Lucky Luke : Le mythe réinventé
Le 09/10/2009 à 15:59Par Arnaud Mangin
Lucky Luke n'est pas adapté, il est littéralement réinventé par un James Huth trouvant une opportunité en or de rendre hommage au thème du héros dans ce métissage franco-américain qui forge son univers depuis son premier film. Direction artistique soignée digne des plus grands westerns et croisement original entre comédie burlesque et analyse en profondeur de la psyché trouble du personnage, font de Lucky Luke un divertissement sortant des sentiers battus.
Découvrez ci-dessous la critique de Lucky Luke
Lucky Luke, c'est lui qui a le truc pour nous étonner ! A l'instar des paroles de la chanson du générique du célèbre dessin animé inspiré de la bande dessiné, Lucky Luke, le film que nous avons eu la chance de découvrir en avant-première, surprend à bien des égards. Notamment sur le pari fou de faire du personnage un caractère tout autre que celui des planches de Morris, plus fouillé, plus ancré dans les possibilités d'une aventure sur grand écran. Le réalisateur James Huth et le comédien Jean Dujardin qui ont collaboré ensembles sur le scénario ont tenu compte d'une chose essentielle : ils livrent une œuvre de cinéma, avec ses impondérables, ses variantes de format et surtout ses nombreuses opportunités. Mieux encore, avec la chance de construire une comédie d'aventure mais surtout un vrai western, le film est également l'occasion pour le cinéma français de signer un film phare traitant frontalement le mythe du héros dans tout le romantisme, le rêve mais la tristesse que cela évoque. Un complément à l'œuvre de Morris, en quelque sorte... Des choses bien éloignées des priorités hexagonales...
''Pour les puristes, on trahit. Pour les fans, on adapte !'' James Huth
En effet, le réalisateur nous a prouvé à maintes reprises qu'il n'était pas homme à suivre les standards, privilégiant les règles pures du divertissement avec lequel il a grandit plutôt qu'un nombrilisme assommant. Finalement l'un des rares cinéphiles qui fait du cinéma... Lucky Luke s'est en tout cas imposé comme un défi d'écriture puisque pour les besoins d'une telle aventure sur grand écran, il était possible et surtout nécessaire de transcender un héros qui n'était pas réellement fait pour ce format. Un caractère stoïque, quasi immobile dans son flegme et poseur acrobate improbable qui faisait tout le charme de dessins impossibles et qui siéent à merveille à l'aspect statique des BD. Là où beaucoup se trompent encore dans le transfuge de tels héros au cinéma, Lucky Luke ose l'adapter. Mieux, il le réinvente. On se souvient de l'essai Terence Hill pas du tout assumé (juste un Trinita qui changeait de nom) ou pire, Les Daltons, qui le plaçaient littéralement au dernier plan, parce que sans doute jugé trop fade. Le nouveau film pense enfin au héros... Au vrai héros. Luke, d'une part, puisque c'est quand même son nom dans le titre du film, mais surtout aux héros (au pluriel) dans tout ce qu'ils incarnent. Totalement rare en France, voire jamais fait jusque là, celle nouvelle adaptation joue la carte du reboot, tendance très hollywoodienne. C'est un peu notre Batman Begins ou Casino Royale à nous.
Outre ceux-ci, les exemples et comparatifs sont extrêmement nombreux, de part la volonté du film de s'inscrire dans une thématique universelle régulièrement employée au cinéma, mais surtout parce que James Huth est un cinéphile qui connait bien ses classiques, en particulier le cinéma de Leone - pour l'anecdote, il possède un exemplaire original du scénario d'Il était une fois en Amérique. Ce qui est amusant, c'est que la démarche originelle de la BD lorgnait plus vers certains traits Eastwoodiens, du type Le Bon, la brute et le truand : un mystère, un pseudonyme, une ombre (qui réagit moins vite) et un charisme faisant bondir les chapeaux de quelques bandits effrayés et cabotins. Pour cette version, on s'orienterait plutôt du côté d'un Il était une fois dans L'Ouest où, à icône et mutisme un peu équivalent, le héros interprété par Charles Bronson tirait toute sa force d'une colère enfouie suite à un traumatisme le renvoyant à sa propre enfance. Etonnant, donc - comme la chanson, encore - mais fascinant est ce nouveau Luke. John Luke, plus précisément, puisqu'il doit son surnom de Lucky à sa chance légendaire depuis qu'il a survécu au carnage durant lequel son père et sa mère sont morts. Une scène d'introduction particulièrement forte et inattendue dévoilant également son métissage : il doit son amitié envers le peuple indien puisque sa mère en était une.
Dès lors, le film, le personnage et son réalisateur bénéficient d'une occasion en or d'approfondir ce mythe du héros évoqué plus haut, révoqué à lutter sans cesse et en vain contre le mal avec son pacifisme, puisqu'il refuse de prendre la vie d'un être humain. S'il désarme, décoiffe ou déshabille parfois ses adversaires d'un coup de révolver, c'est pour la farce, certes, mais également pour approfondir cette notion alambiquée de la justice à une époque où l'on tuait sans discuter, jusqu'à ce qu'il remette lui-même en cause son propre rôle dans l'ouest sauvage. Et oui, comment mettre en danger un personnage quasi immortel (personne ne tire plus vite que lui, même en l'attaquant de dos), si ce n'est en l'atteignant psychologiquement ? Déjà plus étonnant, mais d'une logique implacable, Huth va également chercher dans la bande dessinée à titre général. Dans l'européenne, évidemment (on décèlera ça et là quelques clin d'œil sympas, dont un au Crabe aux pinces d'or) mais aussi dans les comics américains. Si certaines planches illustrant le chapitrage clé du film rappelle parfois la propagande choc des couvertures des EC Comics et leurs couleurs criardes, on ne pourra pas ne pas penser à Batman, dont les dernières adaptations au cinéma abondaient également dans ce sens. Le rapport de dualité entre le mal être intérieur et la fanfaronnade de façade est évidente, et donc la création d'un alter égo (John Luke / Lucky, Bruce Wayne/ Batman). En poussant le vice un peu plus loin, on pourra même considérer la parole soudainement donnée à Jolly Jumper, après que John ait commis son premier meurtre, comme un délire schizophrène ou une incarnation de la conscience - un peu borderline, certes, il lui conseille de reprendre la cigarette - comme le serait un Gemini Cricket. Théorie qui pourrait se confirmer par le fait qu'il soit le seul à l'entendre et que, contrairement à la BD, l'animal ne parle jamais seul où à un autre cheval.
Une curieuse et intéressante redécouverte, en tout cas, prenant le parti d'extrapoler un personnage plutôt que de le singer vulgairement, ou pire, le mépriser. En tout cas, James Huth et Jean Dujardin aiment leur héros, ça se voit tout au long du film, en prenant même le parti de sacrifier ses ennemis de toujours, les Daltons, pour ne pas lui faire d'ombre. Une autre occasion de penser à Batman Begins où le Joker s'était absenté (ou Les Tortues Ninja dans lequel ne figurait pas encore Shredder)... Néanmoins, puisque l'on parle de méchant, même s'il n'est pas question de lui dans cet article, on ne peut que saluer le traitement offert également à Pat poker, ennemi à la hauteur du héros, s'incarnant dans un univers propre où costumes, armes, accessoires, gestuelle, quartier général et même son gigantesque engin mécanique lui offrent un univers propre des cartes à jouer (là, on pense forcément un peu au Joker... décidemment) élevant le film dans une élégante démesure. Après tout, que serait un bon gentil sans un bon méchant ? La boucle est bouclée, le ceinturon tient pour de bon...
Première diffusion de l'article le 21 septembre 2009