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Entretien avec Marina de Van

Le 07/11/2009 à 12:54
Par
Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas Quel est le point de départ de Ne te retourne pas ?
La peur d’être démasquée. Cette angoisse que ce qu’on a de plus familier nous devienne un jour étranger, se révèle autre – y compris soi-même. Jeanne voit se transformer peu à peu tout ce qui constitue son univers proche. Son expérience commence par des choses aussi prosaïques que le changement de position de la table de la cuisine, ou la variation de la couleur d’un oeil. Et puis, de petites variations en petites variations, c’est toute la réalité qui se « démasque ». Son environnement bascule dans l’inconnu – avec son propre visage, qui se déforme et s’altère avant de devenir autre. Ces étapes m’intéressaient d’ailleurs particulièrement : ce moment où elle accueille en soi de l’étranger, sans y succomber - comme si deux visages luttaient en un, pour s’imposer.

Cette transformation, vous la mettez en scène concrètement, en utilisant deux actrices pour le même rôle…
Oui, si on avait voulu raconter la même histoire de manière réaliste, on aurait vu cette femme, incarnée par une seule et même actrice, se regarder dans la glace le matin en se disant : « Mais qu’est-ce que j’ai aujourd’hui ? Je ne me sens pas bien… Ca doit venir de mon enfance… ». Moi, je voulais matérialiser en images l’angoisse de sentir qu’il y a quelque chose en soi qu’on n’a pas élucidé. Dès que je peux concrétiser une idée psychologique, ça me plait ! La transformation du visage de Jeanne raconte qu’elle est en train de vivre violemment quelque chose qui touche à son identité, à son « vrai visage ». C’est la métaphore de ce qu’elle éprouve, mais cela correspond aussi à un fait très réel. Les apparences sont tellement mélangées à nos émotions et à nos croyances que notre visage et celui de nos proches fluctuent souvent d’un jour sur l’autre.

Dans ma peau scrutait un corps. Ici, vous scrutez des visages…
Les deux films mettent en scène un personnage angoissé dans son rapport à lui-même, comme à un objet non identifié. Qu’est-ce qui est moi ? Qu’est-ce qui est autre, étranger à moi ? Qu’est-ce qui fait la limite entre moi et les autres ? Et à travers cela, qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est vrai ? Dans Dans ma peau, le personnage faisait l’expérience de ces questions par le biais de l’automutilation, de la confrontation à son corps. Dans Ne te retourne pas, j’avais envie d’aborder cette angoisse de manière plus large et plus accessible – plus violente aussi. On peut toujours regarder son corps un peu en retrait. Avec l’altération du visage, on n’a aucun point d’extériorité possible, juste ce cauchemar de voir son visage - ou celui de ceux qu’on aime - s’altérer. On touche aussi à quelque chose de tabou. Qu’une table ne soit pas placée comme on le pensait, tout le monde s’en fout. Mais qu’un visage se transforme et altère notre sentiment de familiarité, ça c’est vraiment troublant. D’ailleurs, c’est une expérience quotidienne, élémentaire. Rien qu’à travers le vieillissement, on fait tous cette expérience…

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Malgré la violence de l’expérience que fait Jeanne, on reste en totale empathie avec elle … On ne la regarde jamais comme un cas clinique.
Oui, parce qu’on est toujours de son point de vue à elle. Par goût, je n’aime pas les points de vue flottants ou changeants au cinéma. J’aime m’installer dans un personnage, comme si j’étais chez moi ! Adopter un point de vue extérieur à Jeanne, en se plaçant par exemple du point de vue de ses proches, cela aurait coupé l’émotion, ça l’aurait transformée en folle. Je voulais qu’on partage son expérience et ses émotions quand elle se dit que l’intégralité du monde qu’elle voit pourrait ne pas être réelle… Je n’aime pas trop les vignettes pathologiques – d’autant moins que je crois que nos expériences d’angoisse les plus fondamentales sont très proches des thèmes de délire des gens malades.

Le parcours de Jeanne est violent mais il s’en dégage néanmoins une grande douceur…
L’angoisse et le désir de vérité de Jeanne sont violents, elle veut voir le vrai et elle inflige des distorsions douloureuses à sa perception pour gagner cette connaissance. Moi, j’ai besoin de reconnaître cette violence des émotions et du trouble, parce que je vis les choses ainsi. Mais ensuite, la violence n’est pas le rapport qui m’intéresse. Ni avec mes personnages, ni avec le spectateur. Je n’aime pas l’agressivité, ni les effets choc. Je me fonde sur mes émotions à moi. J’essaye de les faire partager au spectateur, de l’installer dans mon personnage et qu’il s’y sente en « sécurité », sans peur d’être trahi ni pris en otage. La douceur que vous évoquez vient aussi de l’importance de l’amour dans le film : si Jeanne est touchante dans ses métamorphoses, c’est aussi parce que les visages aimés qu’elle a perdus sont pour elle l’objet d’une quête tout aussi forte que celle de la compréhension de ce qui lui arrive.

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Sans avoir le passé singulier de Jeanne, tout le monde peut se reconnaître dans son trouble identitaire…
Oui, ce passé était surtout une manière d’accentuer une expérience que nous faisons tous. Même sans avoir d’aussi lourds secrets dans son enfance, on peut tous ressentir cette sensation de s’être construit sur une image tronquée de sa famille, de sa filiation, de soi-même. On a tous plusieurs visages en nous. Pas besoin d’être schizophrène pour sentir ça. Il suffit d’être vivant ! Une identité se construit sur tout un jeu d’identification – ce qu’on a voulu être, ce qu’on a cru que les autres voulaient que l’on soit... En l’occurrence, cette petite italienne a voulu être l’enfant perdue de la femme qui l’adoptait parce qu’elle satisfaisait ainsi à la fois le désir de cette femme ne pas avoir perdu son enfant, celui de ses parents de ne plus entendre parler d’elle, et son propre désir d’être plus qu’une gamine : une petite surdouée littéraire, qui a écrit un livre à 8 ans. C’est d’ailleurs justement au moment où elle échoue à écrire un roman que l’identification de Jeanne à ce faux destin, à cette image construite, entre en crise.
Une crise qui se matérialise dans "le trafic de chair" qu’opère le film…
Oui, c’est ce phénomène d’altération qui m’intéressait, avec toutes les cassures que cela implique, pour tous les visages. La métamorphose s’incarne dans des étapes à la fois belles et un peu monstrueuses où le visage comporte un peu de chacun – un peu de Monica, et un peu de Sophie pour le personnage féminin. Le visage est au début presque animal dans sa dissymétrie, sa bizarrerie, alors qu’il est la réunion de deux visages harmonieux et superbes. Cette « disgrâce » passagère était très importante pour moi, car elle évoque la souffrance d’être enfermé en soi, dans un visage qui nous échappe. Mais je ne voulais pas que ces altérations prennent trop de place non plus, afin de ne pas provoquer de répulsion, ni de malentendu. Je voulais que l’on puisse s’identifier à Jeanne, non qu’on la voie comme un monstre.

Et la transformation de Jeanne en petite fille quand elle retourne vers son enfance?

Là encore, c’est le plaisir purement cinématographique de matérialiser par l’image un phénomène intérieur. J’aurais pu montrer le personnage en train de se souvenir, de regarder de vieilles photos, ou de retomber en enfance tout en restant dans sa peau de femme de 40 ans. Mais voir Jeanne vraiment enfant permet de traduire directement ses émotions, la manière dont elle se sent et se souvient en tant que femme adulte, dont elle revit un traumatisme. Au-delà de la métaphore, là encore il y a une réalité toute simple : on se sent souvent redevenir enfant à travers un geste, une émotion, une sensation, une honte... On y reconnaît une vie lointaine, enfouie.
Là aussi d’ailleurs, la cassure et la disharmonie étaient importantes. On représente visuellement toujours le retour à l’enfance sous la forme d’un rajeunissement gracieux, avec l’effacement des dommages de l’âge, en accéléré… Mais si on y pense, pour transformer un adulte en enfant de façon rapide, il faudrait lui casser les os, lui retirer de la chair, le faire rentrer par la violence dans un espace corporel trop petit, comme dans une petite boite ! On est plus proche de la compression de César que de l’effet de flou poétique ! Ce côté douloureux et cassé est ainsi illustré dans le film, par la femme boiteuse et rétrécie, le corps déformé de Jeanne en Italie.
Une femme qui se prend, à tort ou à raison, pour une autre… Le cinéma a déjà beaucoup joué avec cette figure du double, mais en général, la quête d’identité conduit à l’extraction du « mal », de la fausse identité. Ici, les deux s’imbriquent…
J’y tenais beaucoup, oui. Pour moi, il était impensable que Jeanne (Sophie) s’en aille définitivement du personnage apaisé et lucide de Monica, sans laisser de trace, comme un parasite dont on se débarrasse… C’est tellement naïf de croire qu’on peut se débarrasser de l’identité sur laquelle on s’est construit, aussi fictive soit-elle. Jeanne se dirait donc : « J’ai cru que j’étais un super écrivain, je ne vais plus le croire et je vais être bien dans mes pompes… » ? C’est crétin ! Le désir qu’on a de s’identifier à quelqu’un qu’on n’est pas émane de toute façon toujours de nous – de nous aussi en tout cas, même si on en hérite, par d’autres. Tout ce temps où Rosa Maria a été Jeanne, elle ne peut pas l’effacer comme une erreur de jugement. Elle doit accepter que Jeanne fera à jamais partie d’elle. Mais cette réconciliation intime est aussi ce qui lui donnera un véritable accès à l’écriture. Car là aussi, si l’écrivain véritable était bien la petite Jeanne, Rosa-Maria a quand même nourri à travers elle son propre élan d’écriture.

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Il y a confrontation, puis acceptation de cette identité morcelée…
Oui, c’est-à-dire qu’elle n’a pas vraiment le choix ! Quand toutes les apparences ont sombré, quoi faire ?! Plutôt que de se figer dans la contemplation de ce visage qu’elle ne reconnaît plus, Jeanne s’en détourne pour agir, pour chercher la vérité de son histoire.
Plus le film avance, plus les métamorphoses qui surviennent autour de Jeanne et en elle font ainsi l’objet d’un glissement. Elles ne sont plus vraiment des évènements, elles deviennent plus visiblement des métaphores, surgissant au gré des émotions et des découvertes de Jeanne, et de sa remémoration. Le personnage rejoint en ce sens un peu la mise en scène ! Elle accepte que ses émotions colorent ses perceptions, sans se sentir détruite ni forcément questionnée par le caractère surnaturel de ces changements. Elle comprend qu’elle est l’actrice de son propre film, et que toutes ces images sont le mode d’être des idées et des sensations qui la bouleversent, mais qui la guident aussi vers un monde et une identité apaisés.

Ici, c’est la vivante qui vient réclamer son dû. Alors que généralement dans ce genre de relation duelle, c’est la morte…

Oui, c’est vrai, c’est un peu l’histoire d’une vivante qui n’arrive pas à exister dans le corps d’une morte et qui tente un coup d’état ! Cette inversion me plait beaucoup. Comme le personnage de Dans ma peau, Jeanne cherche là où elle est vivante, là où est sa vie.
Et ça aussi, c’est une chose que nous connaissons tous. Beaucoup d’automatismes en nous font qu’on se sclérose, qu’on se sent souvent comme un zombie, prisonnier d’une identité acquise, que les autres nous renvoient aussi. Et en effet, toutes les parties de nous ne peuvent pas parler en même temps, ce serait la tour de Babel ! Alors régulièrement on se redécouvre, on se rend compte qu’on a négligé une part de soi-même, qu’on l’a étouffée, laissée mourir, et qu’elle nous manque pour vivre heureux.
Pour devenir adulte, tout le monde a enterré au moins une personne : soi-même enfant. Et je ne connais d’ailleurs personne qui n’ait pas l’impression d’avoir trahi cet enfant. L’accident de voiture mortel du film, qui signe ici la séparation concrète des deux fillettes, n’est qu’une façon de traduire l’idée de cet événement traumatique, réel ou imaginaire, que nous pourrions tous isoler dans notre passé et analyser comme le fameux tournant qui nous a contraints à choisir notre identité – et qui nous a tués en partie. Tout le monde a ce genre de souvenir, de moment décisif. Vrai ou faux, peu importe.

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Comment s’est fait le choix du couple d’actrices pour incarner Jeanne ?
Au départ, le visage composite de Jeanne ne m’évoquait personne en particulier. Plutôt des images assez abstraites et plastiques, des tableaux de Bacon, des effets de vitesse… Je pensais beaucoup à ces profils d’immeubles que l’on a détruit pour les reconstruire, où l’on voit encore le papier peint, l’emplacement des meubles, et aussi les échafaudages. Les vestiges du vieux et le début du neuf… Le mélange : destruction, construction…
Le choix du casting s’est fait plus tard. J’avais envie de Sophie Marceau et de Monica Bellucci, dont je projetais bien les deux tempéraments dans les deux temps du film. Outre d’excellentes comédiennes, il me fallait ici un équilibre parfait dans la beauté, pour éviter tout malentendu sur l’angoisse de Jeanne – cela ne devait pas être l’histoire d’une femme belle qui devient laide, ou belle ! Sophie et Monica formaient un couple idéal pour ça.

Elles ont accepté tout de suite ?
Oui. Mon producteur a posté à leurs agents respectifs un scénario et un dvd de mon premier film. C’était important pour moi qu’elles voient mon premier film, qui n’était pas glamour, pour qu’il n’y ait pas de malentendu - qu’elles sachent qui je suis et qu’on soit là pour la même chose. J’ai su très vite que le projet leur plaisait. Elles avaient aimé à la fois le scénario et mon premier film. Et elles voulaient me rencontrer. J’étais terrorisée en allant au premier rendez-vous avec chacune d’elle, je ne me sentais pas du tout d’attaque !

Comment s’est passé le travail avec elles ?
Je n’ai pas tellement d’expérience de direction d’acteur. Je me suis surtout dirigée moimême ! Alors je me demandais si je serais capable de diriger des femmes de ce niveau d’expérience et de notoriété, si j’aurais l’autorité pour, assez de légitimité à leurs yeux. Et si je saurais trouver les mots. Mais j’ai tout de suite senti un respect, une écoute, chez mes deux actrices, qui m’ont mise en sécurité. Ça me fascinait de les voir aussi attentives et réceptives. Elles semblaient me faire une confiance absolue ! Je me sentais ainsi une très grande liberté. Tout en étant très impliquées, elles n’étaient pas dans le contrôle, ne jugeaient pas mes choix, elles proposaient sans jamais rien refuser de mes propres désirs et demandes. Je n’ai jamais travaillé avec des actrices aussi faciles de caractère. Jamais de mauvaise humeur, jamais un problème… Elles sont très douces, très délicates et valorisantes. L’intérêt qu’elles manifestent aux autres communique une énergie presque grisante… J’étais dopée !

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Le spectateur, qui voit la transformation de deux visages si populaires fait à sa manière la même expérience que Jeanne : l’altération du familier…
Oui, en prenant deux icônes, je décuplais l’émotion du procédé. Transformer une inconnue, tout le monde s’en fiche ! Eventuellement même, on ne voit pas tout à fait la transformation. Mais s’il s’agit du visage d’une femme aimée par le public – ce n’est pas tellement qu’elle soit belle qui compte, c’est qu’elle soit aimée –, le geste relève de la transgression, d’une violence qui mobilise nos émotions. En tout cas, il gagne en clarté et en impact. La transgression de toucher au visage est beaucoup plus forte si le public connaît et aime ce visage.

Comment avez-vous abordé le passage d’une actrice à l’autre ?
Sophie et Monica ont des tempéraments de jeu très différents. Sophie est très mobile, elle joue beaucoup avec son corps, ses mouvements sont rapides, nerveux. C’est très difficile d’attraper son regard, son visage. Elle est toujours en course, fuyante, comme une nature inquiète, un peu farouche ou très pudique, dont je me sens très proche. Monica, elle, est très différente, plus hiératique, très offerte. Elle joue de façon très minimale, moins réaliste, et elle s’appuie d’abord sur ses yeux. C’est le regard qui guide, chez elle, et non le mouvement. C’est l’expressivité de ses yeux. Son visage immobile évoque une Joconde, une énigme qui m’était un atout précieux pour le mystère du personnage dans la partie italienne du film.
C’était surtout très excitant pour moi d’essayer d’unir les deux univers de jeu, a priori inconciliables, de Sophie et de Monica, pour en faire un seul personnage. Pour des raisons de planning, on a commencé par tourner les scènes avec Monica. C’était un peu une galère de faire jouer Monica sans savoir ce qu’allait faire Sophie ! D’autant plus que Monica jouait le personnage de Sophie plus tard. Du coup, je me suis retrouvée à diriger Monica en essayant d’imaginer le jeu de Sophie ! Puis à diriger Sophie avec le jeu de Monica dans la tête ! Globalement, j’ai demandé à Sophie de ralentir beaucoup dans les vingt dernières minutes où elle est là. De faire beaucoup moins de mouvements, de moins bouger la tête, de moins battre des paupières ou plisser les yeux, de respirer plus lentement. Il fallait travailler à adoucir la transition entre la pile électrique et la Madone ! Mais j’ai surtout essayé de faire des jeux de rappels dans la manière de filmer, dans le découpage de certaines scènes. Et de faire confiance à l’identité intrinsèque du personnage. Monica et Sophie avaient très envie de jouer l’une avec l’autre. C’était l’une de leurs motivations à faire ce film, et cela m’a beaucoup aidée à travailler l’unité du personnage.

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
Comment expliquez-vous leur magnétisme de star ?
Je crois que c’est la force de leur vie intérieure. La beauté ne suffit pas à captiver le regard, je ne le crois pas. Plus on est vivant et présent à tout ce qui passe, plus cela s’imprime sur l’image. Monica et Sophie sont très présentes à elles-mêmes, et aux autres. Elles ont une grande qualité d’écoute, elles créent en permanence des passerelles entre elles et les autres. Tout cela fait qu’on se sent concerné par leurs beautés, par elles – qu’elles nous touchent. Un visage avec lequel on ne se sent pas directement en rapport, il ne nous intéresse pas longtemps. Sophie et Monica ont justement, chacune à leur manière, une forte capacité à nous impliquer dans l’image qu’on regarde d’elles... On se sent regardé à son tour, on a envie de participer à ce courant électrique.

La mère est la seule qui affiche d’emblée le « bon » visage : celui de la mère de Rosa Maria… Une mère assez terrifiante, d’ailleurs…
La mère est le premier objet d’amour, la première personne à qui on veut plaire. En tant que femme, elle est aussi un objet d’identification ou de distinction, voire de rejet. Elle a forcément une place centrale dans la construction d’une identité. Ici, elle représente ma haine de l’enfance, un objet d’amour si aveugle qu’il en devient mutilant, et toutes ces missions que nos parents nous attribuent quand on est enfant : « Toi tu seras une grande ceci, toi un grand cela… ». Mais toutes ces missions qu’on reproche à ses parents de nous avoir données, on les as choisies aussi, et c’est ce que représente la responsabilité partagée du mensonge évoquée par le film, à la fin. J’ai chargé la mère du mensonge, c’est-à-dire de l’échange des enfants, mais j’ai aussi un peu rebasculé cette responsabilité sur Rosa Maria. Le désir de la mère rencontre le désir de l’enfant, y compris dans sa part malsaine.

Interview de la réalisatrice Marina de Van à propos de Ne te retourne pas
La mère est la seule dont le visage se transforme d’un coup…
Oui. D’abord il fallait bien varier les plaisirs, sinon on se lasse… Mais surtout, cela me permettait de mettre en valeur le sens commun de l’expression « révéler son vrai visage ». Je voulais que le changement de visage de la mère ait cette connotation fielleuse. Car elle porte le mensonge, elle le génère. Elle est quelqu’un qui bluffe, c’est une joueuse qui a besoin du peps et du risque du mensonge. Quand sa fille suspecte qu’elle lui ment, son vrai visage advient dans un éclat de rire, par un morphing assez brutal. Je voulais que le rire « fissure » le visage, comme l’outrance du bluff de son attitude trahissait soudain aux yeux de sa fille tout ce qu’elle voulait lui cacher. Malgré tous ces faux-semblants, l’amour de la mère est réel et le film raconte aussi un coup de foudre entre une enfant et une femme. Pour ne pas perdre l’amour de cette femme qui la subjugue, Jeanne va rester dans le mensonge. Et si la mère craint la vérité, c’est aussi parce qu’elle craint le désamour. Le mensonge est donc ce qui donne une légitimité à un amour authentique. La mère est un personnage fort mais qui n’a pas beaucoup de scènes pour exister. Il me fallait une actrice qui ait l’énergie de s’imposer en quelques plans d’une manière indélébile. Avec Brigitte Catillon, cette force de personnalité s’exprime immédiatement. Elle dit trois mots et on se dit que c’est quelqu’un de pas ordinaire !

Et le frère, qui donne ses traits à son mari ?
Ah oui… Le très talentueux musicien français, Krishna Levy, m’a dit : « C’est un film sur l’inceste, où l’on apprend avec qui on a le droit ou non de coucher. » ! Ça m’a fait rire. Ce n’est pas faux !
C’est-à-dire jusqu’où on est différent de l’autre pour avoir le droit de coucher avec lui…
Oui, je n’y avais pas pensé, mais oui, c’est juste. Le personnage du frère est très important dans le film, en tout cas. C’est à mes frères que j’associe moi-même l’amour et la beauté de l’enfance. C’est donc ainsi que je l’ai conçu pour mon héroïne. Pour moi, le frère représente à la fois le complice et le témoin de notre enfance, la preuve qu’elle a existé telle qu’on l’a vécue, le garant d’une certaine vérité. C’était donc la meilleure relique d’une enfance dont la perte travaille sourdement Jeanne, au point que cet amour perdu, ce frère perdu, lui revienne vingt ans plus tard sous les traits d’un homme qu’elle épouse ! Dans mon esprit, le frère et la sœur de cette famille italienne étaient très proches, dans un environnement dur, peu aimant. Il fournissait le visage masculin de l’amour. Andrea Di Stefano incarne d’ailleurs ce personnage de façon très émouvante. Il a beaucoup de présence et de talent, sa prestation est magnifique.

Quant aux pères, ils brillent par leur absence…
Euh… Oui, honnêtement, je ne sais pas quoi faire des pères. Je ne sais pas quelle place leur donner dans la famille. Je suis plus à l’aise quand ce sont des pièces manquantes. J’espère que mon père ne m’en voudra pas… En grandissant, Rosa Maria prend en tout cas de plus en plus les traits de son vrai père, adultérin, et c’est aussi pour l’aveu muet de ses traits qu’elle est chassée. J’aimais beaucoup cette idée que le visage soit le lieu où s’affiche le péché – quoi de plus tentant, dès lors, que de l’effacer ? Cela donnait une piste supplémentaire pour comprendre ce thème du visage, qui se transforme pour montrer une vérité qui n’est pas dite - qu’on a été puni d’avoir énoncé.





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