M, de Lee Myung-Se
Le 30/12/2008 à 17:02Par Elodie Leroy
Véritable ovni cinématographique, M confronte le genre du mélodrame avec celui du thriller aux relents lynchiens, pour explorer la mémoire d'un écrivain raté hanté par le fantôme de son premier amour. Jouant avec une certaine jubilation sur les mises en abyme visuelles et narratives, M emprunte des chemins alambiqués pour conter une histoire finalement assez simple, même si les interprétations en seront multiples. Une histoire d'amour étrange sublimée par une mise en scène qui met à contribution tout le langage cinématographique pour créer du sentiment. Lee Myung-Se révèle un sens hors du commun de l'atmosphère qui n'a d'égal que l'esthétique à couper le souffle et la poésie des décors, et c'est pourquoi le film fascine de bout en bout en dépit de ses quelques baisses de rythme et d'une fin qui s'étire un peu en longueur. Une oeuvre expérimentale et envoûtante signée par un auteur décidément en marge.
Parce qu'on aime bien, chez FilmsActu, vous dénicher quelques curiosités cinématographiques, profitons de cette fin d'année pour mettre en avant un inédit coréen, le très déroutant M de Lee Myung-Se. Le réalisateur n'est pas inconnu dans nos contrées et déclenche de sacrées controverses à chacune de ses sorties. Sa parodie des polars à la John Woo, Sur la Trace du Serpent, peut certes se targuer d'être l'un des premiers films coréens à être parvenu jusqu'à nos salles obscures, non sans avoir reçu au passage le grand prix au Festival du Film Asiatique de Deauville en 2000, mais avait déjà quelques détracteurs féroces en dépit d'un accueil critique favorable. Son long métrage suivant, l'incroyable Duelist, attirait plus d'un million de spectateurs dans les salles obscures coréennes mais déclenchait des réactions extrêmes de par chez nous, entre les uns qui applaudissaient son esthétique chiadée et sa mise en scène très poétique de l'amour à travers des combats à connotation érotique, et les autres qui acceptaient très mal de voir les affrontements au sabre explicitement détournés pour être mis au service d'une romance. Qu'à cela ne tienne, Lee Myung-Se radicalise ses positions en délivrant un film encore plus inclassable. L'objet fait une fois de plus polémique, mais pour notre part, nous l'avons trouvé fascinant en dépit de ses imperfections.
Le teaser nous avait déjà scotchés. Baignées dans une ambiance surnaturelle, laissant furtivement entrevoir quelques décors splendides, ces quelques images annonçaient la couleur quant à la tonalité déroutante et la narration alambiquée du métrage. M, une simple lettre qui résume tout, qui évoque à la fois le nom du principal protagoniste, Minwoo, et du fantôme qui le hante, Mimi, mais aussi quelques notions clés du récit telles que la mémoire, le meurtre, le mystère. Mélangeant sans crier gare la réalité (si tant est que ce concept soit pertinent ici) avec les rêves paranoïaques des personnages, les souvenirs fugaces du principal protagoniste avec le roman qu'il tente désespérément d'écrire, M nous emmène dans les méandres de l'esprit de Minwoo (Kang Dong-Won), un écrivain de romans de gare hanté par son premier amour, Mimi (Lee Yun-Hee). Jusqu'alors profondément enfouie (ou assassinée) dans son inconscient, cette dernière ressurgit subitement dès lors que le jeune homme tente de prendre la plume pour coucher enfin sur papier l'histoire qui l'obsède depuis son adolescence. Mais l'intrigue et les événements qui nous sont contés dans le film sont-ils réellement vécus par Minwoo, ou assiste-t-on aux hallucinations du fantôme d'une jeune fille qui refuse d'accepter sa propre mort ? A moins qu'il ne s'agisse du délire paranoïaque de l'épouse, Eun-Hye (Kong Hyo-Jin), qui assiste impuissante à ce qu'elle croit être la plongée de son mari dans la folie.
Véritable étrangeté dans le paysage très formaté du cinéma coréen, M confirme le goût de Lee Myung-Se pour les expérimentations formelles, quitte à surprendre avec des changements de ton brutaux. Ainsi, tandis que l'humour - souvent très naïf - surgit aux moments les plus inattendus, un simple échange dialogué peut subitement s'imprégner d'une ambiance de thriller ou au contraire d'une profonde mélancolie, selon le point de vue exprimé. Au vu d'un tel film, on ne s'étonne guère de la réputation de caractériel que le cinéaste s'est forgée sur les tournages. Usant et abusant des jeux de répétition et de mises en abyme aux relents lynchiens, Lee Myung-Se brouille les pistes et jongle avec les atmosphères. Au point qu'il n'est pas interdit de voir dans certaines scènes une simple démonstration de virtuosité. M n'en est pas moins une oeuvre d'une grande cohérence artistique, témoignant d'une réelle maîtrise du cadre et du moindre mouvement de caméra, alliant subtilement le son et les images pour créer du sentiment, tout le langage cinématographique étant mis à contribution pour traduire les humeurs des personnages. Il faut dire que l'esthétique de l'oeuvre est véritablement à couper le souffle, qu'il s'agisse de ses partis pris sur les couleurs, avec ses noirs intenses et ses rappels de mauve, ou même de ses décors de studio très atmosphériques, de l'appartement parsemé de miroirs à la ruelle sombre et onirique où se trouve le bar où tout a commencé.
Ne nous méprenons pas, M est aussi un pur mélodrame porté par un casting glamour, à commencer par Kang Dong-Won (Sad Eyes dans Duelist) qui se révèle sous un jour nouveau à travers ce rôle instable, faisant au passage quelques clins d'oeil amusants au personnage de Jack Nicholson dans Shining. Le casting féminin se révèle lui aussi à la hauteur, entre Lee Yun-Hee, attendrissante en jeune fille ingénue et mélancolique, et la toujours excellente Kong Hyo-Jin, plus sage qu'à l'accoutumée. Parmi les faiblesses de l'œuvre, mentionnons le présence de quelques longueurs ça et là, ainsi qu'un final un tantinet larmoyant (mais très coréen) qui empêche paradoxalement un peu l'émotion de décoller. A défaut d'être bouleversé, on reste en tous cas bel et bien fasciné du début à la fin par cette étrange romance entre un homme et son fantôme, ou entre un écrivain et son personnage, selon le choix que l'on fera entre les multiples interprétations possibles.
Encore inédit en France, M est sorti en DVD coréen dans le courant de l'année 2008, dans une superbe édition dotée d'un transfert splendide, d'un DTS de bonne tenue et d'une sympathique galerie de bonus comprenant la bande originale très ambiante du film.
Ci-dessous, le teaser du film, suivi d'une galerie de photos.