Rabia
Le 27/05/2010 à 17:41Par Elodie Leroy
Produit par Guillermo del Toro, ce troisième long métrage de Sebastián Cordero dépeint la destruction des rapports humains dans une société malade à travers la condition de deux immigrés sud-américains dans l'Espagne d'aujourd'hui. Mélange de huis clos, de thriller voyeuriste et de drame romantique, Rabia séduit par son univers oppressant, sa mise en scène chargée de fantasmes et son interprétation habitée.
Découvrez ci-dessous la critique du film Rabia
Critique Rabia
Réalisateur de Ratas, Ratones, Rateros et de Crónicas, Sebastián Cordero nous revient avec Rabia, mélange de genres atypique qui met en scène deux immigrés sud-américains dans l'Espagne d'aujourd'hui. Après une mise en place centrée sur la liaison secrète entre Rosa (Martina Garcia), domestique dans une famille bourgeoise, et José-Maria (Gustavo Sanchez Parra), ouvrier de chantier, un accident vient bouleverser à jamais leur existence : une altercation entre José-Maria et son patron provoque la mort de ce dernier. Dès lors, l'homme devient hors-la-loi et décide de se cacher à l'insu de son amante dans le grenier crasseux de la demeure des Torres, où travaille la jeune femme. A travers les causes du drame, liées au manque de respect de deux hommes envers Rosa, et la réaction de José-Maria, qui n'envisage pas une seule seconde de prouver le caractère accidentel du drame, tout le poids de la condition sociale de ces deux personnes considérées comme la lie de la société apparaît avec cruauté, cependant que le film se transforme en huis clos allégorique sur la destruction des rapports humains dans une société malade.
Véritable personnage du film, la demeure des Torres propose une vision foncièrement pessimiste de l'espace social. Il y a ceux qui se font servir et il y a ceux qui triment pour servir les autres. Et puis il y a toute la pourriture qu'on ne voit pas, qui doit rester cachée, la dégradation physique de José-Maria allant de pair avec la désunion qui se révèle peu à peu, comme une maladie honteuse, au sein de la famille Torres. Flirtant à plus d'une reprise avec le thriller aux accents oniriques - on décèlera quelques influences de Guillermo del Toro, producteur du film -, Sebastián Cordero ne se lasse pas de filmer son décor et d'en dévoiler les recoins les plus sombres, d'en déterrer les cadavres enfouis symbolisés par les rats morts. La maison se confond aussi avec l'espace mental de José-Maria qui se mue peu à peu en animal primitif, assistant en silence (ou presque) au triste quotidien de sa bien aimée. A ce titre, la scène de la dératisation s'impose comme l'une des plus impressionnantes du film en nous plongeant dans une ambiance à la limite du fantastique tandis que José-Maria se débat contre les produits toxiques dans cette demeure gangrénée par une violence sourde.
L'acteur Gustavo Sanchez Parra accomplit une véritable performance d'acteur en jouant sur le mimétisme avec le rat, ses postures animales s'opposant de manière radicale à la présence évanescente et gracieuse de Martina Garcia, révélation du film. Si l'on pourra reprocher à Rabia d'offrir un dénouement un peu convenu à l'histoire d'amour entre Rosa et José-Maria (le symbole final manque un peu de subtilité), la mise en scène chargée de fantasmes de Sebastián Cordero se révèle inspirée jusqu'à la dernière minute, brillant tout particulièrement dans les moments les plus glaçants par l'emploi judicieux du hors champ, comme pour suggérer l'absence de prise des personnages sur leur destinée. Le cinéaste équatorien s'impose décidément comme un talent à suivre de près.