Ne te retourne pas
Le 03/06/2009 à 12:57Par Yann Rutledge
Notre avis
L'incompréhension cannoise passée, le temps donnera raison à Ne te retourne pas. Le second film de Marina de Van, conspué par la critique et boudé par le public lors de sa sortie en salle (200 000 spectateurs pour un film budgété à 12 millions d'euros et deux stars françaises en tête d'affiche... on appelle ça un bide), n'était pas fait pour être présenté au Festival de Cannes. Trop intime, sans doute aussi trop bâtard (un véritable melting pot de genres antagonistes) et pas assez clairement estampillé fantastique, pour être pleinement dompté à sa première vision, Ne te retourne pas demeure pourtant l'une des propositions de cinéma (puisque l'expression est à la mode) les plus atypiques produites au sein du système populaire français.
De Van croit tant au pouvoir du cinéma qu'elle pousse jusqu'à reprendre à son compte ce qui paraissent, pour certains, être d'insupportables défauts. Secouer le spectateur afin de pleinement rendre compte de la perte de repère de Jeanne (Sophie Marceau). On pense en premier lieu à l'interprétation qui sonne comme à côté de la plaque du mari de Sophie Marceau (interprétation cohérente lorsqu'on réalise que le bonhomme est devenu un étranger pour la demoiselle) ainsi qu'au visage hybride Marceau-Belluci (l'avoir conçu de façon trop parfaite et réaliste aurait été dans le sens contraire de la logique de la cinéaste) qui ont tout deux profondément dérangé ces spectateurs qui, lorsqu'ils sont confortablement assis dans leur fauteuil, rechignent à être désarçonnés. Ce malaise spectatoriel qui paraît difficilement acceptable au premier abord sert pourtant pleinement le film.
Marina de Van y creuse par ailleurs, de nouveau après le troublant Dans ma peau, ses obsessions sur le corps, le corps qui se transforme, le corps qui devient étranger à soi-même. Elle partait dans son premier film à la découverte de son corps et les limites de celui-ci en se cisaillant la jambe. S'automutiler afin de découvrir son soi intérieur. Plus axé sur l'atmosphère, Ne te retourne pas se présente davantage, et de façon anachronique, comme ces films fantastiques entre mélo et psychanalyse à la mode dans le Hollywood des années 40 (La Féline, L'Aventure de Madame Muir...). Ce n'est pas tant la conclusion qui importe que la manière dont on nous y conduit. La quête identitaire opérée par Jeanne compte ainsi un paquet d'images - parmi lesquelles le visage hybride et le corps déformant de Marceau - qui marqueront à coup sûr durablement la rétine, et ce quand bien même le spectateur n'aurait pas été réceptif au film.