The Grand Budapest Hotel : la leçon d'esthétique de Wes Anderson [Critique]
Le 26/02/2014 à 12:11Par Romain Duvic
The Grand Budapest Hotel : la critique du film
Propos : The Grand Budapest Hotel retrace les aventures de Gustave H, l’homme aux clés d’or d’un célèbre hôtel européen de l’entre-deux-guerres et du garçon d’étage Zéro Moustafa, son allié le plus fidèle. La recherche d’un tableau volé, œuvre inestimable datant de la Renaissance et un conflit autour d’un important héritage familial forment la trame de cette histoire au cœur de la vieille Europe en pleine mutation.
"Dans The Grand Budapest Hotel, le cinéaste dandy pastiche les années 30"
Si le dandysme était un genre cinématographique, Wes Anderson en serait sans aucun doute le roi indétrônable. Hotel Chevalier, À bord du Darjeeling Limited ou encore Moonrise Kingdom, nombre de courts et longs-métrages du cinéaste partagent à la fois une esthétique fascinante, des dialogues léchés et des personnages maniérés, et cultivent dans le même temps une certaine superficialité. Après Paris, l'Inde et la Nouvelle-Angleterre, Anderson adapte cette fois son modèle à Zubrowska, un pays fictif d'Europe Centrale, que lui ont inspiré les écrits de Stefan Zweig. Mais plutôt que d'axer son récit sur la vague totalitariste qui menace la nation, contexte historique dans lequel le romancier autrichien rédigea la majeure partie de son œuvre, le réalisateur texan choisit de placer au cœur de son film un hôtel rose bonbon tout droit venu de son univers enfantin. En guise d’ouverture, on remonte ainsi le temps, via un procédé astucieux de narrations emboîtées (un livre laisse place à son auteur vieillissant, puis jeune, et enfin à la source même de son récit), jusqu’en 1930 et la rencontre entre un jeune groom aux dents longues prénommé Zero, et Monsieur Gustave, le légendaire concierge de la bâtisse.
"Le film est une mise à l'épreuve constante du cinéma de Wes Anderson"
Dès le premier acte de The Grand Budapest Hotel, différents thèmes tels que l’art de narrer, la transmission du savoir ou l’importance de l’héritage sont abordés et illustrent la volonté de Wes Anderson d’outrepasser son image de cinéaste futile. Cette image, il s’en amuse d’ailleurs ouvertement par l’intermédiaire de son personnage principal. Avec sa moustache parfaitement taillée et sa diction impeccable, Monsieur Gustave, toujours parfumé à L’Air de Panache, est en effet l’incarnation même de la frivolité. Une philosophie de vie qui porte ses fruits puisqu’il fait à lui seul la notoriété de l’établissement, sa personnalité étant particulièrement appréciée d’une clientèle féminine du troisième âge… C’est justement le décès de l’une de ses habituées, Madame D., qui fait office d'élément perturbateur et qui va radicalement changer le visage du film. The Grand Budapest Hotel se transforme à partir de cette péripétie en test grandeur nature ayant pour cobaye le cinéma de Wes Anderson. Le réalisateur expérimente, en s'imposant notamment un rythme bien plus élevé qu'à l'accoutumée, et en démultipliant aussi bien ses effets de mises en scène (travelings latéraux et avant, plans du dessus et de face) que ses personnages délurés (tous ses acteurs fétiches ont fait le déplacement).
"L'utilisation du casting est étrange, certains rôles anecdotiques"
La première et principale conséquence se fait ressentir au niveau de l'intrigue, désormais surtout prétexte à un enchaînement de gags aussi loufoques que réussis. Mais si Anderson parvient à divertir comme rarement auparavant, cette surenchère apporte son petit lot de désagréments parmi lesquels une utilisation étrange du casting. Si Ralph Fiennes se livre à un dantesque one-man show en Monsieur Gustave et que les come-back d'Harvey Keitel et de Willem Dafoe (l'un en taulard adepte de l'évasion, l'autre en tueur sanguinaire) font leur petit effet, on ne peut pas dire que tous les rôles soient aussi indispensables. Les très anecdotiques apparitions de Bill Murray, Owen Wilson et Léa Seydoux qui relèvent presque du caméo et l'auto-parodie simpliste d'Edward Norton (chef de scout dans Moonrise Kingdom, capitaine de police ici), laissent en effet un petit arrière-goût de talent gâché. Des performances accessoires à l'image des thèmes graves abordés en introduction, complètement relégués au second plan jusqu'à un ultime sursaut en référence au funeste destin de Stefan Zweig.
"The Grand Budapest Hotel est une nouvelle réussite esthétique"
Malgré cela, il est difficile de bouder The Grand Budapest Hotel tant la vision de l'entre-deux-guerres qu'il propose est séduisante. Volontairement tronqué et infantilisé, l'aspect historique recèle de trouvailles et de clins d'œil amusants (les forces nazies se retrouvent par exemple grimées en "section Zig-Zag"). Difficile également de ne pas apprécier les références toujours aussi subtiles à Stanley Kubrick que le réalisateur continue de disséminer dans son cinéma, que ce soit par la recherche systématique de symétrie dans ses plans ou en le citant directement (une femme âgée et un concierge dans une chambre interdite). Impossible enfin de ne pas être sensible à cette nouvelle réussite esthétique, à la fois inventive et fidèle au cinéaste, et surtout symbole de son perfectionnisme (il pousse le vice jusqu'à utiliser un format d'image par époque). Si The Grand Budapest Hotel mérite ainsi amplement le détour, le chef d'œuvre de Wes Anderson reste encore à venir.