'enfance de Morris Engel, ancien enfant des rues de Brooklyn, fils d'une mère veuve et frère de trois sœurs, souvent livrés à eux-mêmes. Considéré comme un des maillons fondateurs du cinéma indépendant américain, nombreux sont les cinéastes qui allaient prendre ce nouveau courant en marche comme John Cassavetes avec Shadows.
Une liberté de ton plane sur Le Petit Fugitif où les dialogues sont souvent réduits à leur strict minimum, la caméra se contentant d'être la plus proche du jeune protagoniste (choisi par Ray Ashley au milieu de Coney Island lors des repérages), se plaçant la plupart du temps à hauteur de son regard et plongée dans la foule de Coney Island. L'harmonica accompagne les déambulations de Joey, pistolet en plastique à la ceinture comme les westerns télévisés dont il est friand. L'action a beau se résumer à Joey au stand de hot-dogs, Joey ramenant des bouteilles consignées, Joey faisant du poney, Joey engloutissant un Dr Pepper, etc... le public est conquis.
Joey, ce petit garçon de 7 ans, erre seul dans la cohue. Persuadé d'avoir tué son frère lors de tirs à la carabine, il prend la fuite en prenant le métro et se réfugie dans le monde animé de la fête foraine de Coney Island pour oublier son « crime ». Il n'est d'ailleurs pas impossible de penser que Victor Erice s'en soit inspiré pour une scène culte de son film L'Esprit de la ruche, celle où la petite Ana Torrent découvre sa sœur aînée allongée sur le sol, visiblement sans vie. Cette expérience initiatique où l'absence du père (caractérisée par le moniteur d'équitation) et la perte progressive de l'innocence sont marquées par l'enchaînement des jeux et la persévérance (au jeu du chamboule-tout), font apparaître un petit adulte débrouillard et tourmenté. Un petit sourire marqué par l'absence de dents de lait, laisse immédiatement place à la peur, d'où le désir de Joey d'enchaîner rapidement les attractions.
Du point de vue technique, la réalisation se rattache à la captation documentaire, vivante et instinctive, enregistrant le naturel de son comédien à l'instar de ce court instant où, s'entraînant au base-ball, le jeune comédien glisse à terre tel Buster Keaton, touche la caméra avec sa balle et regarde directement le réalisateur derrière l'objectif. Formellement libre et instantanée, cette scène met également en valeur ce nouveau sentiment de persévérance auquel Joey se retrouve confronté pour la première fois dans sa courte existence. De plus, certains plans sont renversants de beauté comme celui du réveil de Joey sur la plage ou de la promenade du petit garçon sous les planches de la jetée.
Au-delà de l'histoire, les trois réalisateurs issus de la photographie et du journalisme, mettent en relief une réalité économique en présentant une famille modeste où la mère de famille, récemment veuve, vit chichement avec ses deux enfants dans un appartement exigu de Brooklyn. Loin des archétypes répandus à l'époque (on se souvient du pamphlet de Pleasantville), les deux frères passent l'été dans les rues ou dans le terrain-vague voisin avec leurs camarades issus de la même classe sociale. Enfant sans père, Joey n'a que son frère aîné comme modèle. Ses repères disparaissent au moment où il croit être responsable de la « mort » de son aîné.
En 1953, Le Petit Fugitif est refusé par l'ensemble des distributeurs. Seul Joseph Burstyn, un indépendant ayant déjà distribué aux Etats-Unis Rome, ville ouverte et Paisa de Roberto Rossellini ou Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, est séduit par le film qui reçoit plus tard le Lion d'Argent au Festival de Venise en 1953 et qui sera nommé pour l'Oscar du meilleur scénario l'année d'après.
Le Petit Fugitif est un film passionnant et incontournable dans l'Histoire du cinéma. François Truffaut l'a toujours avoué, sans ce film, jamais Les 400 coups et A bout de souffle n'auraient existé. Ressortant pour les vacances de février nous ne saurons que trop vous conseiller d'emmener vos petites têtes blondes avec qui vous prendrez un énorme plaisir de spectateurs.