Notre jour viendra
Le 14/09/2010 à 18:42Par Yann Rutledge
Notre avis
Découvrez ci-dessous la critique de Notre jour viendra
Du premier long-métrage de Romain Gavras, figure emblématique avec Kim Shapiron (Sheitan, Dog Pound) du collectif Kourtrajmé, on s'attendait à absolument tout, mais pas un instant à une telle preuve de maturité. En l'état, Notre jour viendra aurait pu avoir été mis en scène par un vieux briscard, qui, avec une vingtaine de films à son actif, n'aurait plus rien à démontrer à quiconque. Le film fait effectivement preuve d'une liberté de ton rare - surtout dans cinéma français - qui ne craint jamais le mélange des genres. Notre jour viendra risque de fait de ne pas faire l'unanimité. Le co-fondateur du collectif s'était jusqu'alors surtout illustré aux travers de clips cherchant habilement, même s'il s'en cache bien, à susciter la polémique que beaucoup taxèrent rapidement de puérile et déraisonnable. On se souviendra des casseurs de banlieue encagoulés du clip Stress, du journal filmé A Cross the Universe sur la tournée de Justice aux Etats-Unis et, plus récemment, du clip Born Free pour M.I.A. et de son génocide des roux. [1] Néanmoins la violence provocatrice de ses clips s'est muée pour son premier essai au cinéma en une violence sourde, au bord de la rupture.
Le racisme anti-roux qui était déjà au cœur de son clip pour M.I.A. n'est au final ici qu'un maigre prétexte pour conter l'exode vers une terre promise de Rémy, un jeune homme paumé, mal dans sa peau, mal dans son corps, interprété avec justesse par Olivier Barthélémy. C'est la rencontre avec Patrick, un vieux psy incarné par l'effrayant Vincent Cassel, qui mettra le feu à la poudrière. En surmontant la médiocrité dans laquelle il s'était enfermé, Rémy n'hésite plus à extérioriser ses désirs refoulés jusqu'au point d'autodestruction. Sans idéal précis, le jeune homme n'a d'autre révolte que celle de s'affirmer. De ce road trip aux premiers abords initiatique, Patrick se dessine comme un vampire jouissant non seulement du plaisir d'exercer son pouvoir sur un être fragile mais également du plaisir d'incarner pour ce dernier l'être idéal et d'être aimé à ce titre. C'est moins la volonté insurrectionnelle de ces deux hommes, paumé l'un tout autant que l'autre, qui fascine Gavras que l'ambiguïté de leur relation, entre fascination de l'autre, amitiés masculines et homosexualité latente.
Notre jour viendra s'impose ainsi comme un film de sensations au point de tendre, au fil de cette quête identitaire, dans une abstraction toute mesurée. La fuite vers l'ouest en direction d'une terre promise se transforme en chasse éperdue sur un champ de bataille. Le final évoquera immanquablement Le Désert rouge de Michelangelo Antonioni, Gavras parvenant à dévoiler les tourments intérieurs des deux hommes à travers une abstraction de décors industriels pourtant bien réels. L'Amour à mort.
[1] Dans un tout autre ordre, on compte également le clip de The Age of the Understatement pour The Last Shadow Puppets et son imagerie fantasmée d'un communisme soviétique encore puissant.